Di Mambro dissèque le spot du rire – Notre avis sur la nouvelle génération humour – 2/2
Quand Di Mambro m’a proposé une interview inversée, j’ai tout de suite trouvé l’idée géniale. C’est mieux quand quelqu’un imagine les questions pour toi. Et puis, si j’avais traumatisé quelqu’un en interview, me voir passer sur le grill pouvait constituer une vengeance. Savoir quel a été le premier spectacle que j’ai vu, et comment la passion de l’humour est née… Puis connaître mon avis sur la nouvelle génération humour, ça peut attiser de la curiosité — des intéressés, surtout !
L’interview de quelqu’un qui l’ouvre sans arrêt pour défendre l’intérêt des humoristes devait logiquement se solder en un contenu assez dense. En réalité, on a explosé le format, ce qui permet de vous proposer cet entretien en 2 parties. Oui, on n’a pas chômé. Entre deux passionnés d’humour, on se devait d’obtenir un tel résultat !
→ Relire la première partie de l’interview
Di Mambro dissèque le spot du rire – Partie 2 – Quel regard portes-tu sur la nouvelle génération humour ?
Pour quelqu’un qui ne connaît pas le stand-up, où l’enverrais-tu ? Forcément au Paname, ou pas ? Ou au Jardin Sauvage ?
Pour donner une recommandation de qualité, j’aimerais découvrir quels sont les plateaux du nouveau comedy club de Shirley. On sait déjà, si on regarde toutes les publications Instagram, qu’il y aura le plateau de Tristan Lucas en espagnol. Ce sera les dimanches. Le Barbès Comedy Club devrait donc regrouper quelques incontournables. En fonction de ça, ça donnera plus ou moins envie d’y aller.
À ce qu’on m’a dit, Shirley donnera aussi des cartes blanches à des artistes qu’elle aime bien.
[Entretemps, on a découvert la programmation complète avec 5 cartes blanches la semaine, puis un showcase le samedi et 3 plateaux en langue étrangère le dimanche.]
Ça me donne l’occasion de rouvrir le sujet de l’entre-soi dans l’humour. Au début, je détestais ça, je dénonçais même la chose. Avec le recul, je n’ai plus la même opinion.
C’est un phénomène tellement normal. Les affinités jouent énormément : tu préfères évoluer avec les gens que tu aimes.
Il y a un tel sens de la communauté dans le stand-up. D’ailleurs, j’aime bien passer d’une bande à l’autre. Je le fais naturellement. Pendant très longtemps, j’ai dévolu le mardi soir au 33 Comedy : Antek, Ghislain et Jean-Patrick. Je boudais le Laugh Steady Crew : c’était trop tard, ça durait des plombes. Ils ont changé certaines choses, et la troupe 2019 remaniée a de la gueule.
Pour les spectateurs qui vont voir les plateaux, je vous conseille d’aller voir certains plateaux pendant deux ou trois mois. Ensuite, allez voir une autre bande d’humoristes, et ainsi de suite. C’est vraiment comme ça que vous allez vous éclater.
Tu pourrais citer des plateaux où tu aimes bien aller ?
J’aime bien le Comédie Paradiso (en stand-by voire disparu malheureusement), la Plage du Rire aussi. C’est l’ancien Beach Comedy Club, mais avec une nouvelle équipe. D’ailleurs, dans les deux, on retrouve la bande d’Omar et Manu ! Le Cercle du Rire, le plateau d’Anissa Omri et Elsa Bernard est aussi dingue. Elles ont beaucoup de talent et de potentiel. C’est vraiment un lieu sympa pour les artistes et le public.
Cette année, quel spectacle as-tu préféré ? Si tu ne devais donner qu’une heure à recommander ? Ou plus, si c’est trop dur.
C’est très difficile. Je vais essayer de segmenter par style. J’ai bien aimé Sophie Imbeaux et son spectacle Le monde merveilleux du colibri. Elle joue un personnage, une jeune fille toute mimi… et pourtant, c’est très sombre. Elle a un talent de comédienne bluffant, c’était vraiment touchant comme spectacle.
Ambroise et Xavier, j’ai bien aimé aussi. J’ai du mal à te dire des spectacles déjà vus, car j’attends surtout ce qui va arriver. La rentrée de la Petite Loge en octobre, j’y pense depuis l’été !
