Interview La Petite Loge : visite guidée avec Perrine Blondel et Mélissa Rojo !
Il n’y aurait pas eu Le spot du rire sans la Petite Loge. Le simple fait de venir assister à des spectacles dans cette salle vous apprend beaucoup. Sur le spectacle vivant, d’abord. La Petite Loge a ruiné tous les specials Netflix et l’envie de regarder de l’humour sur un écran. Les deux ingrédients du succès : un espace exigu mais confortable pour le public, et une sélection éclairée.
Ce lieu ne serait pas là sans Perrine Blondel et Mélissa Rojo. Alors on a décidé de les mettre en lumière, car elles sont les premières à le faire pour les artistes de demain.
Notre entretien a été si intéressant qu’on vous le propose en deux parties. Dans ce premier volet, plongez dans l’histoire de la Petite Loge, ses anecdotes insolites et ses valeurs qui réunissent le spectateur et le comédien comme aucun autre lieu de spectacle. Vous pourrez ensuite découvrir comment Perrine et Mélissa sélectionnent les artistes !
L’interview de Perrine et Melissa 1/2 : découvrez l’ADN du théâtre la Petite Loge !
Comment est venue l’idée de la Petite Loge ?
Perrine Blondel : Au début de l’aventure, la salle existait déjà. Elle s’appelait la Loge. L’une des comédiennes qui y jouait a entendu dire que l’ancienne directrice voulait vendre. Elle s’était dit que c’était chouette d’avoir une salle et pouvoir jouer sans payer. Globalement, quand tu débutes un spectacle, tu payes tes salles. La location de la salle est très onéreuse — pour faire son métier, c’est un peu contradictoire.
Cette comédienne n’avait pas de compétences en gestion ; elle a donc cherché à s’entourer. On avait travaillé ensemble avec un troisième comparse sur une émission de télé. C’était en 2008, il y a déjà plus de dix ans… Comme j’avais fait des études de gestion en plus de ma formation de comédienne, on a voulu reprendre cette salle ensemble. On voulait proposer un fonctionnement différent de la location de salle. L’idée, c’était de permettre aux comédiens qui débutent de ne pas perdre de l’argent. Ils pouvaient ainsi commencer à travailler.
Vu à la Petite Loge : Joseph Roussin
Concrètement, cela fonctionne comment ?
P. B. : Il n’y a pas de minimum garanti. C’est uniquement du partage de recettes. Évidemment, la première partie de la recette revient à la salle pour payer les frais fixes : le loyer, l’électricité, etc.
Mélissa Rojo : La différence, c’est qu’on a fait un calcul pour que cette somme soit la plus minime possible et permette à la salle de vivre.
P. B. : Ensuite, l’équipe a changé. J’ai été seule un petit moment à gérer la salle. Mélissa m’a rejoint il y a deux ans. Aujourd’hui, on a conservé le même fonctionnement pour la salle. Ça nous permet d’être très exigeantes sur les spectacles à l’affiche. On ne va pas proposer à n’importe qui de venir travailler ici. On cherche le petit quelque chose, le supplément d’âme, un talent…
M. R. : On a un vrai regard, effectivement, sur ce qu’on choisit. Quand j’ai découvert la Petite Loge, je jouais une pièce de théâtre, Huis clos. Perrine m’a proposé de la rejoindre. Les valeurs de la Petite Loge, je les partage complètement. Je n’avais pas du tout envie de révolutionner ce fonctionnement. On veut être capable de défendre tout ce qui se passe ici.
Pour les spectateurs habitués des grandes salles, pouvez-vous expliquer pourquoi une ambiance intimiste à la Petite Loge vaut 1000 Olympia ?
P. B. : C’est du concentré, en fait ! Tu es tellement près du comédien que tu peux littéralement lire dans son cerveau quand tu le regardes jouer. Au premier, rang, face au comédien, il ne peut pas tricher avec toi. Tu vois si son travail est suffisant, si son supplément d’âme est là.
Ce n’est pas un spectacle avec énormément de lumière ou de musique qui masque les défauts. Ces défauts, tu les vois, mais c’est agréable d’être en immersion de la sorte.
