Interview Avril : « Le stand-up, ce n’est pas un rêve de gosse »
Ma rencontre avec Avril a marqué l’arrivée de la toute dernière génération humour. C’était une époque où je me plaignais beaucoup de la pénurie de nouveaux talents. En face de moi, j’avais un nouveau venu qui ne connaissait pas mon site. Pour une fois, je me sentais en vacances : le type ne voulait pas décrocher un article ou une interview à tout prix. À l’inverse, il n’était pas dans ce pool de jeunes humoristes plus enclin à se plaindre de voir ses premiers sets ou son premier spectacle résumés sur le spot du rire. Il a préféré laisser les choses se faire et se concentrer sur sa progression.
Il n’avait donc pas dit grand-chose ce soir-là. De mon côté, je me souvenais vaguement de l’avoir vu à la Topito Open Mic Night du Jardin Sauvage. Je me suis dit qu’il était assez bon pour une scène ouverte et déjà à l’aise sur scène. Mon cerveau a ensuite mis l’information de côté, tandis qu’il prenait la mesure de la scène lors de ses premiers mois au Laugh Steady Crew.
Un an plus tard, tout a changé. J’ai finalement mis du temps avant de comprendre cet humoriste : quel est son style ? Son but ? Même s’il communique beaucoup, on en sait finalement peu sur cet artiste ambitieux, qui s’est même lancé dans l’écriture d’un roman, L’Omphalos. Cette interview d’Avril est là pour réparer cette anomalie…
L’interview d’Avril
Tu as commencé la scène parce que tu as vu des interviews de gens qui bossaient comme auteurs ici ou là, d’humoristes et d’autres. C’est une manœuvre de réseautage qui finalement t’a happé dans le game du stand-up ?
Absolument. Je suis rentré dedans pour le réseau, parce que je voulais me lancer en tant qu’auteur et je savais que les humoristes étaient souvent sondés pour des missions d’écriture TV et radio. J’y suis resté parce que ça m’a plu. Aujourd’hui je me retrouve avec un spectacle (né à La Petite Loge, aujourd’hui au Métropole) donc mes priorités se sont inversées. Il est plus facile de se rémunérer en tant qu’auteur qu’en tant qu’humoriste. Donc, pendant que l’État me fournit gentiment de quoi me sustenter, je joue au maximum. Quand je ne pourrai plus, là je reviendrai à l’écriture.
C’est peut-être moins concurrentiel ?
C’est surtout qu’on recherche des auteurs pour énormément de choses. Les entreprises cherchent des auteurs pour de la rédaction, par exemple. C’est un univers beaucoup plus large que le stand-up.
D’ailleurs, tu es plutôt du genre compétiteur…
Oui. Quand j’étais petit, je faisais beaucoup de foot et ce n’était pas évident de jouer en équipe. Quand les autres n’étaient pas bons, je me détestais de leur en vouloir, et quand je n’étais pas bon, je culpabilisais pendant des jours. J’ai donc vite misé sur du sport individuel, en rentrant en centre de compétition de tennis. Le truc, c’est que les parents de mes amis les emmenaient à tous les tournois. Mes parents bossaient 70 heures par semaine, alors quand les autres faisaient 30 tournois, j’en faisais un seul, que je perdais vite parce que j’avais un mental de merde… Ça m’a énervé de les voir plus progresser que moi, et j’ai arrêté.
Pendant très longtemps, j’ai pensé avoir perdu cet esprit de compétition, mais avec le stand-up, c’est revenu. Je précise que c’est un esprit de compétition dirigé vers moi-même : quand je monte sur scène, les autres m’importent peu, j’ai juste envie d’être fier de moi, ce qui est déjà énorme car j’ai un gros niveau d’exigence. Je veux repartir de scène en étant content de ce que j’ai proposé.
Pour en arriver là, tu as suivi les cours Clément et une formation plus théâtrale, dans l’interprétation. Aujourd’hui tu sembles beaucoup plus à l’aise dans un univers stand-up, mais en quoi ça te sert aujourd’hui d’être passé par-là ?
