Critique – Sam, le Garçon qui va faire parler de lui

Juliette Follin 20/05/2024

Sam joue son spectacle Garçon Ă  la Petite Loge. Ce premier opus, NoĂ©mie de Lattre le met en scĂšne. NoĂ©mie de Lattre est actuellement Ă  l’affiche avec L’harmonie des genres. Elle a aussi proposĂ© le spectacle FĂ©ministe pour homme — vous ne pouviez pas manquer l’affiche dans Paris Ă  l’époque. Autre information : Sam (Samuel Certenais) sort de 3 ans de formation Ă  l’EHAS.

Un CV artistique passé au crible


Avec tous ces Ă©lĂ©ments, mon premier rĂ©flexe a Ă©tĂ© de snober ce show. Trop peur de revivre un Laurent Sciamma bis (Bonhomme). Les spectacles sur la masculinitĂ©, c’est casse-gueule parce que cela peut sembler opportuniste. Aussi, on peut recycler des discours de lutte sans apporter du vĂ©cu, sans sa touche personnelle.

Et le risque est aussi de prĂȘcher des convaincus et cliver ceux qui pourraient progresser Ă  l’écoute du spectacle. Enfin, l’EHAS ou l’École du One Man Show me font craindre qu’on va encore sortir des gens formatĂ©s pour les festivals, Ă  l’originalitĂ© nulle car ils ont appris Ă  recycler des vieux sketches des annĂ©es 1990. C’était ça dans le temps pour l’École du One Man Show. L’EHAS, prolongement de Kandidator, pouvait annoncer le meilleur comme le pire


Heureusement, quelque chose me rassurait. Il officie Ă  la Petite Loge, pas Ă  la ComĂ©die des 3 bornes. La ComĂ©die des 3 bornes a, certes, rehaussĂ© son niveau de programmation. Cependant, c’était parfois l’antichambre des paroles fĂ©ministes qui ne sortent pas de leur cadre. À la Petite Loge, Perrine et MĂ©lissa auditionnent et dĂ©veloppent les talents sans concession. Une garantie rassurante.


avant de convaincre avec brio : Sam est-il le garçon ultime ?

Le spectacle Garçon de Sam relate son parcours, d’une enfance affectĂ©e par la maladie (rĂ©volue) jusqu’à nos jours. En toile de fond, son rapport aux filles, aux femmes, aux garçons, aux hommes. Jusque lĂ , rien d’étonnant.

Or si je reprends ma critique sur BilletRéduc, postée quelques minutes aprÚs le spectacle
 Voici un résumé de ma pensée.

Encore un spectacle sur la masculinitĂ©, vous dites ? Laissez de cĂŽtĂ© ces prĂ©jugĂ©s et Ă©coutez, riez, dĂ©lectez-vous de la grĂące de cet artiste complet, capable de vous conter sa vie et faire dĂ©filer la vĂŽtre en l’imaginant tout autre si le monde avait Ă©tĂ© ajustĂ© diffĂ©remment. Les applaudissements Ă©taient interminables tant le public a senti comme un tournant, des vents non plus contraires mais nous poussant dans un monde meilleur. Je ne m’attendais Ă  rien, je suis sortie comblĂ©e. Bravo, c’est trĂšs drĂŽle !

Touché par la grùce

Sam voulait plaire Ă  son pĂšre, comme tant d’autres mecs. Le foot Ă©tait la voie royale, il l’a donc suivie. Jusqu’à cet incident de parcours qui l’amĂšne Ă  explorer et observer la vulnĂ©rabilitĂ© Ă  un Ăąge inhabituel. PlutĂŽt que de tomber dans le misĂ©rabilisme, il distille des moments de joie et d’hilaritĂ© un peu partout. Le storytelling est impeccable, servi par une performance aussi textuelle que corporelle.

Sans privilĂ©gier les personnages ou le stand-up, il livre son rĂ©cit avec une authenticitĂ© rare. Des sujets, souvent effleurĂ©s par la concurrence, existent ici en profondeur. Surtout, son histoire est personnelle, non dictĂ©e par un discours engagĂ© recrachĂ© tel quel. Sam est un garçon, un homme libre. Son spectacle relate cette quĂȘte de libertĂ©, et ça fait un bien fou.

Quand certains imitent les codes d’une masculinitĂ© moderne par conformisme, il se les rĂ©approprie et dĂ©veloppe son identitĂ© de maniĂšre singuliĂšre. J’ai aperçu cette prouesse rare chez deux artistes : Alexandre Kominek et Albert Chinet. D’ailleurs, ceux qui aiment Carlos adoreront Sabrina — l’accent hispanique est 100% compatible avec le plaisir.

Le spectacle Garçon de Sam : un message universel sur la quĂȘte de soi

Pendant que Sam fait dĂ©filer sa vie en une heure de spectacle, vous voyez la vĂŽtre se matĂ©rialiser Ă  son tour. C’est vrai qu’à l’époque (les annĂ©es 2000 pour moi), les garçons Ă©taient comme ça, les filles comme ça. Il y avait bien des variations, mais parmi elles, combien se retrouvaient bridĂ©es ? Une majoritĂ©, assurĂ©ment. Les adultes regardaient, hagards, sentant parfois que quelque chose clochait. Au lieu d’aider, ils blĂąmaient, ne sachant pas rĂ©agir. Le cocon fĂ©minin autour de Sam l’a bien aidĂ©, et il a su, petit Ă  petit, le transmettre Ă  ses frĂšres d’armes


Lorsqu’il parle d’intimitĂ©, chacun peut s’identifier. Que ce soit nous-mĂȘmes ou les gens que nous rencontrons. Ce mec qui rougit parce qu’il n’a pas le permis. Cette meuf qui dĂ©veloppe des passions de mec et qui se fait rejeter. Tous les gens qui ont voulu s’approprier le meilleur du sexe en mettant les injonctions de cĂŽtĂ©.

Un savant équilibre entre humour, émotion et parole engagée

Sur le plan comique, car on ne peut pas faire l’impasse, oĂč se situe le spectacle Garçon de Sam ? Le storytelling me rappelle celui de Marion Mezadorian : Ă©mouvant, avec des moments oĂč le rire accompagne ou rompt l’émotion.

L’originalitĂ© est au rendez-vous : l’authenticitĂ© nous captive de bout en bout. Enfin, quand vous connaissez l’expression show, don’t tell, vous apprĂ©ciez ne pas entendre des notions thĂ©oriques lancĂ©es comme des mots-clĂ©s comme « patriarcat ». Je crois qu’il ne le dit jamais — un peu comme une Dena qui adopte une approche “comedy first”.

La justesse qui en rĂ©sulte impressionne, Ă©meut ; chacun rĂ©alise qu’il a vu un grand spectacle. Qu’il poursuive son chemin au Théùtre du Marais ou Ă  la Nouvelle Seine, Sam va faire parler de lui. Pour l’heure, laissons-lui du temps — c’est fou de se dire qu’il vient tout juste de commencer sa carriĂšre comique !

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