Quand même, je ne veux pas oublier Pierre Thevenoux ! Lui, je suis un peu coupable de dire que c’est formidable sans trop expliquer, tellement ça me saute aux yeux. C’est un type qui fait rire sans trop de temps morts, et tu passes un super moment avec lui. C’est trop agréable, en fait. J’aime bien voir Pierre sur scène, ça me détend. C’est comme un bon film culte, genre Ocean’s Eleven. Ce qui m’a impressionnée chez Pierre, c’est que son heure était nickel du début. Il n’avait jamais joué une heure, et il dégainait les vannes les unes à la suite des autres. Ça pouvait peut-être mieux, sans doute, mais c’était déjà solide. C’est rare.
Ça fait longtemps qu’il rôde, en 30-30 par exemple. Sur les très nombreux plateaux où il joue, il propose des passages assez différents. Je le trouve très inspirant dans le travail, sa manière de percevoir le stand-up.
Exact : c’est un gros bosseur. Si j’apprécie plus Pierre Thevenoux qu’un autre, c’est comme pour Marion Mezadorian. Je me reconnais en eux pour leur côté « terroir » : ils viennent de la province, comme moi. Ils ont grandi dans des milieux plus ruraux. Ça doit jouer. Je pense qu’on a en commun le fait d’avoir galéré pour accéder à de la culture. On a dû faire notre chemin nous-mêmes pour venir à Paris et développer nos projets. Avec cette envie de réussir, d’entreprendre des choses. Il y a beaucoup de simplicité dans les rapports humains que je peux avoir avec ces deux artistes.
Et niveau stand-up américain, qu’on peut voir sur les plateformes de streaming par exemple ? Tu aimes bien ce type d’humour ?
Pas trop. Je préfère les anglo-saxons. J’aime bien Ricky Gervais, ce qui n’est pas étonnant car Éric Judor l’encense.
Tu as regardé le special de Bill Burr, ou celui de Dave Chappelle ?
Tout le monde me parlait du spectacle de Bill Burr. J’ai fini par le regarder, car mon abonnement Netflix s’arrêtait deux jours plus tard. Je l’active par intermittence, je n’aime pas trop regarder de l’humour — je préfère le vivre. J’ai bien aimé, ça m’a fait du bien d’entendre un mec s’exprimer sur #MeToo et les rapports homme-femme sans feindre d’être dans le discours féministe ambiant. Il avait une manière très propre à lui d’aborder ça, sans changer sa personnalité pour se conformer au paysage médiatique actuel, un peu morose.
Dave Chappelle, j’ai essayé de regarder un jour. J’ai tenu 5 minutes, je ne lui ai pas vraiment donné de chance. Je ne peux pas juger cet humoriste sur ces 5 minutes, je n’ai sûrement pas dû rentrer dans son univers.
Pour en revenir aux spectacles marquants, je viens de voir Thomas Wiesel en rodage à Lyon.
Alors, verdict ?
C’était génial. Pas dans le sens : « c’est le meilleur truc que j’ai vu de ma vie ». J’étais agréablement surprise de voir de la simplicité dans son heure. Pour moi, Thomas Wiesel, c’est un type qui tourne depuis tellement longtemps. Il a une culture stand-up très poussée, et il parvient à proposer une heure à son image. C’est simple et optimiste. Pour un mec qui se faisait passer pour l’informaticien du Jamel Comedy Club avec un air un peu dépité, ça faisait du bien de voir ça.
Venons-en aux humoristes des plateaux. Selon toi, combien d’humoristes jouent actuellement ?
J’avais fait un listing d’humoristes il y a un ou deux ans. J’en avais recensé entre 200 et 300. Il doit y en avoir plus, et je n’ai pas la prétention de connaître tout le monde. Ça me semble impossible, entre ceux qui se lancent quelques mois avant de changer de domaine, par exemple.
Finalement, ceux qui perdurent, tu les vois tourner sur les plateaux ! Tu te rends vite compte de qui est qui.
C’est ça. Dresser la liste des humoristes n’est plus vraiment une priorité pour moi car j’ai l’impression de voir tout le monde. L’algorithme Facebook a compris que j’aimais les événements liés au stand-up. De fait, dès qu’un plateau se crée, il apparaît dans mes événements suggérés. Je suis automatiquement au courant, sans chercher.