Franchement, je partais de tellement loin en matière d’aisance que ces 3 ans m’ont surtout servi à arrêter de me chier dessus. En cours, quatre fois sur cinq je refusais de monter sur scène. J’avais peur d’être nul. Longtemps, j’ai mis ça sur le dos d’une absence d’ego, mais je pense finalement que c’est l’inverse. Quand tu as trop d’ego, quand tu penses être capable de choses géniales, eh bien tu refuses de faire des choses moyennes, par peur de réaliser que tu es en-dessous de là où tu t’imagines.
Comment as-tu renversé la situation ?
En apprenant à accepter de ne pas être bon. Sur scène, la perfection n’existe pas. Au début, quand je jouais et que je n’étais pas bon, ça me déprimait. Et puis j’ai appris à être fier de moi, je me disais : « Ok, ce n’était pas dingue, mais tu l’as fait et ton ego et toi y avez survécu. C’est extraordinaire, continue ».
J’ai grandi avec une mère qui disait : « Ne te soucie pas de ce que pensent les autres : l’important, c’est ce que tu penses de toi. ». Et en fait, je crois que je fonctionne à l’inverse. Si je m’écoute moi, je peux abandonner très vite. Donc j’apprends à écouter les autres, en faisant une moyenne évidemment, car si tu n’écoutes que le négatif tu meurs et si tu n’écoutes que le positif tu prends le melon. Aujourd’hui, je fais une synthèse : j’écoute les gens en qui j’ai confiance tout en continuant de prêter attention à cette petite voix qui me dit que c’est insuffisant. C’est l’équilibre que j’ai trouvé.
Être sur scène, c’était peut-être aussi quelque chose que tu n’aurais jamais imaginé être capable de faire 10-15 ans plus tôt ?
Grave, c’est improbable quand j’y pense. Les gens n’imaginent pas d’où je viens quand ils me voient aujourd’hui. J’étais en école spécialisée. Ma vie c’était fixer le sol, ne parler à personne, faire du sport et tenter désespérément de tomber malade pour ne pas aller en cours… Je n’avais donc aucune prédisposition à faire cela. Et puis tout s’est débloqué petit à petit. De plus en plus, les gens ont commencé à me dire qu’ils me voyaient faire ça. C’est grâce à eux que j’ai commencé.
Tu as connu une ascension assez rapide grâce au Laugh Steady Crew, avec par exemple la soirée au O’Friendly’s. Est-ce que tu trouves que ce début a été précipité, ou au contraire bénéfique ?
J’ai presque commencé avec le Laugh Steady Crew, comme Pierre Metzger. J’étais vierge de toute influence et je me retrouve dans un endroit où j’ai le droit, et même l’obligation, de tester, avec un metteur en scène, Thierno Thioune, qui te pousse à trouver ton personnage par tous les moyens. C’est un luxe extraordinaire ! Je suis arrivé là avec une motivation très forte et l’envie de bien faire, c’est pour ça qu’ils m’ont appelé le délégué ! Le LSC, c’est une formation de dingue.
Le fait de me mettre au chômage m’a aussi grave aidé, faut être honnête. Mais le truc qui m’a fait le plus progresser, je pense que c’est de tester énormément. Ça peut me coûter à court terme, car tester, c’est renoncer à une certaine efficacité, mais à moyen et long terme, ça me servira. Ce soir, je joue au Cercle du Rire et mis à part 3-4 vannes, ça va être du full test.
Et quand tu fais des auditions, tu intègres aussi du test ou bien c’est trop risqué ?
Pour l’audition à la Petite Loge, j’ai proposé 5 minutes de contenu déjà joué et 15 minutes de test. Des fois, je me mets des challenges et je me dis que je suis un peu con ! (rires) Mais quelque part, tester, c’est aussi une forme de facilité. Si tu te plantes avec du sûr, c’est la merde, alors que se planter avec du test… Tu te protèges quoi. Tester, c’est un peu le courage d’être lâche…
Pourtant, faire du test à une audition de la Petite Loge, c’est peut-être une bonne stratégie…
En fait, c’est cohérent : pour mon heure, je vais commencer avec 60% de test pur, 60% de trucs que je n’aurai jamais joué nulle part. Je ne veux pas le tester et le roder en plateau. Mon rodage à la Petite Loge, ce sera mon spectacle à la Petite Loge.
La scène, être auteur, avoir envie de faire de l’impro. N’as-tu pas aussi envie d’explorer tous les genres ?
