Interview Shirley Souagnon : « Le stand-up, c’est la philosophie des temps modernes »
Shirley Souagnon est un poids lourd du stand-up. Son charisme et son énergie sur scène embarquent immédiatement le public dans des rictus de plus en plus prononcés et de moins en moins contrôlés.
Le spot du rire est allé à la rencontre d’un phénomène qui continue de monter en puissance.
L’interview
Nouveau spectacle
Monsieur Shirley reprend bientôt après rodage. Quelques indiscrétions à communiquer aux futurs membres du public ?
Je suis toujours en train d’écrire : comme c’est du stand-up, cela bouge toujours un peu. Une exclusivité ? Les gens pensent que je vais beaucoup parler d’homosexualité. Sachez que dans mon spectacle, je vais parler pour la première fois du fait que j’ai couché avec un mec…
Pour ce spectacle, j’ai fait du rodage avec Adrien Arnoux, dans des cafés-théâtres, des lieux insolites, bars, etc. dans toute la France pendant 3-4 mois. Le but, c’était d’aller chercher le public, des gens qui ne nous attendaient pas. J’étais passée par la case télévision, et le but était de me renouveler dans une ambiance de stand-up brute. Adrien faisait les 30 premières minutes, je trouve qu’il y avait un sacré niveau qui me mettait dans une nouvelle dynamique. A mes débuts, je faisais davantage des blagues de type « sketches », du moins dans la forme. Ce rodage m’a bien remise dans un nouvel élan : écriture, jeu, rencontre du public.
Evolution en tant qu’artiste
A quel moment t’es-tu dit que tu voulais faire rire les gens sur scène ?
Je ne sais pas vraiment. Je pense que tous les gens qui écoutent leur for intérieur sont dans le même cas : on ne sait pas vraiment pourquoi. Si on essaie d’analyser les choses : je viens d’une famille d’artistes : musiciens, danseurs, peintres… tous les corps de métiers. Depuis toute petite, je raconte des blagues, j’écris des blagues ou des poèmes. A 6-7 ans, j’écrivais déjà mes premiers sketches, je forçais mon cousin à jouer avec moi en duo ! Je ne sais pas d’où ça vient, c’est peut-être une réincarnation, une personne qui continue sa vie d’avant…
Si je pouvais faire autre chose aisément, je le ferais sûrement parce que c’est vraiment un métier de fou ! Il faut sans cesse écrire, parce que ce que tu écris au début n’est jamais vraiment très drôle. Derrière ce qu’on raconte sur scène, il y a de la souffrance, ça « lève la merde », me concernant en tout cas ! Tous les types d’humour ne sont pas comme ça.
Il y en a de plus en plus…
Oui, peut-être parce que le monde est de plus en plus dur à supporter. On aspire, tous, de plus en plus à autre chose.
Tu t’es inspirée de ce qui se fait aux Etats-Unis pour faire la transition entre sketches et stand-up ?
En commençant le métier, au même moment que Vérino, Kyan Khojandi ou Baptiste Lecaplain, je faisais de l’humour. On ne savait pas trop ce qu’on faisait, on avait comme repères Jamel Debbouze, Gad Elmaleh, Florence Foresti. Au fil du temps, Kyan Khojandi a commencé à m’envoyer des vidéos de stand-up, il y a 8 ans. J’ai découvert des mecs comme Chris Rock, George Carlin. Je suis tombée amoureuse de George Carlin, je me suis dit : c’est vraiment ça que je veux faire ! C’est tellement moi… Donc, ça fait 8 ans que je sais ce qu’est le stand-up, 5 que je pratique et 10 ans que j’ai commencé l’humour.
As-tu des inspirations hors stand-up ?
Bien sûr ! En ce moment, je lis Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, ça m’inspire. Je trouve ça hyper intéressant. Dans le même temps, je suis partie à la campagne, j’ai habitué à Paris pendant 10 ans. Ce livre raconte la manière de se recentrer. Cela correspond à ce que je suis en train de faire, en un sens : j’ai arrêté le smartphone, l’exil à la campagne… Je me retrouve : je me sens super agressée par Paris, tu vois !
