Laura Chaignat : Presque Phèdre, déjà star

Juliette Follin 11/03/2023

Laura Chaignat a lancé son spectacle Presque Phèdre au Théâtre Boulimie à Lausanne. Celle qui assurait les matinales de Couleur 3 a ainsi plusieurs cordes à son arc, qu’elle déploie largement dans ce show généreusement dense lancé en grande pompe ! Et devant un parterre de personnalités audiovisuelles suisses. Un pari audacieux, récompensé par une prestation d’excellence.

Dans Presque Phèdre, Laura Chaignat dépeint son parcours vers la comédie dramatique

Que je l’attendais, ce spectacle ! Laura Chaignat, c’était pour moi cette fille trop cool qui bosse à la radio et se permet d’amener du Sash dans les Bras cassés. Une photographie déjà super, mais qui rogne pourtant son potentiel.

Une première de spectacle, c’est parfois un rendez-vous manqué. De l’à-peu-près, du presque, quoi. Or Laura Chaignat semble au contraire vouloir tout parfaire. D’une part, elle a l’intelligence de s’entourer. Beaucoup. Au point de devoir construire ce tableau (je vous épargne la prod et la diffusion) :

Quifait quoi ?
Laura ChaignatTexte et jeu
Marie FourquetDramaturgie
Aude Bourrier (beaucoup) et Robert Sandoz (un peu)Mise en scène
Lionel FrésardRegard extérieur
Serge PerretScénographie
Jérôme BuecheCréation lumières
Cee-RooComposition musicale
Valère VeyaHabillage sonore
Lydia BessonCréation costumes
Simon IselyRégies

Avec ce onze de légende, quels sont les points forts de ce spectacle ?

L’immersion scénique

Planter le décor : l’expression sied parfaitement à la scénographie de Presque Phèdre. Physiquement, le décor est complexe, presque à tiroirs. Chaque élément rend finement service au spectacle. La lumière de l’ampoule aux couleurs évolutives, les bottes jurassiennes qui délogent les chaussures de ville dans un duel épique, le rideau de porte contre-insectes… La liste est loin d’être exhaustive !

Outre les accessoires, le jeu amène Laura à voyager entre les régions et les personnages. Il y a du Marion Mezadorian dans l’aspect conteuse qui fait naître des émotions. Une coïncidence qui s’explique aussi par leurs parcours du milieu de nulle part à l’envie de monter à Paris. Dans les deux cas, l’interprétation est d’une justesse rare. Elle témoignage ainsi des sacrifices et de la fracture culturelle et familiale qui en découlent.

L’hommage à la radio, de Fréquence Jura à Couleur 3 et La 1ère

Sur cet aspect, je revêts ma casquette de passionnée de radio. J’ignore comment ceux qui ne l’écoutent pas (quelle drôle d’idée) consommeront Presque Phèdre. De Fréquence Jura à Couleur 3, on se téléporte dans l’ambiance des studios.

Une ambiance souvent foutraque et propice à l’épuisement par passion. Laura Chaignat a été longtemps au service des matinales. Horaires décalés, invités aux abonnés absents, insomnies chroniques… Voilà de quoi dévier la trajectoire d’une future grande comédienne, aussi déterminée soit-elle.

Le rêve en fil conducteur

En matière de thème fédérateur, le rêve occupe la pole position. On en a tous, qu’on doit mettre de côté par procrastination, nécessité ou auto-censure. Ajoutez à cela le fait d’être destiné à tout autre chose, et la coupe est pleine ! Laura Chaignat, comme dans le podcast Causette, nous apostrophe d’emblée : c’est quoi votre rêve ? La question a de quoi désarçonner et titiller (en bien) chaque spectateur !

Autre frein aux rêves : être une femme. Presque Phèdre est un spectacle résolument féministe, qui compte emporter toute une génération de femmes vers son émancipation. Tout à coup, le rêve devient concret. On n’est plus sur le récit autocentré d’une artiste, mais sur un combat qui nous lie toutes.

Rassurez-vous, on n’est pas sur du girl power fadasse digne de pop stars en quête de buzz. Le spectacle de Laura Chaignat bouscule autant qu’il livre des chemins pour avancer. En cela, il va au-delà du divertissement.

Laura et son histoire, la richesse ultime du spectacle

Venons-en au clou du spectacle : Laura Chaignat. La comédienne a le charisme marqué d’une Laura Calu. Ajoutez à la rage de vaincre de son homonyme une finesse et une sensibilité très appréciables, et vous obtenez une artiste à suivre.

Lorsque Laura Chaignat narre ses rêves d’exil du Jura, avec en toile de fond le grand théâtre lausannois et l’immeuble Haussmannien, on la suit comme une évidence. Le spectacle est d’une densité rare, ponctué d’instants 100% Laura Chaignat. Ceux qui la voyaient s’ambiancer à 6 heures du matin sur de la musique électronique épique la retrouveront inchangée.

Quand on travaille autant sur son spectacle, parfois, l’authenticité s’étiole. Laura Chaignat parvient ainsi à ne pas tomber dans ce piège. Elle livre ainsi un récit d’une combattante, qui se matérialise dans un jeu qui frôle la lucha libre. Par exemple, la matérialisation corporelle de ses combats intérieurs rend le final sauvage et marquant.

Verdict : Laura Chaignat, Presque Phèdre mais pleinement comédienne

Pourquoi vouloir se muer en une autre lorsque sa propre histoire se révèle inspirante ? J’ignore si Laura Chaignat a réfléchi à la question. Cependant, elle a eu la très bonne idée de créer un spectacle d’une force rare, surtout en début d’exploitation. Ses multiples talents d’écriture, de jeu et de chant y sont clairement pour quelque chose.

Et si, avec Presque Phèdre, Laura Chaignat avait déjà atteint un point culminant ? Gageons qu’il soit le premier sommet d’une longue lignée.

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