Mon taf idéal serait d’avoir plusieurs tafs. Produire, jouer, écrire… Comme je n’ai pas une bonne capacité de concentration, c’est mieux pour moi de varier ce que je fais pour rester efficace. Aujourd’hui, je commence à aimer jouer. Je suis du genre à me poser beaucoup trop de questions, alors me lâcher un peu et me donner la possibilité d’explorer des choses, ça me fait énormément de bien. Quand les contraintes salariales me rattraperont, je devrais prendre des décisions. Pour le moment, je profite, et j’apprends à me connaître.
Ça donne une certaine liberté et une indépendance…
Là, je ne sais pas si je pourrai retravailler dans un bureau. Me lever quand je veux, choisir la manière d’organiser mes journées… Cette indépendance, c’est tellement génial.
As-tu un rituel d’écriture/de création spécifique ?
Mon seul rituel, c’est la solitude, même si on s’appelle souvent avec Pierre Metzger pour se faire des retours sur nos textes. J’essaie de me fixer des sessions d’écriture et de m’y tenir, même s’il n’y a rien qui vient. Hors heures de travail, je note au maximum les idées qui me viennent, c’est tout. Pour le spectacle, c’est différent. Ça rentre dans la question ?
Évidemment.
Je fais mon heure de manière très égoïste : je fais celle que j’aimerais voir en tant que spectateur. C’est très subjectif, mais je n’aime pas trop les heures qui sont un assemblage de 5 minutes. Si c’est pour voir des 5 minutes, je préfère aller en plateau. Ce que j’aime dans une heure, c’est avoir un fil rouge, quelque chose qui lie l’ensemble. J’essaie de travailler là-dessus, parce que c’est dans cette configuration que je me sens à l’aise. Maintenant, c’est bien aussi d’avoir les deux types de spectacle.
En tant que spectateur, j’ai aussi besoin de sentir une fragilité chez l’artiste, d’avoir de l’empathie pour son personnage. En revanche, pour moi, la fragilité, ça ne se dit pas, ça se devine. C’est pour ça que Blanche Gardin, c’est la meilleure du monde. Ce qui est génial chez elle, c’est tout ce qu’elle ne dit pas. Tu ris avec ce qu’elle te dit, et tu pleures avec ce que ça te fait. Je suis fan de Blanche Gardin, si j’étais Roi, elle serait direct ma Reine. Donc pour construire mon heure, je pars sur deux niveaux…
Ça devient technique… [On a eu un fou rire ensuite, tellement l’explication était improvisée et réfléchie !]
En surface, il y a le texte. C’est ce que tu écris et ce que tu dis. Et via ce texte, tu peux essayer de transmettre quelque chose de moins littéral ; cela peut être une idée, une émotion, peu importe. Dans tous les cas, ce que tu donnes, c’est 50 % du boulot. Les autres 50 %, c’est le cerveau du spectateur qui reçoit l’info, qui le mélange avec son vécu à lui et qui synthétise ça en un ressenti unique. C’est ça que je trouve fabuleux dans ce métier, quoique tu fasses, le résultat sera toujours différent d’un spectateur à l’autre.
Pour écrire mon heure, j’ai d’abord défini ces fameux 50 % que je souhaitais transmettre. En l’occurrence, il s’agit du sentiment résumé dans mon titre, C’était mieux maintenant, qui veut à la fois tout et rien dire, qui met un nœud tout en étant clair, qui parle temporalité et qui laisse deviner – au choix – un réactionnaire éclairé ou un progressiste aigri. J’ai donc essayé de trouver des textes dont l’enchaînement aboutirait à cette sensation-là. Si tu as bien suivi, ça veut dire que dans ma méthode de travail, les vannes viennent en dernier ! Chez moi, le rire n’est qu’un moyen, contrairement à certains humoristes pour qui il constitue une fin – ce que je respecte complètement, d’immenses humoristes que j’admire sont dans cette catégorie. Pour résumer : je ne fais pas mon spectacle pour faire rire. Je fais rire pour faire mon spectacle.
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce milieu ?