Cela rejoint ce que disait Marina Rollman sur la déconnexion dans un podcast récent… pour se reconcentrer sur l’écriture notamment.
Récemment, tu as proposé un spectacle autre que Monsieur Shirley, Mes 60 dernières minutes en France. Etait-ce un spectacle un peu éphémère pour les élections, créé en quelques mois comme Haroun ou quelque chose de plus réfléchi ? Ou juste un changement de titre pour l’occasion ?
C’était le but, mais je me suis rendue compte que je manquais de temps. J’ai commencé par créer l’affiche, écrire des choses sur le Front National, les élections… et au final, je l’ai greffé à mon spectacle habituel, tout simplement. C’était une exceptionnelle de Monsieur Shirley !
L’affiche était nouvelle en effet, donc c’était intriguant !
En fait, je suis en train de revoir toute l’identité visuelle, l’affiche du spectacle… Avant, je faisais généralement mes affiches moi-même car je faisais du graphisme. Je suis en train d’arrêter tout ça pour me recentrer sur la scène. On est parti sur un truc en noir et blanc, la typographie a déjà changé sur certaines publications : ce sera quelque chose de bien plus sobre.
Signe que tu es bien entourée…
Oui, mais il faut dire que c’était un choix de ma part, pendant un moment, de ne plus être entourée. L’idée, c’était de comprendre le métier d’une autre manière, le métier de producteur aussi. J’ai en effet monté ma production, produit Adrien Arnoux, je m’occupe aussi de Nordine Ganso. C’était intéressant pour moi d’être de l’autre côté. J’ai aussi lancé un sketch show sur Afrostream, une sorte de Netflix afro, malheureusement fermé aujourd’hui. Du coup, mon sketch show est maintenant sur ma chaîne YouTube. C’était très enrichissant de faire à la fois de la production, de la réalisation, de l’acting et de l’écriture. En somme, j’ai fait 4 ans de laboratoire avec plein de métiers ! Maintenant que j’ai fait tout ça, j’ai compris que mon vrai truc, c’est d’être humoriste. Il y a un côté où je me lasse vite des choses, et je me dis alors qu’il faut que je fasse autre chose.
Shirley Souagnon interviewée ailleurs
Aura, célébrité et ego
Ce qui m’a frappé chez toi, c’est que quand tu arrives sur une scène ouverte, tu as une sorte de charisme que j’ai vu aussi chez Fary, genre on se dit « elle pèse dans le game, respect qu’une figure comme ça vienne jouer ce soir. » Est-ce qu’on te l’a déjà fait remarquer, et es-tu d’accord avec ça ? Es-tu beaucoup sollicitée par d’autres humoristes en quête de conseil ?
C’est chiant, cette sorte de piédestal, ouais ! Après, c’est quelque chose que je ne ressens pas forcément parce qu’en plus j’ai fait On n’demande qu’à en rire (ONDAR), une émission où on se fait juger en permanence, internet qui explosait avec les commentaires de haters, trolls et autres. Je pense que je représente plein de choses très désagréables pour de nombreuses personnes. Etre une femme, dans l’humour à l’époque, l’argument, c’était « vous n’êtes pas marrantes de base ». Et puis, je dégageais une énergie particulière, de stress. Je ne peux pas vraiment regarder ce que j’ai fait à l’époque, ça pouvait devenir fatiguant.
C’est peut-être difficile à gérer, ces formats de télévision où l’on vous impose des thèmes, des manières de faire…
Cela dépend pour qui. Je pense à Jérémy Ferrari, Olivier de Benoist ou Kev Adams. Ils avaient compris « pourquoi » ils étaient là : pour être vus par le plus grand nombre, partir de ça pour faire autre chose. Je ne voyais pas du tout l’intérêt, en faisant du stand-up : comedy clubs, plateaux… Des choses qui demandent du temps : ce n’est pas à 20 ou 25 ans que tu peux sortir des choses intéressantes en stand-up. Cela demande du temps, de l’expérience. Comme le vin : plus c’est vieux, plus c’est bon !