As-tu déjà changé d’avis sur des artistes ? Notamment pour ceux dont tu n’aimes pas forcément l’humour au début, et puis ton point de vue évolue…
Oui, et l’inverse est vrai aussi ! Je n’aime pas trop en parler, par gêne principalement. Par exemple, je pense à un humoriste de la nouvelle génération humour que j’ai beaucoup aimé à son arrivée sur scène.
Mais au fil du temps, j’ai été un peu déçue. J’attendais qu’il évolue plus vite qu’il ne l’a fait. Pour ce cas de figure, c’est davantage une question d’expérience. J’aimerais beaucoup le voir évoluer, mais pour le moment, je suis en attente pour pouvoir parler de nouveau de lui. Tu vois, c’est subtil. Ce n’est pas que je ne l’aime plus, c’est que je me suis fait un peu embobiner par son charisme scénique d’alors, et que la magie n’opère plus autant. Il a de belles choses en lui et je suis sûre qu’il va reconquérir mon regard d’observatrice.
Quand tu changes d’avis, est-ce parce que l’artiste a progressé, ou est-ce parce que tu n’avais pas saisi la proposition artistique dans son ensemble ?
Il y a les deux. Aussi, certains artistes me disent, à propos d’un de leurs pairs : « Tu te trompes sur cette personne. ». Je précise que ça m’arrive très rarement de descendre un artiste.
Pour prendre un cas concret, je vais reparler de Rosa Bursztein. Je n’aimais pas vraiment son délire au début. Elle m’a invité à son heure, et malheureusement, comme je l’explique ici, une autre personne l’a dénigrée. Avec cette fille-là, on s’est un peu brouillé en message privé, mais je voulais expliquer le problème sans la nommer. C’est important, quand quelqu’un prend position sur un artiste et vient m’en parler, qu’il comprenne la responsabilité qu’il a. Histoire qu’il ne le refasse plus ensuite… Mais je ne voulais pas la nommer car tout le monde a le droit de se tromper, et je sais que cette fille regrette le discours qu’elle a tenu. Il ne résumait pas toute sa pensée, j’ai pu mal comprendre aussi. Elle m’a même dit qu’elle la respectait énormément en tant que comédienne, et je crois même qu’elle a changé d’avis depuis !
À l’époque, heureusement, Christo Ntaka, Cyril Hives et Hugo Gertner m’ont expliqué ce que Rosa voulait faire sur scène. C’est vraiment un cas où j’ai tellement entendu de choses que j’étais perdue. Et Rosa a aussi évolué en tant qu’artiste. Ses propositions me parlaient plus.
Je trouve ça hyper dur de juger un stand-upper. On est très dépendant du rire : un même texte peut sembler faible un soir où il y a peu de rires, et le lendemain, je vais le trouver super parce que le public riait ! Ta position est très compliquée : comment fais-tu pour livrer tes ressentis sur les humoristes ?
Je suis d’accord avec ton ressenti. À la base, je ne voulais pas faire de critiques de spectacle. Je ne me sentais pas légitime. Ma logique d’avant, quand je jugeais les pilotes, était de me baser sur des résultats chiffrés. Les chronométrages, les positions en course et au championnat. Tout ça, ce sont des faits.
Le spectacle vivant ne fonctionne pas de la sorte. Ce n’est pas tangible. Mais j’ai trouvé la parade : pour moi, c’est essentiel d’expliquer pourquoi j’apprécie tel ou tel artiste. Pourquoi je ressens quelque chose pour quelqu’un, aussi. Ce n’est pas toujours explicable, mais c’est important de faire cet effort. J’ai déjà entendu dire : « Guillermo Guiz, c’est une légende ! ». Ensuite, j’ai découvert Guillermo Guiz en plateau, et je l’ai trouvé tellement banal ce soir-là. Tout ça parce qu’on me l’a survendu, et qu’on ne m’a pas expliqué sa spécificité. J’ai eu le même problème avec Yacine Belhousse !
Guillermo Guiz, je trouve que son écriture est vraiment forte. Il arrive à capitaliser un rire. Il obtient un gros rire, et après, il continue d’avoir ce même niveau de rires. Généralement, quand tu as un gros rire, ça s’arrête là, ou ça se tasse. Pour en revenir à ma question, je pense qu’il faudrait voir quelqu’un trois semaines de suite pour vraiment jauger son talent.
