Des Batignolles au Sacré Frenchy : deux salles, deux ambiances

Juliette Follin 31/10/2019

Chaque soir de stand-up est différent. Ce mardi, je découvrais le Batignolles Comedy, un nouveau plateau non loin de l’Européen. Une première rencontre inattendue, car je devais me ménager pour la soirée de la semaine, voire du mois : l’anniversaire du Laugh Steady Crew.

Mais vous savez ce que c’est, quand vous attendez quelque chose avec impatience. C’est souvent décevant. L’était-ce ? En grande partie, et c’est douloureux quand la rentrée du plateau a été si bonne. Mais il faut des soirs en demi-teinte pour vivre des moments inoubliables, alors j’ai hâte de revenir au Sacré Frenchy !

Batignolles Comedy : Vega & Vega et Renaud Sanviti assurent

Le Batignolles Comedy est une petite salle, qui rappelle la configuration du 33 Comedy à la Grange en plus intimiste encore. Je me suis tout de suite sentie chez moi. Les MC sont Vega & Vega, un Franco-Espagnol rigolo, et Renaud Sanviti, le puriste du stand-up comme on aime l’appeler.

Renaud assurait sa première chauffe et s’en sortait avec les honneurs. De plus, son passage sur les motocrottes me rappelait le jour où j’ai entendu ce terme pour la première fois : avec Éric et Ramzy. J’étais tellement saisie par ce moment que j’ai écrit un article, l’un des premiers du site…

Dans le line-up, on était ravi de retrouver Omar DBB, que les autres humoristes adoraient en coulisses. Il y avait aussi Pierre DuDza, dont l’énergie nonchalante fonctionnait particulièrement bien. Je l’ai trouvé aussi épuisé de vivre qu’attachant, et c’était un moment vraiment exceptionnel.

Bref, on riait sur scène et hors scène, c’était convivial et j’ai repoussé l’heure du dîner plus que de raison juste car je ne voulais pas quitter cette ambiance. Un cocon, le seul endroit où j’aurais voulu être à ce moment-là. Je vous conseille vivement cette expérience stand-up.

Anniversaire du Laugh Steady Crew au Sacré Frenchy : une soirée en dents de scie

Je ne sais pas si c’était le contraste avec les Batignolles, mais le Laugh Steady Crew a joué avec mes nerfs 24 heures plus tard. Il s’agissait d’une édition anniversaire, donc j’ai imaginé une ambiance similaire au Bar à Bulles.

En réalité, la soirée était assez banale. Pourtant, elle commençait très bien avec l’Open Mic. Pour l’occasion, les meilleures recrues de la scène ouverte bénéficiaient d’un passage au Sacré Frenchy. Le lieu est mieux que le Maximilien, mais c’était difficile de faire pire. La salle du Maximilien est bien, mais le cadre du bar ne m’a jamais fait vibrer. Là encore, c’est la salle qui porte le lieu, car la partie bar minuscule a suffi de dégoûter l’agoraphobe que je suis.

Mais le cadre, on s’en fout un peu. Ce qui compte, ce sont les artistes sur scène. Comme tout le monde l’avait pronostiqué, Noah et Jean-Paul se démarquaient des autres lors de l’open mic. C’est tout ? Non, parce qu’il y avait un homme au-dessus de tous les autres. Un super-héros du rire : Humourman.

Alors Humourman, c’est un clown. Un clown, depuis le départ d’Aude Alisque du Laugh Steady Crew, ça manque cruellement à la troupe. Son passage était peut-être encore perfectible, mais sa présence était enthousiasmante. J’ai particulièrement apprécié les longueurs et silences, et puis ensuite son jeu à la toute fin de la soirée. Il jouait comme un enfant en flirtant avec le jeu de l’humoriste et celui d’un type qui se retrouve dans cette situation, comme Jean-Philippe de Tinguy pouvait le faire. L’année prochaine, Thierno, intègre ce futur génie dans la troupe ! C’est un ordre.

En ce qui concerne les autres humoristes de l’open mic, le niveau était correct par rapport aux attentes. Ayrton était celui qui empruntait le plus les codes du stand-up au détriment d’une proposition personnelle, mais s’il s’applique, il pourra progresser. Au stade de l’open mic, ça va.

Quand les meilleurs outsiders de l’open mic tutoient l’équipe régulière du LSC

Avait-on encore de l’énergie pour la suite de la soirée ? Un peu moins, mais l’enthousiasme nous maintenait en haleine. Il aura été de courte durée. Déjà, l’un des deux guests était absent : Alexandre Kominek joue son spectacle au même moment, difficile pour lui d’arriver avec plus de 30 minutes de retard… sur la fin de la soirée. Dommage.

Ensuite, le set de Haroun était certes très bien, mais je le voyais pour la troisième ou la quatrième fois en deux semaines. Une circonstance atténuante qui me faisait attendre la suite. Mahaut, qui venait d’apprendre une nouvelle perso difficile, assurait tout de même sa prestation comme une battante. Avec les circonstances, cela rendait le tout impressionnant, mais sans cette explication de texte, ce n’était pas sa meilleure prestation. Forcément, et on ne lui en tiendra pas rigueur du tout.

