Monter sur scène 3 : ton adversaire, c’est toi-même

Juliette Follin 15/09/2019

Monter sur scène, c’est demander à jouer dans un plateau, puis produire quelques minutes de rire, répéter. Ensuite, il faut se présenter à l’adresse du plateau, prendre le micro et se jeter à l’eau. Enfin, partir et tendre le micro à son successeur, avec un hi-five encourageant en bonus. Parce que c’est ton « poto ».

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Si l’on se tient à cette liste objective, il n’y a rien de bien méchant. Mais alors, qu’est-ce qui rend ce rapport à la scène aussi unique pour un humoriste ? Quand passe-t-on d’un hobby à une vraie envie de faire rire dans la durée ?

La scène est-elle vraiment ce qui fait le plus peur ?

Je l’avais martelé : je devais raccrocher le micro pour de bon après deux scènes… Poule mouillée ? Oui, et fière de l’être ! Et puis non : hier soir, j’ai joué au Blague à Part Comedy Club. Évidemment, je ne peux pas en dire grand-chose car j’écris ces lignes une semaine avant.

Parce qu’honnêtement, on se contrefiche de savoir comment ça s’est passé. Tant de paramètres subjectifs peuvent rendre la soirée excellente comme cauchemardesque.

Déjà, tout commence par la programmation. Elle compte pour moi à chaque instant, car je ne fais pas du stand-up pour moi-même. Si je parle assez régulièrement à tous les comiques sur scène, je suis dans un meilleur état d’esprit. Je n’ai aucune ambition professionnelle (ou alors je suis dans le déni). En 2018, je voulais comprendre ce que c’était. J’ai partiellement compris, puisque je n’ai pas connu le bide. Peut-être la semaine prochaine, ou hier ? Peu importe, encore une fois.

Changement de perspective

Aujourd’hui, mon état d’esprit est différent. J’ai compris que je voulais monter sur scène pour faire partie de la bande des comiques. Et c’est tout. Ceux qui parlent de monter sur scène comme une drogue, je les regarde avec beaucoup d’admiration et d’incrédulité. Ma drogue à moi, elle consiste à parler des gens qui font des blagues et à rire de ces mêmes punchlines. Rien ne me satisfait plus au monde que de voir un talent potentiel cartonner et se révéler.

Si je reviens, c’est pour que le public découvre le spot du rire. Parce que je veux partager ces talents potentiels, puis avérés. Et c’est ce moteur-là qui me pousse à y aller et à rompre le silence. Dans ma tête, je le fais pour eux.

D’ailleurs, chaque passage est un prétexte pour lancer une private joke à l’un des membres de la bande. Mais dans ce contexte, a-t-on vraiment peur ? Et si oui, de la scène ou d’autre chose ?

Le feeling des répétitions

Gabriel Francès l’explique très bien : certains répètent leur texte pendant plusieurs semaines, tandis que d’autres s’entraînent différemment.

Je fais partie de la bande qui s’entraîne une heure par jour à déclamer son texte (alors qu’elle a envie d’y passer deux heures). Qui s’insulte après la treizième répétition et s’encense après la vingt-deuxième. Avec cette peur d’oublier ce texte, comme si je n’étais plus capable de dire ce que j’avais dans la tête.

Bon sang, c’est pas compliqué, il s’agit tout de même de mon histoire. J’écris les mots-clés comme Ghislain et mille autres, après l’avoir tant vu le faire au 33 Comedy.

Être sur scène : une préparation mentale personnelle

Avant de monter sur scène, les humoristes ont leurs habitudes. Certains ont l’air complètement détente, à l’instar de Pierre Thevenoux. Par habitude, sans doute, ils parviennent à déconner et masquer l’enjeu.

D’autres, au contraire, s’isolent. Tirent la tronche. Et dès qu’ils prennent le micro, la magie opère. Je trouve ça fou. À chaque fois que j’essaie de monter sur scène, je m’amuse à construire une playlist. Cette fois-ci, par procrastination, sans doute, j’ai décidé de lui donner vie sur Deezer.