C’est une petite salle où le spectateur est choyé. En tant qu’habituée, ça me semble important de le mentionner !
P. B. : Et en plus si c’est complet et qu’il fait hyper chaud, on a désormais installé la clim’ ! Les artistes qui disent : « Je ne vise pas le complet par peur qu’il fasse trop chaud », c’est de l’histoire ancienne ! Ça marche aussi l’hiver, c’est une clim’ réversible qui intègre le chauffage… Ça nous fait gagner encore un peu plus d’espace. Pour 16 m², c’est pas mal…
M. R. : Tous les étés, on essaie d’améliorer quelque chose. On a amélioré les banquettes l’été dernier, on a refait les éclairages à Noël… On prévoit d’améliorer le son bientôt.
Vue à la Petite Loge : Rosa Bursztein
C’est vrai que parmi les petites salles, on est bien mieux assis à la Petite Loge qu’ailleurs !
P. B. : Au début, on avait des chaises. Ces banquettes sont encore mieux que les précédentes, elles permettent même de ranger des choses ! Et la mousse est ultra-épaisse — le confort du spectateur, c’est important. Je trouve honteux, dans un grand théâtre, pour des places onéreuses, d’être assise sur un strapontin. Je me retrouve à moitié tordue pour voir quelque chose, car un poteau bouche ma vue…
Revenons à la Petite Loge ! Un souvenir particulier ou une histoire insolite à raconter ?
P. B. : On jouait Huis clos de Sartre. Comme on ne se refuse rien et qu’on est aussi comédiennes, il nous arrive de monter nos propres pièces. Ambiance enfer, espace clos. On joue sur le côté suffocant de l’espace, l’impossibilité de sortir. À un moment, Garcin frappe à la porte — c’est vraiment la porte d’entrée du théâtre visible. On masque complètement l’autre [derrière la scène, qui amène au local poubelles, Ndlr]. Garcin dit alors : « laissez-moi sortir, j’accepte tout, le fer, etc. etc. »
Dans la rue, quelqu’un entend cette voix et ces coups à la porte, et il appelle les flics. On prétend que cette porte est fermée mais en réalité, elle n’est pas bloquée ! Et à la toute fin de la pièce, on est trois chacun sur un tabouret, mais moi, je suis pile en face de la porte. La porte s’ouvre et on entend : « Mademoiselle, c’est la police ! ». Ils avaient un flingue à la main, avec la porte entr’ouverte, appuyés contre le mur du guichet. Ils ne voyaient pas l’intérieur de la salle, le public et les autres personnes sur la scène. J’étais immobile, je ne réagissais pas car ce n’était pas dans le texte de Sartre ! (rires)
J’essayais de leur envoyer des ondes qui leur disait : « dégage, ce n’est pas le moment, nous sommes en plein spectacle. »
Comment avez-vous bien pu vous en sortir ?!
M. R. : Notre chance, c’est qu’il y avait un spectateur qui avait déjà vu la pièce.
P. B. : Il est d’ailleurs humoriste, et il lui est arrivé le même genre d’anecdote !
M. R. : Il est sorti pour expliquer la situation : c’est une pièce de théâtre.
P. B. : On place un panneau « Spectacle en cours » devant la porte, ils ne l’ont pas vu, visiblement.
M. R. : Par contre, c’est arrivé un milliard de fois après les attentats qu’ils cognent en demandant si tout allait bien.
Ça doit aussi dépendre du type de spectacle…
P. B. : Quand c’est du stand-up, ça joue. Le comédien prévient que c’est la police, qu’il ne faut pas s’inquiéter. Pendant un moment, on avait même demandé aux humoristes de les faire entrer, de leur montrer le public et de les laisser faire leur show. Pour Huis clos, une pièce où on dit aux gens depuis une heure que la porte est fermée… Voir cette porte s’ouvrir… c’était quelque chose !
Vu à la Petite Loge : un livreur interrompt un spectacle
Sur le coup, je croyais à une blague. Ça nous arrive souvent de voir des gens se présenter comme humoriste parce qu’ils font deux blagues à leurs copains… Ils pensent qu’ils peuvent jouer à la Petite Loge. J’ai régulièrement eu des gens qui me disent : « Ah c’est quoi, je peux venir jouer chez toi ? », donc je l’ai pris comme ça, comme une blague faite par l’un d’entre eux, frustré de ne pas avoir été pris !