ONDAR, c’était une émission où on profitait quand même d’une grande liberté. On pouvait écrire des textes qui nous ressemblaient. Il fallait juste prendre en compte l’horaire de diffusion : 18 heures, avec un public familial… Cela reste la télévision et toutes ses normes. Pour certaines choses, je n’ai pas vraiment eu la main. On me disait : tiens, on a pris un théâtre pendant tant de temps, il faut y aller. Là, il y a une demande télé, il faut y aller.
C’était au même moment où Kyan me passait des vidéos de stand-up et pour moi, le processus devait être tout autre : faire des scènes ouvertes, des plateaux et jouer mon spectacle. C’est un luxe de pouvoir faire cela. Et sur scène, les gens me voient autrement, me disent « c’est vraiment bien ce que tu fais, en fait », car ils me voient dans un autre format.
Concernant le charisme ou l’ego, je pense qu’un artiste doit attirer du monde, dégager une certaine image. J’essaie dans le même temps de me détacher de mon ego, par la méditation, la lecture, la philosophie. Alors, évidemment, que j’en ai forcément sur scène, comme dans la vie.
Et le 4e mur change-t-il quelque chose, met-il à mal l’ego ?
C’est plutôt une histoire de symbiose avec le public, qu’on fasse un.
Avec toutes ces expériences, couplées à ta masterclass stand-up, es-tu sollicitée par les autres humoristes pour des conseils ?
La masterclass faisait partie de mes activités précédentes, mais cela va s’arrêter : ça prend beaucoup d’énergie. C’est quand même génial, très enrichissant : en enseignant, on apprend encore plus à écrire mieux par exemple. Pour les conseils, c’est plutôt moi qui en donne à tout-va, parce que je suis passionnée de mon travail. Je vais aussi arrêter de le faire, mais c’est vrai que quand je voyais un truc, j’avais envie de dire : « Tiens, tu aurais dû faire ça, ou aborder ce sujet différemment… » j’ai tendance à mettre en garde sur des trucs racistes, misogynes ou homophobes par exemple.
On ne peut pas rire de tout, alors ?…
Si, mais avec finesse. Tu sens tout de suite quand quelqu’un connaît le sujet, et a contrario, quand quelqu’un balance un truc cliché pour juste le balancer. Ou alors, c’est sa pensée première, sa manière de voir les choses qui peut être touchy. Je considère qu’en tant qu’artiste, on doit élever le débat, sa propre mentalité. Pour moi, le stand-up, c’est la philosophie des temps modernes. Je m’applique ces conseils aussi, car parfois je me dis que je pourrais faire mieux !
Innovations
Tu as développé un super concept de billetterie participative pour ta tournée, innovant et à contre-courant des discours sur le remplissage des salles. D’où t’est venu l’idée ?
Oui, il fallait remplir à 50% pour activer la date. C’était pour le 2e spectacle, Free. C’était un mélange de stand-up et de musique, autour de la liberté : j’étais avec un groupe de musique sur scène. Comme c’était axé sur la liberté, j’ai trouvé intéressant de proposer un système de billetterie libre, qui a duré après le spectacle.
Dans l’absolu, c’est rentable – dans les faits, c’est autre chose. C’est un travail de longue haleine de promotion, de communication, de développement du site web et sa maintenance… Le site est fermé, il sera relancé amélioré, mais il s’agira d’une billetterie plus classique. Sur certains événements, je proposerai une billetterie participative.
L’idée, c’était d’éviter de dépenser beaucoup en affiches, d’optimiser la promotion… J’ai pu m’appuyer sur mes études de communication, de design web et de sciences de l’ingénieur pour trouver l’idée et l’appliquer.
Parcours
J’ai lu que tu as fait du basket très longtemps, aux États Unis notamment. Est-ce que tu considères le sport comme un exutoire, au même titre que la scène par exemple ?
Oui ! J’ai découvert le basket à 5 ans. J’étais en maternelle et je trouvais ça génial de mettre des paniers ! Encore une fois, je ne sais pas pourquoi. J’ai fait 10 ans de basket. Le sport, de manière générale, libère beaucoup de colères. Je suis quelqu’un qui, je pense, est très en colère, ça permet d’évacuer. Dans le basket de rue, que j’ai beaucoup pratiqué, il y avait ce côté « spectacle » très sympa : te montrer, faire des moves. Il y a à la fois la part collective et la part individuelle où tu peux être face-à-face, un contre un. J’ai repris le basket il y a peu, et je me suis aussi mise à la batterie. Il y a ce côté rebond du basket que je retrouve ; un truc avec le corps, avec la vibration.