Une voix qui motive comme un gourou, suivie de chansons qui rappellent quelque chose de positif ou délivrent des messages qui soignent ton ego. “We don’t even care about what they say, cos it’s ja ja ja, blah blah blah.” On dirait une citation Instagram qui dit : « les autres sont des jaloux » ou « rageux », si elle provient de Skyblog.

Et pourtant, on s’en fiche. L’important, c’est de trouver la superstition qui marche pour soi-même et d’avancer. De retravailler plus sérieusement le passage, pour éviter… Pour éviter quoi, au juste ?

En quête de légitimité : pourquoi le regard de ses pairs compte autant

Une semaine avant ce fameux passage, j’essaie de me donner du courage. Cette fois-ci, je ne voulais pas attirer l’attention comme les fois précédentes. Je choisissais les personnes que je souhaitais voir. Exit certains comiques, bonjour des connaissances à qui je racontais des blagues au boulot. Celles qui rient à si peu, parce que c’est quelqu’un qu’ils connaissent qui sort la blague. Je le vois comme une forme de triche, mais je ne sais pas si d’autres partagent ce point de vue.

Je me dis : « Tu te rends compte, tu vas dévoiler ça sur toi… ». Même si en réalité, le lendemain, tout le monde aura oublié, tu croiseras le regard de ces gens en sachant qu’ils savent. Et comme dans un épisode de Suits, tu auras peur qu’un acteur-avocat vienne te faire chanter avec ta faiblesse (coucou Katrina Bennett).

À chaque comique sa méthode

Si cette partie est personnelle, c’est parce que chacun a sa manière de gérer cela. Cyril Hives se concentre sur la scène suivante pour imposer une nouvelle dynamique :

Quand tu vis un mauvais passage, c’est de ta faute. Effectivement, je suis moins loquace et moins heureux après. Mais demain est un autre jour. Tu peux te planter, et dans l’absolu personne ne t’en tient rigueur. Tout le monde a déjà connu un bide, donc… On se raconte bien plus facilement ses bides que ses cartons. Ce sont des histoires plus drôles à raconter. Raconte un bide aux autres humoristes, tu verras : les gens sont morts de rire ! Quand tu racontes un carton, ils s’en fichent.

Aude Alisque a appris avec le temps à dompter sa « terreur » scénique grâce à la visualisation :

La peur sur scène… J’étais terrifiée au début ! Même aujourd’hui, d’ailleurs, même si je commence à vivre de plus en plus de moments où dès que je monte sur scène, je suis prise d’une énergie positive qui surpasse ma terreur. Mon problème, c’est que je rougis très facilement. S’il se passe quelque chose d’inattendu sur scène, ma réaction est immédiate. Au début, ça m’arrivait tout le temps de rougir ! J’ai dû acheter du fond de teint couvrant pour essayer de cacher ça, ce que je ne faisais pas avant. (…)

Certains sont naturellement à l’aise, ce qui n’est pas mon cas. Ça a peut-être mis plus de temps, mais j’ai réussi à me visualiser sur scène dépasser cette peur. Il fallait juste attendre qu’elle disparaisse petit à petit.

Bon, on ne va pas aller jusqu’à dire que la visualisation est une méthode miracle à coup de musique de suspense… Mais à toutes fins utiles, lui, il le fait.

Seul, tu atteindras vite tes limites

Quelques jours avant le passage, je prends confiance sur le texte. En revanche, je laisse tomber le jeu. Je viens de discuter avec Perrine Blondel et Mélissa Rojo, qui gèrent la Petite Loge. Elle m’avertissent : ne suis pas tous les conseils que tu reçois ! Je réponds que je n’écoute personne.