J’aime particulièrement observer les trajectoires de tout le monde. Il y a ceux qui ont du talent, mais qui ne sont pas prêts. D’autres sont prêts mais n’ont pas la discipline. C’est très rare d’avoir ces trois forces combinées : être prêt, avoir du talent et la bonne discipline de travail. Un Louis Chappey, en talent pur, il est incroyable. Dès que les étoiles seront un peu mieux alignées de son côté, il ira loin. Et puis il est tellement jeune ! J’aurais été incapable de faire du stand-up il y a quelques années, j’ai eu besoin de 27 ans de vécu pour ça. Donc laissons-le tranquille, et tout ira bien.
Tu as une opinion assez tranchée de tous les gens que tu vois sur scène, j’ai l’impression.
Je ne suis pas d’accord ! Par exemple, les premières fois où j’ai vu Marie Desroles, je n’aimais pas trop. Je la trouvais forte mais ce qu’elle faisait ne me parlait pas. Et récemment, je l’ai vue jouer un 30-30 avec une fibre sociale, et j’ai adoré. J’ai passé un très bon moment.
Il faut aussi préciser que tu n’avais pas vu cet aspect-là, qu’on retrouve surtout dans son spectacle et pas forcément en plateau.
Absolument, et ça m’a fait changer d’opinion sur elle. Mon opinion évolue sur plein de gens. Autre exemple : Kenny. Je l’adore. La première fois que je l’ai vu, c’était une de ses premières scènes au Labo du rire. Franchement, si tu m’avais demandé ce jour-là, je n’aurais pas forcément misé sur lui ! Et aujourd’hui, je trouve qu’il débloque des trucs super, il se sert de ses caractéristiques de manière très intelligente. J’ai hâte de le voir évoluer !
Au final, ta démarche est presque journalistique, quand tu critiques de la sorte. Est-ce que parfois, certains ne veulent pas recevoir tes conseils ?
J’ai déjà été maladroit et donné des conseils non sollicités en sortant de scène. J’ai appris de cette erreur. C’est à la personne qui veut recevoir mes conseils de faire la démarche, et non l’inverse. Parfois je bouillonne, parce que j’adore faire des retours ! Mais j’essaie de me retenir. J’adorerais faire de la mise en scène plus tard, mais il faut d’abord que je me construise une légitimité.
Ce qui est frappant quand on voit ton parcours, c’est le chemin vers plus de confiance en soi, moins de négativité quand tu décris ton avancement. Pour toi, un artiste se libère-t-il un beau jour de l’autocritique excessive ?
Je pense qu’il peut s’en libérer, mais je n’en vois pas l’intérêt. J’ai l’impression que c’est vraiment elle qui me fait progresser. En sortant de scène, j’aime penser aux choses à améliorer. Un des moments qui m’a le plus donné envie de travailler, c’était mon 30-30 avec Michael Sehn. Je ne sais pas si le mot bide est approprié, mais ce furent les 30 minutes les plus longues de ma vie. Et au final, en sortant, j’avais limite le sourire ! Ce vertige de la progression que tu peux avoir, c’est génial. Dans cette discipline, si tu bosses, que tu es sérieux et que tu testes, tu te dois de progresser. J’ai hâte d’être au mois, puis à l’année d’après et cinq ans après pour voir où j’en suis.
Tu n’as pas la peur de stagner, d’être face à un mur et de te sentir bloqué ?
Non. Le stand-up, ce n’est pas un rêve de gosse. Je n’ai pas été biberonné au Jamel, je n’ai limite pas vu un spectacle d’humour avant ma majorité ! Si demain, je fais un autre métier, ce ne sera ni un échec, ni une déception. Le jour où je stagne et où je ne prends plus de plaisir, je change.
Il y a une dynamique d’apprentissage…
Oui, c’est ça qui me fait kiffer. Quand je vois combien j’aime apprendre, je me demande comment j’ai pu autant détester l’école…
De ton propre aveu, le spectacle que tu vas proposer à la Petite Loge ne parlerait pas de toi. Il doit bien y avoir une part d’introspection dans ce que tu proposes ?
Il parle de moi dans le sens où j’essaie de transmettre un ressenti personnel. Quand j’ai commencé le stand-up, je pensais que j’irais vers une forme à la Blanche Gardin, que je parlerais de moi, de mes angoisses, de tout ça… Et finalement, en relisant mon heure l’autre jour, j’ai réalisé qu’il n’y avait limite pas un seul « je », ça m’a fait tout drôle. Je me dis que si mon inconscient s’est dirigé vers ça, c’est que c’est ce qu’il me faut. J’essaie de lui faire confiance du coup.