C’est ce que je fais ! On ne va pas prendre l’exemple de Jean-Philippe de Tinguy, car c’est vraiment un cas à part. J’ai dû voir le spectacle de Marion Mezadorian une douzaine de fois sur deux ans. Je continue à aller la voir, et j’ai vu ses changements de mise en scène, l’évolution de son spectacle. C’est hyper intéressant et enrichissant à observer.
Pour toi, le rire est-il au-dessus de tout sur scène ? Peux-tu apprécier, sur un plateau, des passages où les rires sont moins forts ? Parviens-tu à te concentrer sur d’autres aspects que le rire ?
Oui, je pense pouvoir apprécier une proposition artistique quand ça rit moins. Le gros rire, ce n’est pas forcément le truc le plus fin qui le provoque. J’aime bien les deux : les gros rires de mecs qui font n’importe quoi. Florent Mathey qui imite un mec des pays de l’Est dans Les talents d’or, ça me plie en deux !
Penses-tu que l’accès à la scène est trop simple ?
Non. Faire tes premières scènes, c’est simple comme bonjour. En revanche, tenir et jouer tous les jours, sur plusieurs mois, puis plusieurs années, c’est difficile. C’est un peu comme la fac : tout le monde peut venir, mais à la fin de l’année, il ne reste plus grand monde !
Je pense que c’est une affaire de mental, surtout. Il faut affronter les bides, peu importe ton niveau : tout le monde y passe. Au fond, c’est de savoir à quel point tu acceptes de bider, et d’affronter ces moments où tu n’es pas à la hauteur… pour mieux rebondir.
C’est là que tu progresses vraiment, et que tu apprends ton métier. Il faut vraiment s’accrocher ! Et il faut enchaîner les scènes où tu gagnes très peu d’argent, voire rien ! C’est précaire.
Le plus dur, c’est de se dire en permanence qu’il faut progresser. Et vraiment progresser. Parce que de l’intérieur, tu ne te vois pas progresser. Un œil extérieur comme le tien peut constater une progression, mais on est tellement dedans qu’on a du mal à voir le fruit de nos avancées. Suis-je en train de progresser ou de stagner ? Vais-je dans la bonne direction ?
Surtout que la fréquence du jeu, généralement tous les soirs, fait que vous êtes le nez dedans tout le temps. Il n’y a pas de répit pour faire le bilan, ce genre de choses.
J’aimerais revenir sur ta démarche de monter sur scène. Qu’est-ce qui t’a donné envie de le faire ?
Fred Cham a été le premier à me dire, à plusieurs reprises, de le faire. Ensuite, Ghislain Blique m’a dit à peu près la même chose. Il m’a proposé de jouer en hors line-up au 33 Comedy. C’est un créneau qui te permet de jouer sans être annoncé, et tu ne touches pas de chapeau. C’est fait pour les gens qui testent ou les amis des gens qui l’organisent, à qui on fait une fleur.
Ta première scène au 33 s’est bien passée ?
Trop bien. Ghislain a vraiment tout fait pour ça. Il a choisi de me mettre sur un line-up de compétition. Il y avait Lenny, Seb Mellia, Kyan Khojandi… À la base, Jason Brokerss devait jouer, mais il a annulé car il sortait du dentiste. Tu voyais sur Instagram qu’il douillait avec une poche de glace sur sa joue. Ça, c’est de l’annulation légitime !
Tu avais parlé aux humoristes de ton envie de monter, ou c’est eux qui ont voulu te voir sur scène ?
Après avoir longuement dit que ça ne m’intéressait pas, j’ai changé d’avis. J’ai trouvé une motivation : comprendre ce que les humoristes ressentent quand ils montent sur scène. Une sorte de Vis ma vie d’humoriste ! J’avais envie d’être plus légitime auprès des artistes de la nouvelle génération humour, de comprendre leur ressenti.
Après cette première scène de février 2018, tu as fait combien de scènes ensuite ? Elles se sont bien passées ?
J’en ai fait trois au total. Une autre le 18 juin 2018 et la dernière le 14 septembre 2019. Ma deuxième scène était la moins bonne, tandis que la dernière était géniale. J’ai senti que j’avais ma place si je voulais jouer. Aussi, j’ai compris que j’avais le niveau nécessaire pour faire du stand-up et ne pas avoir l’air bête. J’étais surprise d’arriver à jouer : je n’ai pas fait de théâtre, c’était très étonnant.
