Femmes dans l’humour : le talk de Jessie Varin et Rosa Bursztein

Juliette Follin 08/05/2023

Devant une vingtaine de femmes, Jessie Varin et Rosa Bursztein assuraient un talk sur la place des femmes dans l’humour le 16 mars dernier. Aucun homme n’a fait le déplacement, preuve que le sujet n’intéresse pas tout le monde.

Il faut dire que cela se passait chez Mona, « un point de ralliement dédié aux femmes et à leurs projets », donc ce n’était pas neutre. Très vite, la discussion bifurquait plus sur le fait d’être une femme que d’être humoriste.

Est-ce une occasion manquée de parler d’un sujet si important, mais pour lequel le public présent est déjà convaincu ? Pas si sûr : voici quelques enseignements de cette heure de discussion.

1. L’importance d’être validée dans la communauté militante pour les femmes dans l’humour et au-delà

Le militantisme, pour un moldu de la lutte, est codifié. On pourrait croire qu’il a tendance à s’enfermer dans des termes et des notions théoriques. Par exemple, on a parlé du clivage essentialisme vs. universalisme. Mais était-ce au détriment de solutions concrètes à formuler à ceux qui écartent les femmes du monde de l’humour ?

Ce soir-là, je n’ai jamais autant compris la démarche de Rosa Bursztein. Je me demandais parfois pourquoi certaines de ses créations me laissent au bord de la route (podcast Hotline, livre…). Inversement, d’autres me parlent (spectacle, passages…). Je pensais que c’était une affaire d’ambition. Or c’était plus complexe que cela : Rosa s’adapte aux personnes qu’elle côtoie. C’est sa force, car elle passe ainsi d’un univers à l’autre en le décortiquant. Elle pèse alors le pour et le contre puis se positionne avec ses nouvelles connaissances. Elle mentionne d’ailleurs cela comme un processus de déconstruction.

2. Les femmes dans l’humour qui s’affirment, celles qui dérangent ?

Quoi de mieux que d’apprendre de l’autre par une immersion dans son univers, puis une prise de distance pour forger son opinion ? D’autres pourraient, à l’inverse, se demander si cette démarche dilue la pensée de Rosa dans le moule idéologique des communautés qu’elle intègre. Après tout, il n’y a rien de plus humain que de s’adapter aux autres, à la fois pour s’enrichir mais aussi pour vivre cette acceptation.

Dans ce cas, pourquoi cela dérange-t-il autant ? Est-ce qu’un homme essuierait les mêmes critiques ? Car on sait que Rosa, en étant transgressive, « déchaîne les passions ». Ce sont d’ailleurs les termes que Jessie Varin a employés pour évoquer les postures de femmes qui dérangent car elles s’assument et brisent les chaînes qui les cantonnaient à un rôle féminin d’un autre temps.

Parler, faire rire, critiquer, compter dans l’espace public : on sent parfois que ça dérange, en tant que femme. Les attaques sur la sphère affective naissent et touchent nombre d’entre nous. Or tout ceci ne devrait pas nous disqualifier, surtout lorsqu’on sait que les femmes sont motrices dans l’organisation de sorties humoristiques.

3. Peu importe nos référentiels et notre vision du monde, nous sommes toutes dans le même bateau

Alors que le talk arrivait à son terme, Jessie Varin, directrice de la Nouvelle Seine, a avancé que nous admirions toutes Victoire Tuaillon pour ses podcasts. J’ai dû taper son nom dans un moteur de recherche pour vérifier son orthographe.

Ce n’est pas que je ne la connais pas. Toutes les personnes qui ont une application de podcasts connaissent ses programmes, même sans les écouter. Ils sont en tête de gondole, et les injonctions à l’écouter pleuvent de podcast en podcast.

Mais je n’ai pas tous les codes, puisque je venais à ce talk pour m’informer davantage sur la comédie que les femmes. La première question de la soirée se cantonnait à la position de femme, l’humour était absent. J’ai presque regretté mon choix de soirée… Mais j’ai tenu bon. En effet, sans partager tout à fait le même vécu ou écouter les mêmes podcasts, nous savons que nous sommes toutes dans le même bateau.