Souvent, mes potes me disent que c’est un métier narcissique vu que tu parles de toi. Je ne suis pas d’accord ! Passer 8 jours à écrire, 5 jours à répéter, 3 jours à avoir la chiasse, tout ça pour donner 5 min de rire à des types qui ont passé une mauvaise journée, personnellement je trouve ça plutôt altruiste ! Bon, ok, j’exagère : je le fais aussi pour moi, évidemment. Il y a toujours un aspect thérapeutique, le besoin de te faire aimer et de compenser des trucs.
D’ailleurs, j’ai un dilemme en ce moment. Ça fait dix jours que je n’ai jamais été aussi mal : je dors peu, je suis angoissé… Et je n’ai jamais aussi bien marché sur scène. Je fais quoi, j’essaie d’aller mieux ? J’hésiterais presque ! Non, en vrai, l’objectif de tout le monde, c’est quand même d’être heureux. Si demain je trouve un moyen d’être heureux sans ce métier, je fonce, évidemment.
Le fameux dilemme « famille vs. Olympia » du Meilleur Podcast…
Oui, avec Arezki ! Vive Arezki Chougar, j’adore Arezki.
Cette question est sponsorisée par Stéphane Plaza. Tu évoques des thèmes assez atypiques, du genre les nombres premiers ou les fonctions affines. Est-ce qu’il faut que ton humour ait du cachet pour courir après tes premiers cachets ?
Wow. Magnifique formulation. En soi, les sujets dont je parle importent peu. Comme je disais au début, c’est seulement un prétexte pour transmettre un truc, j’aurais pu parler de tout. Après, quitte à avoir une liberté totale de sujets, autant m’amuser, mais je ne vais pas forcément chercher LE sujet original. Dans le spectacle, je parle aussi du rapport hommes/femmes ou de ce genre de choses.
C’est bien si l’humour a du cachet, en revanche attention à comment le mesurer ! Beaucoup aujourd’hui jugent la qualité d’un passage sur l’amplitude du rire reçu, et je trouve ça très dommage. Bien sûr, il faut faire rire, on fait un spectacle d’humour et non un TEDx… Mais la comédie passe par tellement d’autres choses que le rire…
[Attention : la partie qui suit pourra vous divulgâcher des spectacles Netflix.]
Je ne sais plus si c’est Cyril Hives ou Manu Bibard, mais l’un des deux m’a conseillé le special de Bo Burnham, Make Happy, qui m’a bouleversé. À la fin, il dit un truc du genre :
Let’s all look at this skinny kid with declining mental health while he tries to give you what he cannot give himself…
Cette phrase est la plus incroyable du spectacle, et pourtant, elle est loin d’être comique. Dans Paper Tiger, Bill Burr enchaîne pas mal de blagues sur les femmes, comme quoi elles chialent, elles ont des émotions, etc. Et lors du dernier sketch, celui du chien, tu te rends compte qu’en réalité, il ne critique pas du tout ce versant soi-disant féminin, il en est jaloux ! Ce dernier sketch te fait voir tout le reste d’une autre perspective, il est essentiel ! Si le mec s’était dit « celui-là il y a moins de rires, j’enlève », le spectacle aurait été très différent. Une heure, c’est un tout, ce n’est pas une somme de vannes.
Si je te dis Édouard Baer, François Rollin (que tu as déjà cité !) ou encore Baptiste Lecaplain, ça t’évoque quoi ?
(Édouard Baer) Un talent extraordinaire et ce à quoi j’aspire ! Heureusement qu’il ne pense pas punchline.
(François Rollin) Le boss ! Rollin, c’est celui qui exige des spectateurs ces fameux 50%… Si vous voulez vous faire une idée rapidement, regardez son passage sur la bien-pensance sur YouTube. Son retrait du monde du spectacle dit des choses assez tristes sur notre société.