Ça te donne envie d’en refaire ? Souvent, l’adrénaline que tu ressens sur scène te rend accro !
Je n’ai jamais ressenti ça. Els – Lost in France me parlait de ce concept, la “joke coke”. Monter sur scène n’est absolument pas une drogue pour moi. Je ne le ressens pas du tout. Sur scène, après une minute, je suis contente car mon stress décroît. Ensuite, je me dis : « Allez, finis tes paragraphes, et vivement qu’on se casse de cette scène. Il n’y aura plus que la promo à la fin, et on va rentrer chez soi et reprendre une vie normale. »
Dans le trajet du retour, je me suis dit : « Mince, il va falloir le refaire. ». J’avais envie de revenir pour plusieurs scènes cette année, car j’avais l’objectif de faire connaître mon site au public. J’ai écrit un sketch qui explique mon rapport avec les artistes sur les dix dernières années.
Mais dans ma pensée, il y avait le mot « mince ». Je ne me suis pas dit : « Génial, j’adore ! ». Je ne suis pas faite pour ça, je le sais. En fait, je trouve ça marrant de le faire, et de voir des humoristes me regarder tenter le coup. Mon meilleur souvenir du Blague à part comedy club, c’est la discussion d’après-scène. J’étais avec deux-trois potes, trois de mes rédacteurs. Et parmi les humoristes, il y avait Anissa Omri, Jean-Paul ou encore Renaud Sanviti. On est resté une bonne demi-heure à parler de Ghislain. C’est ça, ma vraie vie. Pas la scène.
Aujourd’hui, j’ai une autre opportunité qui rend cet objectif obsolète. Je ne peux pas encore en parler, mais je vais devoir concentrer mon énergie ailleurs. Et puis ça me demande tellement de temps alors que mon but, c’est de promouvoir les artistes. Je n’ai plus autant de temps pour le faire, tout ça pour jouer cinq minutes. Ce n’est pas viable.
Parlons d’un sujet qui revient souvent : le manque de femmes humoristes dans le stand-up par rapport aux hommes. Comment expliques-tu ce phénomène ?
C’est le même problème, finalement, qu’en sports mécaniques : la quantité. Il y a moins de femmes que d’hommes dans ce milieu. Dans la nouvelle génération humour, ça commence à bouger, mais lentement.
Mais pourquoi, justement ?
J’ai le sentiment que les femmes attendent plus de se sentir prêtes avant de se lancer dans le stand-up, ou un projet, quel qu’il soit. Je le vois car je propose à n’importe qui de rejoindre le site en tant que contributeur. Et 99 % du temps, des hommes me contactent. Certains n’ont pas le niveau, et viennent prendre la place — parfois de manière un peu désinvolte. En mode : « Donne-moi ton numéro de téléphone, on en discute, et on fait selon mes termes. ». Ils mènent la danse, ils ne doutent de rien. Ils imposent leur présence.
Je ne veux pas généraliser, bien sûr : chaque personne est différente. Mais je décèle cette tendance partout. J’ai déjà vu une humoriste femme quitter la scène au bout de deux minutes lors d’un bide. Un gars qui bide, généralement, va prendre le temps qui lui est alloué. Dans certains cas, il passe deux fois plus de temps. Il s’acharne vingt minutes alors que tout le monde veut le voir se casser. Il s’en fout.
Pour mes rédacteurs, j’ai quelques étudiants dans mes rangs. Ils se présentent comme étudiants, et ils se projettent : je vais parler humour, et là, je vais progresser. Ils se projettent avec beaucoup plus de confiance dans leurs projets. On a besoin de femmes qui en fassent de même, qui osent aller au bout et qui n’en aient rien à faire que des mecs leur mettent des bâtons dans les roues. C’est difficile, d’adopter ce niveau de « je m’en foutisme ».
Il y a sûrement des choses spécifiques à l’humour, aussi !
Oui, par exemple la rivalité entre les femmes humoristes. Ça existe, et je suis actrice de ça aussi. J’en parle souvent, de mon biais qui me fait parfois favoriser les hommes. Cela joue dans la mesure où je ne vais pas ressentir le rapport de séduction chez les femmes, si tant est que certaines l’amènent sur scène. Alors que pour un homme, cela va influer sur mon jugement. Il faut parler de ces choses en toute transparence, c’est la meilleure manière de faire sauter les tabous.
