I am the cosmos : vivez le vrai humour avec Luc Guiol

Juliette Follin 29/11/2023

Luc Guiol propose un spectacle atypique, I am the cosmos. Interprétation phénoménale, originalité maximale, hilarité générale : tel est le programme de notre critique inattendue du jour !

I am the cosmos : Luc Guiol nous embarque dans un voyage improbable au Bouffon Théâtre

Luc Guiol a longtemps été dans mon angle mort. En 2016, alors que je découvrais la Petite Loge, il y jouait trois exceptionnelles. Entretemps, il continuait sa route, allant même jusqu’en Avignon. La presse le connaissait déjà, avait fait le déplacement, mais pas moi.

Un matin, il m’envoie une invitation avec une image qui fleure bon le graphiste en grève. Sauf que non : c’est un concept, où il imite les papiers de marabouts échoués dans nos boîtes aux lettres. On peut y lire le pitch de son spectacle, I am the cosmos. Un rapide coup d’œil sur son Instagram, je suis conquise par l’univers général, entre stand-up et seul-en-scène.

Même si c’est dans un théâtre caché dans le 19e, inconnu au bataillon, j’y vais le lendemain. L’ambiance est particulière au Bouffon Théâtre : vous entrez dans une cour de barres d’immeubles avec un vigile et un PC sécurité. L’immeuble est en travaux, avec une porte entrouverte. L’atmosphère à l’intérieur vous transporte immédiatement ailleurs. C’est sombre, rouge, le personnel semble hors du temps. Des théâtreux à la voix, à l’âme, au charme envoûtant, vous attendent pour vous donner vos billets (c’est une nouvelle direction). Une immense affiche, des guirlandes discrètes, le simple bruit des conversations des habitués.

« Un homme qui vous parle, de la pensée plein la tête et un trou béant dans le coeur, cherchant un sens à la vie, au cosmos, à ce spectacle… et qui n’aurait aucune chance d’y arriver. MDR. »

Dans le théâtre, finalement plus cosy qu’imaginé pour ses 50 places, le silence est d’or. On entend tout juste deux ou trois personnes discuter sans élever la voix dans le public. Une personne surgit du devant de la scène : fausse alerte, c’est un spectateur qui retrouve son groupe. Puis le spectacle commence, avec un comédien qui semble désabusé. Un acteur, un vrai, qui sait écrire, qui a roulé sa bosse. Son personnage résumé à la volée ? Un féru de hockey au chômage qui pense très sérieusement au suicide.

Mais le résumer ainsi est si réducteur… Ses pas de côte nous emmènent dans un rire primitif si rare. Récemment, on m’a dit que statistiquement, on a déjà imaginé toutes les blagues. En voyant I am the cosmos, je n’en crois pas un mot.

Outre le texte aussi surprenant que palpitant, l’enchaînement des séquences nous fait passer du coq à l’âne. C’est puissant sans jamais être intrusif, ça invoque des références ciné, théâtre et certainement d’autres que je n’ai pas relevées. Peu importe. C’est loufoque comme ce que l’on peut voir au festival d’Édimbourg, le Fringe. Le jeu, entre douceurs subtiles et élans furibonds, offre autant de tableaux colorés pulvérisant nos imaginaires.

Un artiste dans l’angle mort des programmateurs assoiffés d‘abonnés, qui ont perdu leur boussole ?

Je me demande comment on peut encore consommer de la soupe de comedy club. Comment les productions passent à côté de phénomènes comme Luc Guiol pour promouvoir des TikTokeurs du dimanche. Parce que ce spectacle est expérimental par son originalité. Aucune trace d’amateurisme n’est visible, simplement un temps de scène empli d’hilarité.

J’adore citer un homme dont vous ne connaissez pas le nom, sauf en cas d’union libre avec Couleur 3. L’ode de Stéphane Laurenceau à Sarclo à partir de 10” — je sais, je vous ai perdus (c’est le père d’Albert Chinet, si jamais). Mais moi, j’écoute ça à chaque fois que je prends la route. C’est un rituel d’évasion pour retrouver ma boussole interne.

Je me suis pris en pleine tête, en pleine poire, plusieurs décennies de carrière… à sourire, à rire, à choper le blues, à pleurer, à me sentir moins seul entre mes oreilles. (…) Depuis que je suis né dans les années 70, on me surine avec des Georges Brassens, des Jacques Brel, des auteurs à texte que j’ai adoré découvrir. Mais depuis quelques jours, dans ma petite culture issue d’un milieu ouvrier, vous avez rejoint cette équipe de grands messieurs qui traversent les époques. (…) Vous êtes un peu le chaînon manquant, le gardien du phare, le taulier qui maintient la baraque en place depuis le départ des grands. À mesure que j’écoute vos chansons, je me suis fait la réflexion que vous étiez une sorte d’OVNI du star système. Et ce soir, j’ai quand même envie de crier à l’injustice. De ne pas vous voir plus souvent quand j’allume ma télé. Ruquier, Nagui, France Inter… Pourquoi on n’évacuerait pas le 60e passage de BHL ou le rappeur de la semaine au profit d’un Sarclo ?

Le cri du cœur de Stéphane Laurenceau sur les ondes suisses, 6 septembre 2022

Avec Luc Guiol et I am the cosmos, c’est un peu la même chose. Le besoin irrépressible de montrer ces artisans, ceux qui vous réveillent l’âme avec leurs œuvres authentiques. Certains cherchent le vrai amour, moi c’est aussi le vrai humour. Ce soir-là, au Bouffon Théâtre, je l’ai trouvé en Luc Guiol. Je vous souhaite de faire cette rencontre à votre tour…

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