Le podcast bonus qui vient de sortir : Farah parle de stand-up et de santé mentale

Pour ceux qui ne connaissent pas encore Farah, nous l’avons érigée découverte humour l’an passé. Vous pouvez lire le portrait de l’humoriste belge ici. Dans cet épisode, Farah dresse un portrait éclairant du monde de l’humour, de l’économie du rire et de l’authenticité des relations en son sein. Et si vous écoutez jusqu’au bout, vous découvrirez en primeur une info exclusive…

4. L’importance de développer son esprit critique sur les inégalités de traitement dans l’humour

Précisons ici, même si j’essaie de le faire oublier, que je suis aussi une femme qui s’exprime, qui sait faire tourner un site web et influencer un petit milieu. Je n’ai pas le parcours universitaire de Jessie Varin (même ville, mais anglais vs. sociologie) ou l’environnement familial de Rosa Bursztein. Tout est plus rural, foutraque, éloigné des visions à la Télérama.

Pour autant, je me retrouve confrontée aux mêmes problématiques de femmes qui agissent dans une industrie à dominante masculine. Pas pour la première fois, tant le choc culturel avec le monde de la bagnole est flagrant. Au lieu de me demander ce que ça fait d’être une femme, j’ai tendance à consacrer mon temps à la promotion des talents. Je ne reste pas ignorante sur ces questions, cependant. Certes, je ne lis peut-être pas Mona Chollet ou Alice Coffin. Je leur préfère des figures liées à l’humour telles que Coline de Senarclens, Laura Chaignat, Marie Fourquet et Marie Riley pour décrypter les codes militants.

Des voix plurielles pour y voir plus clair ?

Ce n’est donc pas seulement via Rosa ou Jessie que j’ai compris les problématiques des femmes humoristes, en réalité. C’est aussi davantage en écoutant le duo Mamari et Marion Mezadorian dans le podcast « Sur un plateau ». Surtout, c’est en échangeant avec les personnalités de la nouvelle génération. C’est enfin via la richesse de mondes où le pragmatisme et la passion de la comédie coexistent avec une idéologie qui ne prend pas toute la place.

Mais j’ai appris que l’idéologie est importante pour défendre des idées, les confronter à l’opinion et engendrer des changements de regard. Il faut juste passer outre l’agressivité des militantes excédées de devoir réexpliquer les choses, savoir les écouter et décortiquer leurs discours. Nos paroles et visions du monde ne sont ainsi pas interchangeables. Tirons donc profit de cette richesse-là pour rendre le milieu de l’humour plus accessible.

Retour sur le dossier « Stand-up : génération féministe » dans Causette

En mars dernier, Rossana di Vincenzo publiait un papier dans Causette sur la nouvelle génération de féministes dans l’humour. Elle y évoquait des talents qu’elle a souvent l’habitude de mettre en avant : Rosa, Tahnee, Laurent Sciamma, Mahaut ou encore Laura Domenge.

Résultat : ce nouveau papier n’apportait pas grand-chose, puisqu’il s’attelait à convaincre un public déjà conscient de leur valeur. En prime, Florence Foresti et Blanche Gardin se prenaient un taquet. En cause : elles ne seraient pas dans le bon camp des féministes.

Heureusement, Mahaut tempérait intelligemment : « Mais quel que soit le positionnement, qu’il soit woke ou non, je n’aime pas la condamnation ». Un rappel qu’il est de bon ton d’avoir en tête quand on aborde ces questions. En effet, les adversaires des femmes dans l’humour exultent à la moindre division parmi la sororité…

Waly Dia en couverture de Télérama Sortir

Une question de ligne éditoriale

Or avec un autre angle et de nouvelles têtes, Causette aurait-il publié un papier de Rossana di Vincenzo ? Rien n’est moins sûr… Quand je travaillais dans le milieu des sports mécaniques, un grand média m’a demandé de parler des femmes qui concouraient. Je n’avais pas la liberté de choisir qui j’allais mettre en avant, ni de proposer un autre sujet…

Pour aller plus loin sur le thème des femmes dans l’humour, je vous recommande le documentaire Les femmes préfèrent en rire. Et sur la légitimité de Rossana di Vincenzo, rappelons-nous que quelques semaines plus tard, elle dévoilait un papier très fouillé sur la censure à la télévision et plaçait Waly Dia en couverture de Télérama Sortir. Car dans les médias comme sur scène, imposer sa patte est un combat de tous les instants, où l’on doit concéder quelques batailles pour espérer triompher plus tard…

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