(Baptiste Lecaplain) Mon idole ! Sur le fait de transmettre des choses au-delà du texte, je le trouve extraordinaire, parce qu’il te laisse la liberté de voir ses spectacles comme tu l’entends. Origines, je l’ai vu deux fois. La 1re fois, je me suis tellement identifié à ce qu’il disait que je n’ai limite pas ri du spectacle, j’étais trop ému (ce sketch de la timidité…). La 2e fois, je l’ai regardé en coupant l’émotion, et je me suis marré tout du long. Lecaplain, c’est typiquement la sensibilité qui se devine : il ne te l’impose pas, il la laisse juste là, devant tes yeux, avec beaucoup de pudeur. Un artiste extraordinaire, hyper complet. En plus, du peu que j’ai vu et discuté avec lui, ça a l’air d’être un mec super, ouvert, sympa et agréable. Quand l’humain suit derrière, c’est top.
Si c’est une ordure, tu peux quand même te marrer ?
Ça dépend. Déjà parce que le mot « ordure » est subjectif, et puis surtout parce qu’on a pas forcément les clés pour comprendre la personne. Il y a des gens, tu vois leur vie, et tu te dis : « Ok mec, je ne peux pas te juger, j’ai une vie trop cool pour ça ».
Il y a peu de gens que je n’aime pas au final ! Ah si, ceux qui abusent de leur influence. J’ai vu des jeunes artistes renoncer à des idées incroyables après avoir écouté un tocard qui dictait ce qui se faisait ou non, ça me rend malade ! C’est un des mauvais versants du stand-up je trouve, cette condescendance vis-à-vis des autres formes d’humour. Entre les tics de langage, les trucs décrétés comme interdits (ils leur ont fait quoi les jeux de mots ?), je trouve qu’il y a peu d’ouverture. Je le sais car je me suis laissé un peu bouffer par ça. Pendant des mois, je me suis laissé influencer. J’ai moins marché parce que ce n’était plus moi et c’était tant mieux pour ma gueule.
Ça a dû être agréable de revenir à ce que tu voulais vraiment faire…
C’est tellement cool de proposer quelque chose qui te correspond, et tellement dommage de le sacrifier sur l’autel de l’efficacité qui au fond n’intéresse pas grand monde. C’est pour cette raison que sur scène, j’aime les humoristes qui sont plus sur une dynamique d’offre que de demande, qui proposent des choses. Les Nadim, les Ghislain Blique, les Aude Alisque… On a besoin d’eux !
Mais dans les personnes que j’aimerais le plus voir percer, je mettrais Pierre Metzger, Cyril Hives et Anissa Omri. Pierre, tout simplement parce que c’est un excellent humoriste, pas parce que c’est mon pote. Le jour où il apprend ses textes (rires), croyez-moi, il va cartonner ! Cyril, parce que c’est un des seuls qui peut me captiver avec une heure d’assemblage de vannes, parce qu’il a un don pour transmettre des émotions même via des blagues hyper courtes, et parce que je l’adore humainement. Et Anissa, parce que niveau écriture, c’est peut-être la meilleure que j’ai vue dans le milieu, et l’écriture est un truc qui mérite d’être un peu plus mis en avant. Elle a un talent dingue.
Quel est ton rapport avec la reconnaissance et l’approbation du public ?
Comme tout le monde, on va sur scène pour être reconnu, ça ne sert à rien de le nier. Après, il faut voir par quoi passe cette reconnaissance. Moi franchement, je préfère 3 personnes qui ont adoré mon passage à 40 qui ont bien aimé.
C’est la qualité plus que la quantité.
Carrément. On est inondé de trucs bien mais sans plus, donc je préfère l’autre option. Vraiment toucher quelqu’un, c’est un truc de fou. Une fois, je crois que c’était au Why So Serious, j’ai eu des retours ultra timides sur mon passage. Et à la fin, 2 mecs sont venus me voir en disant qu’ils s’étaient identifiés, que ça leur avait fait du bien… Ca m’a rendu dix fois plus heureux qu’une applause.
Imaginons, demain, tu es contraint aller voir Guillaume Meurice et lui dire : « Mec, j’ai très envie qu’on parle d’écriture inclusive. » Sinon, c’est la fin du monde et Ghislain devient le nouveau Dieudonné. Après, tu fais ce que tu veux, t’es pas obligé de faire de la lèche. Il se passe quoi ?