Leur attitude change du tout au tout : faut quand même le faire, parfois, sinon c’est dangereux… Et c’est une évidence, bien sûr ! Quelques heures plus tard, je comprends un peu plus cela. Ok, le texte peut passer, mais tu es à la rue sur le jeu. Si tu le sais, pourquoi tu refuses qu’Anissa Omri t’aide à répéter ?

On en revient toujours à l’ambition. Si j’avais vraiment envie de le faire, je me donnerais les moyens. Là, je veux juste obtenir la mention « passable ». Je vois bien l’apport d’un Thierno Thioune : s’il voyait mon texte, il aurait envie de me pousser à jouer chaque ligne, l’amener plus loin.

Je me dis souvent : « ce serait super si on allait dans cette folie-là, ou cette direction-là, mais on ne peut pas ». Thierno (ou qui que ce soit d’autre) m’aurait certainement ri au nez avant de me pousser dans mes derniers retranchements. Mais la perspective de dévoiler son texte devant un fucking metteur en scène et d’autres apprentis comiques ? Il faudrait le faire, évidemment. Toujours ce fameux « évidemment » qui trahit le manque d’ambition. Le fait de ne pas avoir vraiment passé le cap et de ne toujours pas se sentir humoriste.

C’est le cap le plus dur à passer, celui qui te mène sans doute à jouer sur scène régulièrement. Après ça, la machine est lancée et tu te bats pour des dates.

Un dernier mot avant de monter sur scène

Le stand-up est aussi un bon refuge pour comprendre qui tu es et dépasser tes propres limites. Je trouve que c’est un exercice rigolo pour préparer les autres êtres humains à entendre pourquoi tu es bizarre. Tu es jugé avec le rire, et au pire, un silence de plomb t’assomme.

Enfin, je crois. Je vais essayer d’éviter que de nouvelles peurs émergent, surtout que parfois, je me dis que ce ne sont que des blagues. Il n’y a pas mort d’homme, ça dure une dizaine de minutes tout au plus, et les autres font ça jusqu’à 4 ou 5 fois par jour. Qui suis-je pour en parler ? Le moment est venu de prendre ce foutu micro.

Je ne vais pas vous laisser comme ça… Voilà ce qu’il s’est passé !

Au final, j’ai ressenti du stress à partir du passage de Manu Bibard. Il jouait juste avant moi, et comme je savais quand il terminerait son texte, la tension montait vite ! Ghislain me regardait en souriant pour me détendre, alors que je croyais qu’il s’amusait à faire une story de ma panique. Mais comme il m’a regardé avec un sourire un peu creepy, ça nous a rapprochés.

J’ai été surprise de laisser tomber le texte pour devenir mon propre directeur artistique. Avant de reprendre un micro-segment, je me disais : « là, tu vas faire ça » et ça se passait. Moins de calcul, juste un ordre normal envoyé par le cerveau à ma personne.

J’ai improvisé à certains moments, apparemment j’ai même fait des act out. C’était un bon passage, le premier où je me suis sentie légitime sur scène. Je fais partie du gang, même si j’ai encore la chance du débutant. Et puis j’ai tellement lutté pour décrocher le micro que Manu avait soigneusement remis à sa place. Il m’a dit : « désolé, j’ai peut-être mis un peu trop de force ! » #testostérone.

À refaire ? Je devrais complètement, mais là, je profite du fait de ne plus avoir à penser à jouer sur scène. Même si l’expérience était positive. Grégory Robet est, comme de nombreux comiques le disent, un mec génial et un super MC. Son plateau, le Blague à Part, propose une super expérience de stand-up. C’est convivial, carré, et il est aux petits soins pour que tout se passe bien. Je savais que le Blague à Part c’était bien, maintenant, je l’ai vécu !

Un mot sur la photo

Bun Hay Mean, qui en connaît un rayon sur le sujet. Son passage au Marrakech du Rire 2019, on en parle bien sûr pour ses blagues, mais aussi pour la manière dont il a su traverser des épreuves difficiles pour atteindre le succès.

Crédits photo : © Christine Coquilleau

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