Cela restait mou avec la suite de la troupe : les prestations n’étaient ni bonnes, ni mauvaises à mes yeux. Mais, comme pour la fois où j’ai vu Marina Rollman un soir triste, la magie n’opérait pas. Di Mambro et Audrey Jésus s’en sortaient mieux que les autres, mais cela ne m’aidait toujours pas à profiter à 100 %. Et puis il y a eu le set d’Avril. Et là, c’était le drame.

Coupes fatales

Avril, c’est un maître dans la prise de risque, mais c’est aussi un humoriste qui a besoin d’expérience pour déployer tout son potentiel. Alors quand il a commencé un set en jouant un personnage macho et odieux, le clivage commençait.

C’était brutal. Comme le coup de tête de Zidane à la coupe du monde 2006. Je me disais, cherchant une once d’humanité chez le comédien pour me rassurer : « C’est normal, ne panique pas. Il va venir nous récupérer en contrebalançant quelque part… ».

L’idée de base, c’était de jouer le rôle d’un défenseur du patriarcat qui donnait un atelier pour conserver ses privilèges. L’intention, c’était de produire un truc féministe tellement le personnage était grotesque, pour tourner en ridicule ce type de propos. Mais comme le moment salvateur n’arrivait pas, on s’est tous plus ou moins dit : « Mais, d’où il prend le micro ce mec ? Il se prend un mur, et il accélère en plus ! ».

Du coup, après une nuit de sommeil agitée où je me disais : « oh non pas ça, pas après tout ce que tu as fait… », j’ai été à la pêche aux infos. Il fallait faire 2 minutes plus court, et qu’est-ce qui a sauté ? Les parties de désamorçage. Ben voilà. Bonne lecture du jeu, n’est-ce pas ?

Le passage m’avait tellement désarçonnée que j’écoutais d’une oreille celui de Pierre DuDza. Arrivé par la porte comme une superstar, il avait l’air d’être bon, mais je restais en PLS des cinq minutes précédentes. Morgane Cadignan, dans le public, me demandait si j’aimais bien Pierre car je ne réagissais pas. C’est vous dire. Je crois que Pierre a été le meilleur de la soirée, mais je suis incapable de vous l’affirmer.

Culture du roast

Les roasts n’étaient pas assez bien structurés. À la base, Jimmy, le MC, devait départager des duels. Au final, Mahaut a décidé de lancer ses missives à chacun. C’est dommage, car il n’y en a pas eu pour tout le monde.

Les roasts, je connais mal leur mécanisme. Mais j’ai trouvé que ça allait trop souvent en-dessous de la ceinture gratuitement. Heureusement, Anissa Omri était la plus percutante et la meilleure dans cet exercice. Pierre DuDza était moins bon qu’à l’habitude, surtout qu’il nous a resservi une punchline déjà faite.

À part une ou deux autres répliques bien senties, l’ensemble de la troupe était en-deçà de mes attentes. Dommage pour cette occasion manquée, même si c’était bien meilleur que l’aperçu des roasts de l’Entrepotes Comedy avec Guillaume Dollé, Julien Sabas et Adel.

Un conseil, donc, pour tous ceux qui veulent faire des roasts : regardez Crashing ou d’autres trucs. Pour une fois, je veux bien qu’on s’inspire des Américains. Ou qu’on crée des joutes verbales à la française, de la poésie sanguinaire ou l’art de complimenter par des arguments inversés. Je dis peut-être ça pour mon texte adressé au Cercle du rire, même si franchement, je serais incapable de roaster quiconque sur scène et que je respecte la prestation du LSC.

Assister au débrief : Thierno Thioune, capitaine d’équipe fédérateur

La soirée terminée, j’ai eu la curiosité d’écouter le débrief du metteur en scène, Thierno Thioune. Je voulais savoir si j’étais la seule à avoir passé une soirée en demi-teinte. Il y avait du travail, semble-t-il, mais Thierno voulait surtout créer une émulation, un esprit de troupe. Globalement, la soirée était meilleure que mon ressenti. C’est vrai que je ne passais pas la soirée de ma vie, et que quand le public n’est pas dedans, certaines choses paraissent pires qu’elles ne le sont vraiment.

En tout cas, c’était très instructif d’entendre Thierno prodiguer des conseils très justes et mesurés. Et ce côté capitaine d’équipe fédérateur… J’étais bluffée, bluffée aussi par l’écoute qui régnait à cet instant solennel. Ça bosse dur au Laugh Steady Crew, c’était juste un anniversaire sans folie. Comme si ça tournait tellement bien que le travail prenait le dessus sur la célébration. C’est peut-être ça, le secret : travailler chaque jour de la même manière, en ignorant les circonstances exceptionnelles.

Après le débrief, j’ai erré de personne en personne, incapable de rester ou de partir, jusqu’au moment où j’ai accepté qu’il fallait se casser. Une nouvelle scène m’attend ce jeudi soir, et après un accident de parcours, il faut remonter en selle tout de suite. Je vais faire ça, donc.

Crédits photo

Anissa Omri © Maayane Bouillon

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