M. R. : Nos jolies histoires sont souvent liées à la police…
Et comment avez-vous fait pour qu’ils comprennent ?
P. B. : Après ça, on a fini par discuter avec l’un d’entre eux pour leur expliquer qu’en soirée, quand les spectacles sont en cours, on ne frappe pas. On a réalisé que l’information ne passait pas entre ceux qui faisaient les rondes ! Dix-quinze jours plus tard, on a réussi à faire en sorte que l’info passe enfin !
M. R. : C’est la même chose pour de nombreux spectateurs qui arrivent en retard. Ils cognent et ne se rendent pas compte que la salle est juste là !
P. B. : Ils voient écrit « le plus petit théâtre de la capitale », et pourtant, le nombre de gens qui entrent et disent : « ah oui, c’est vraiment petit ! »…
M. R. : Le plus drôle, c’est ceux qui pensent qu’ils ont déjà été dans quelque chose de plus petit, et qui demandent si notre slogan est véridique !
P. B. : Ils disent : « non mais parce que, c’était vraiment très petit ! ». Et après, ils réalisent, c’est drôle.
D’ailleurs, ça joue beaucoup sur l’expérience qu’on peut vivre ici. Quand on va à La Petite Loge pour la première fois, on ne peut plus s’en passer. Vous êtes d’accord avec ça ?
M. R. : Nous, on ne peut plus s’en passer !
P. B. : Il y a des moments où on aimerait ne plus pouvoir… (rires)
Vous voyez des gens revenir souvent ?
M. R. : Pas assez, même si c’est de plus en plus le cas. D’abord grâce au format seul-en-scène qui s’est imposé ici, et aussi parce qu’on a amélioré notre communication. On pourrait presque citer les habitués.
P. B. : On aimerait avoir un fond de public comme ça. Après, c’est un travail de fidélisation à mettre en place, avec des newsletters par exemple. Les réseaux sociaux facilitent la fidélisation. Mais l’air de rien, on est deux, donc on ne peut pas tout faire et être partout.
D’autant plus qu’à côté de la gestion de la Petite Loge, vous faites probablement autre chose !
M. R. : Perrine a trois boulots : gérer la Petite Loge, être comédienne et être maman ! Et moi deux, avec la comédie à côté ! Et en communication, sur les réseaux sociaux, on peut être vite dépassé.
P. B. : On rêve de pouvoir utiliser le “swipe up”… mais c’est le genre de trucs où il faut 10 000 abonnés ! Sans se concerter, on avait toutes les deux regardé des tutos pour l’activer, d’ailleurs !
M. R. : Apparemment, il y avait une variante pour les comptes à moins de 10 000 abonnés, mais avec des mots incompréhensibles dedans.
P. B. : Les “tap here” qui aparaissent, et qui ne marchent pas… Ça affiche des commentaires, mais je ne veux pas mettre un petit bonhomme avec des cœurs ! Il faut plus d’abonnés…
M. R. : Et le fait d’acheter des abonnés pour activer des choses comme ça, je ne trouve pas très intéressant. Ce n’est pas des gens qui vont venir, c’est juste une histoire de chiffre, pour donner de la crédibilité.
Le débrief
Perrine et Mélissa sont passionnantes : leurs anecdotes sont toujours étonnantes. On espère que cette première partie d’interview vous aura donné envie de vous y rendre. Mais bien sûr, vous voulez sans doute en savoir plus sur les artistes ! Ça tombe bien, elles vous raconteront tout lors du second volet de cette interview. Vous saurez ainsi comment fonctionnent les auditions, la part de l’instinct dans la sélection opérée et bien d’autres choses encore. Si vous aimez les artistes, on vous promet que vous allez adorer découvrir la suite ! On a impatience de vous laisser la découvrir… Mais d’ici-là, vous pouvez patienter en feuilletant les spectacles à voir en cette rentrée 2019 !
Crédits photo
© Philippe Dureuil