Cette rivalité se matérialise différemment que pour les hommes. Les hommes parlent de compétition, d’émulation. Il y a toute une terminologie : « rivalité », c’est péjoratif ; « compétition », ça fait penser à « résultats », « succès », etc.
En revanche, c’est à double tranchant. Une femme qui ne me plaira pas au début, et qui arrivera à me plaire… Bon courage pour me faire changer d’avis : elle aura sans doute mon soutien à vie. Par contre, un mec qui m’aura plu sur ses premières scènes, et je me rends compte ensuite qu’il n’y avait qu’un rapport de séduction un peu faible… Je vais vite l’oublier. Et il y a enfin ce côté « réseau de mecs » — pas « boys club », attention.
Je suis assez d’accord : beaucoup de plateaux sont tenus par des mecs. J’en parlais avec Cyril Hives hier, justement. Il n’y a pas assez de femmes qui montent leur plateau pour contrebalancer ce phénomène.
Et justement, quand elles ont des plateaux, ils se jouent souvent entre nanas. J’ai changé mon jugement sur les plateaux 100 % féminins, récemment…
Je ne suis pas trop pour ce truc, mais je n’ai peut-être pas toutes les clés pour comprendre ce phénomène.
Je détestais ça aussi. Aujourd’hui, je pense que si c’est ce qu’il te faut pour oser franchir le pas, c’est une bonne chose. Par contre, il ne faut pas se cantonner à ces espaces-là. Il faut pouvoir, à terme, affronter tous les terrains.
À terme, il faudrait que ça n’existe plus du tout, qu’il y ait une vraie égalité de traitement.
On est tous d’accord là-dessus, je pense. Si ces plateaux existent, c’est pour pallier un problème de sexisme dans le stand-up. Je n’arrive pas à savoir si ce sexisme est ressenti ou avéré. Dans les médias, par exemple, les journalistes aiment bien mettre les humoristes femmes dans les cases. Si elles sont trash, ils adorent… quitte à les mettre toutes dans le même sac !
Je pense qu’il y a une majorité de mecs humoristes tolérants, mais qu’une minorité peut pourrir le milieu. Des propos déplacés, ça arrive souvent. Même pour moi, ça m’est égal et j’ai tendance à répondre avec un truc encore plus déplacé. Ça les remet en place.
Dans la nouvelle génération humour, si tu devais te projeter dans 3 à 5 ans, qui penses-tu voir progresser et émerger ? Qui as-tu envie de suivre de près ?
(Longue pause) Ça me fait chier de dire Avril, mais…
Si tu penses à Avril, cite-le, tu as le droit !
C’est un casse-tête pour moi, car on est proches et je veux décrire son évolution sur scène comme pour celle d’un autre. La dernière chose que je veux, c’est le valoriser sans que ce soit fondé. Pour rester sur ce qu’il fait sur scène, je pense qu’il a progressé plus vite que la moyenne. C’était de base un bon auteur, et puis avec le Laugh Steady Crew, il a haussé son niveau de jeu.
Thierno Thioune le pousse à donner le meilleur de lui-même et il en redemande. C’est comme si ces deux-là s’étaient trouvés. Ce n’est pas juste un mec brillant qui se repose sur ses acquis, et ça fera la différence sur le long terme. D’autant plus qu’il a un côté déterminé que je vois chez peu d’humoristes, surtout en début de carrière.
C’est clair ! Il faut le voir au Laugh Steady Crew. Le mercredi, on a les thèmes, le jeudi matin, il a déjà un texte. Et après, il élague ou il ajoute des choses. Il est fort, très impressionnant. Son pote Pierre est fait du même bois. Ils bossent beaucoup. Ils n’ont pas le même style, mais ils se ressemblent sur leur force de travail.
Au LSC, je trouve que Pierre est un mec humainement génial. Il gagne à être connu. Mahaut, j’étais surprise de son niveau. Je la trouvais déjà très douée. J’ai hâte de la voir en spectacle. Toi et Audrey Jésus, je vous mets dans le même panier d’espoirs très prometteurs. Vous avez tous les deux un gros potentiel et un univers fort, original. Vous avez un côté swag qui vous rassemble aussi !
On s’habille pareil, mais on n’a pas du tout le même univers. On parle beaucoup de stand-up, et on n’a pas du tout les mêmes références humoristiques. Je tends plus vers l’absurde, j’ai un humour assez enfantin. Audrey, elle a plus des messages à faire passer sur son histoire personnelle, le fait d’être lesbienne et le rapport avec sa famille.