Mais j’adorerais discuter avec Guillaume Meurice ! Ce sont ses chroniques que je n’aime pas, et encore, c’est assez amplifié par l’environnement dans lequel il les fait. Rire de gens un peu simples qui parlent avec maladresse dans un micro, ça me gonfle un peu, mais ça passe. Mais le faire dans un studio du 16e avec trois types qui se moquent à chaque mauvaise tournure de phrase, je trouve ça insupportable à regarder. Mais du peu que j’ai vu de lui, en interview et tout, ça a l’air d’être un type très chouette ! En revanche, le débat sur l’écriture inclusive serait animé (rires).
Par contre, j’adorerais que Ghislain soit le nouveau Dieudonné, mais Dieudonné dans sa bonne période hein ! Il a un talent de fou, ce serait chouette que ce soit reconnu. On subit tous cette course à la visibilité. Par exemple, je n’aime pas publier des photos de moi ou me voir sur une affiche, mais je le fais quand même.
Vraiment ?
Je te jure, je ne prends pas de plaisir à le faire. L’affiche de mon spectacle, ça a été un enfer. Au début, j’ai demandé à ma pote graphiste que ma tête n’apparaisse pas. Mais bon, faut se vendre, ça fait partie des compromis à faire. Je n’ai qu’une ambition : acquérir un niveau de notoriété qui me permette d’arrêter tout ça. Édouard Baer, il n’en a plus rien à foutre !
Pour finir, qu’ai-je oublié de te demander ?
(Longue pause) Tu ne m’as pas demandé quel était mon humour.
C’est vrai, et c’est une bonne question pour ton interview, Avril. Ça me semble très difficile à définir, à mon sens.
C’est hyper dur, et la réponse est simplement : « Je ne sais pas ». Tu avais écrit quelque chose dans ton article de découverte du mois. Tu avais parlé, dans la même phrase, d’humour noir et d’élégance. L’idée de mélange m’avait vachement plu.
Il y avait des idées un peu geeks, un soupçon d’humour noir distillé avec beaucoup de classe et surtout un mec décontracté comme jamais.
J’aime bien cette idée de mélange, de distillation. D’avoir un peu d’humour noir, un peu de mime, un peu d’absurde, etc. Plein de petits atouts au service de quelque chose de plus global. Je n’ai juste pas encore trouvé comment agencer cela au mieux. Par exemple, je fais plein d’onomatopées : certains adorent, d’autres détestent. Il faut que je trouve une manière de faire vivre ça avec mon humour. Pareil pour les grimaces : ma petite sœur ne comprend pas pourquoi je n’en fais pas sur scène. Dans la vie, j’en fais tout le temps ! Il faut que j’y réfléchisse… Ça fait partie de l’apprentissage, et j’ai trop hâte de me dire que je vais faire évoluer mon humour.
Je n’ai pas été complètement honnête tout à l’heure pour le tennis. Il y a autre chose qui a fait que j’étais moins bon que les autres : je ne savais pas lifter. Mon entraîneur nous a dit un jour qu’il allait nous apprendre, que pendant 3 mois, le temps de maîtriser le truc, on serait moins bons, mais que sur le long terme, ça nous servirait. J’ai fait ma tête de con, j’ai refusé d’apprendre et de perdre ces 3 mois. Mais je ne ferai pas deux fois la même erreur. Dans le stand-up, je vais lifter sa race.
Interview Avril – Le débrief
Avril est finalement un observateur aussi curieux que nous. Il avait beaucoup à dire sur la scène actuelle. Nous partageons le même intérêt pour les humoristes atypiques et la fragilité scénique, par opposition aux démonstrations de force qui ne nous émeuvent pas vraiment.
Scéniquement, Avril est un humoriste polyvalent, et ça se ressent énormément dans cette interview. Il pourrait encore vous parler d’humour pendant une bonne heure, même s’il concentre son énergie sur son spectacle et ses passages en plateaux. Si vous avez bien lu, vous savez qu’ils n’ont pas grand chose à voir. Alors que vous soyez de passage dans un comedy club ou au Théâtre le Métropole, et si vous donniez sa chance à un talent qui remplit déjà très vite sa salle ? La balle est dans votre camp.
Crédits photo
© François Maquaire / Festival National des Humoristes de Tournon-sur-Rhône