Parmi les gens que je veux citer, j’attends vraiment de voir ce que Ghislain Blique va donner.
Il est fort !
C’est clair. J’espère que les gens du métier vont comprendre son univers, et le traiter avec autant de bienveillance qu’un Gaspard Proust. Prendre en compte son côté « puriste », le fait de se concentrer sur la base : faire rire. Tu sais, sans se perdre dans une promotion impeccable qui n’apporte rien d’autre que de faire plaisir aux médias. Je suis traumatisée de la disparition de Jean-Philippe de Tinguy de la scène humoristique. On a perdu un vrai talent de la nouvelle génération humour.
Jean-Philippe avait malheureusement ce côté où il ne semblait pas toujours motivé. Il voyait la scène comme un processus d’apprentissage, et quand il est arrivé au bout, il a dû se lasser. Avoir envie de se lancer dans quelque chose de nouveau. Il disait apprécier le fait de faire briller les yeux des gens à qui il annonçait être humoriste. Et il se disait que si c’était sa seule motivation, ça ne valait peut-être pas le coup.
Globalement, tu penses quoi de la nouvelle génération humour ? Ceux qui ont moins de 3 ans de stand-up ?
C’est très simple : il y a eu un gouffre entre deux générations. Les humoristes de 2014-2015, que j’ai découverts en 2016 ou 2017 : je les trouvais dingues. En 2017 et début 2018, je ne voyais personne émerger véritablement. Juste de nombreuses nouvelles têtes, et personne qui ne sortait du lot.
Ça a changé en seconde partie de 2018, et cette année. Comme s’il s’agissait d’un cycle où j’ai vu des gens émerger de nouveau. Peut-être aussi que j’ai découvert des gens en 2016 qui avaient déjà quelques années dans les pattes. Je n’ai pas vu leurs débuts, donc c’est difficile de comparer.
Pourtant, parmi la toute nouvelle génération humour, certains sont déjà très forts et progressent vite. Il y en a même qui ont une singularité, un truc en plus. Des personnalités atypiques comme Renaud Sanviti, par exemple.
Tu l’aimes bien, lui ! J’étais en cours de stand-up avec lui. Il me fait rire, j’adore ce mec. Il ne joue pas assez !
Ça commence, il a joué 20 minutes en septembre dans la soirée organisée par Bastien Morisson au Sonart. Je n’ai pas pu aller le voir, tant l’offre est importante. Je dois faire des choix, mais j’aimerais tellement me dédoubler, voire me détripler ! Ça ne serait même pas suffisant.
Heureusement, l’offre devient plus lisible cette année. En 2018, beaucoup trop de plateaux se créaient en même temps. Comme dirait Pierre Thevenoux, à la rentrée 2019, « il y a eu des décès ». J’ai noté une perte de 30 plateaux. Et aussi, certains lieux, comme le Scénarium ou le Kibélé, abritent plusieurs petits plateaux.
Où vois-tu le stand-up en France dans 10 ans ?
Actuellement, on assiste à un mouvement de professionnalisation. Shirley Souagnon fait beaucoup dans ce sens, avec le Jardin Sauvage et le Barbès Comedy Club.
Il y a un besoin d’une nouvelle génération humour. La nouvelle génération humour doit d’ailleurs prendre le pouvoir. On ne peut pas tolérer que le discours médiatique soit monopolisé par les fausses excuses de Gad Elmaleh pour le plagiat. Surtout quand il retourne les accusations, expliquant que dans les caves où il vient jouer, il dit voir des gens qui font ce qu’il faisait. Parle-t-il de plagiat, ou d’inspiration ? On n’en sait rien, mais il chie sur la nouvelle génération humour pour se dédouaner. Et Le Parisien lui offre des croissants. Il s’en sort plutôt bien.
Aussi, la télévision parle de la guéguerre entre Jean-Marie Bigard ou Muriel Robin. Tout le monde s’en fout, mais on impose cette affaire semi-privée au public.
Muriel Robin qui, d’ailleurs, rejoue en ce moment ses meilleurs sketches si j’en crois l’affiche que j’ai vu dans le métro. Si ça fait plaisir à des gens, c’est bien, mais on a besoin de nouveauté et qu’elle soit valorisée dans les médias.
Heureusement, l’émission Clique de Mouloud Achour amène des humoristes à la télévision toute la semaine, là où le service public fait n’importe quoi. L’émission Samedi d’en rire de Jean-Luc Lemoine est un foutage de gueule organisé. Lors de la première, ils mettaient des chansons de Dany Brillant ou Claude François dedans. Où est la nouvelle génération humour ?
En plus, il y a un public pour la nouvelle génération humour. Je le vois tous les soirs : c’est souvent plus rempli que pas rempli. Je me dis : « D’où viennent tous ces gens ? ». Et les lieux sont plus nombreux : le Café Oscar est rempli, le Paname aussi, les bars ici et là également… Le nombre de personnes qui regardent du stand-up à Paris, tous les soirs, c’est énorme !
Pour écouter les gens du public avant de rentrer, j’entends certains passionnés. Ils connaissent le sujet, et sont fiers d’apporter de l’information. « Machin, je l’ai vu là-bas, il est génial… » Le public connaisseur existe. Bien sûr, il présente Roman Frayssinet pour un nouveau mec, mais c’est un très bon début !
Pour le grand public, Roman Frayssinet, c’est la nouvelle génération humour.
Oui, il y a un décalage de connaissance, dû encore une fois à la couverture médiatique. Où sont les gens qui détectent les talents de la nouvelle génération humour ? Bien sûr, on ne part pas de zéro. Il y a les Antoinette Colin, Mo Hadji, Thierno Thioune… Perrine Blondel et Mélissa Rojo de la Petite Loge, qui sélectionnent les artistes comme personne d’autre. J’ai un énorme respect pour ces gens.
Léo Domboy, dans son style survolté, fait aussi partie des attachées de presse qui se démènent pour ses artistes : Marion Mezadorian, Matthieu Penchinat et les autres. Elle a ouvert les portes de Quotidien à Monsieur Fraize et Ambroise et Xavier ! C’est là qu’elle m’impressionne. J’ai failli bosser avec elle, mais on est si différentes que ça n’a pas collé. En tout cas, j’ai toujours souligné la qualité de son travail auprès de ses artistes.
Et les journalistes ?
Côté journalistes, Grégory Plouviez du Parisien fait beaucoup. Rossana Di Vincenzo a amené la vraie culture stand-up chez Télérama. Mais il faut aller plus loin. Donner plus d’autonomie à ces journalistes, parce qu’une rédaction, ça peut modifier le contenu des articles et les rendre moins fouillés.
L’humour, ce n’est pas un truc à confiner dans un musée. La radio Rire et chansons doit creuser beaucoup plus dans sa proposition de la nouvelle génération humour. Il faut bien plus de gars comme ceux de la revue HAHA ou Oumar Diawara, celui qui a donné vie au documentaire Stand-up vie de francetv slash et que Louis Bolla vient d’interviewer. Des gens qui creusent, qui s’intéressent aux artistes. Qui arrêtent de demander aux humoristes si l’on peut rire de tout !
J’ai vu ça sur France 3 Régions, ils demandaient ça à Marion Mezadorian. Mais parle de son spectacle, toi, le journaleux grisonnant qui n’a pas bossé ton sujet et qui a une accréditation en Avignon ! Paul Taylor disait que les jeunes allaient prendre les jobs de ces mecs, mais ce ne sera pas en raison d’un traitement préférentiel pour les jeunes. Il faut qu’ils conservent l’envie d’informer. La nouvelle génération humour en a besoin.
Di Mambro dissèque le spot du rire – Le débrief
Di Mambro m’a permis d’aborder longuement la nouvelle génération humour. C’était l’occasion de revenir sur de nombreux sujets qui me tiennent à cœur : mon rapport à l’humour féminin, la difficulté des médias à faire émerger des talents.
C’est super, par exemple, qu’Inès Reg ait d’un coup suscité l’intérêt de la presse… Mais sa vidéo Instagram des paillettes n’est pas sa meilleure, et où étaient les médias lors de ses 5 années de stand-up ? Je suis ravie d’assurer le coup de projecteur des nouveaux artistes, mais j’ai besoin de concurrence pour aider les humoristes actuels à émerger… C’est le vœu que je formule à vous, lecteurs courageux qui avez lu jusqu’ici !
PS : merci à Alexandre Avril pour la relecture et les conseils pour dévoiler ou non certaines anecdotes 😉