Et le rebond de la vanne ! Tout est lié.
Carrément !
Une question plus difficile, maintenant : quelle est ta plus grande fierté ?
Très dur, en effet ! C’est de me rendre compte, après 10 ans de basket et 10 ans de scène que je m’écoute. Dans ce monde, je me rends compte que c’est un luxe. Cela ne fait pas de moi la personne la plus riche matériellement, mais j’ai l’impression que les pauvres sont les plus riches.
On se pose moins de questions, quand on s’écoute ?
Non, tu doutes beaucoup ! Tu es toujours en dualité avec le monde dans lequel tu vis. Et j’ai parfois l’impression d’être la seule à prendre des décisions un peu incroyables, alors qu’en fait… Par exemple, on m’a proposé des contrats de télé incroyables que j’ai refusés.
Quand on prend ces décisions, on se demande si on n’est pas folle de refuser ! Mais en fait, non : je suis en accord avec moi-même. J’ai arrêté de fumer, d’ailleurs : je me suis rendue compte que je fumais beaucoup, du matin au soir, parce que j’étais très malheureuse, pas sûre de mes choix. Quand je suis plus sûre, je suis davantage « en place ». Plus tu t’écoutes, moins tu as besoin de choses extérieures pour aller bien.
Tu es très impliquée dans le milieu associatif, c’est important pour toi de prendre le temps de soutenir des causes ?
J’ai beaucoup été impliquée dans des ONG, et on est aussi venu me voir avec des activités qui me semblaient pertinentes. Je reste ouverte aux propostions. Là où cela peut paraître un luxe d’avoir le temps de s’occuper des autres, c’est pour moi un automatisme, un réflexe que j’aurais aussi eu si je n’étais pas connue. Dès que je sens que cela ne me correspond plus, que j’ai l’impression que les gens amassent plus d’argent qu’ils n’en donnent, alors j’arrête. J’expérimente, je découvre… En m’impliquant, j’évite d’être malheureuse et de faire du tort autour de moi : autant je peux faire beaucoup de bien, je peux faire beaucoup de mal aussi. Il vaut mieux que je sois en phase !
L’avenir de Shirley, l’avenir du stand-up
D’autres projets en cours ?
Je dois en avoir 15000 en cours, je ne peux pas tout faire en même temps donc j’essaie de les faire bien.
Afrocast : promotion d’artistes
Afrocast, c’est un projet en développement. L’idée, c’est de répondre à la polémique sur la représentation des acteurs et actrices noirs dans le paysage médiatique français. Dans ma carrière en humour, je ne m’étais pas posée la question car ça allait, j’étais surtout dans la recherche d’être drôle. Puis je suis allée en Côte d’Ivoire, j’ai vu des pubs avec des noirs. Actuellement, ici, ça commence vraiment à arriver et c’est positif, tant mieux.
En France, j’ai eu l’impression d’un vide, d’un manque de représentation. Les polémiques étaient de plus en plus présentes : les Oscars, les Césars. J’ai essayé de réfléchir à la question. Par exemple, je me suis rendue compte que dans la communauté noire, on n’était pas capable de citer 4 acteurs noirs. Je me suis dit : « Avant de demander quoi que ce soit, essayons de créer notre propre culture. » Le communautarisme, quel qu’il soit, c’est la base de toute élévation. Si tu n’as pas d’équipe, de famille pour aller de l’avant, tu ne vas nulle part. Afrocast réunit acteurs, réalisateurs, auteurs et scénaristes pour lutter contre les préjugés.
L’idée serait de créer une agence de casting à partir de ça, pour proposer une référence aux producteurs, diffuseurs, directeurs de casting. Pour mettre en avant les gens, pas seulement noirs, mais des minorités… bref tous ceux qui galèrent à se montrer. J’ai des petits frères, je trouve ça important qu’ils s’identifient à toute une panoplie de gens, pas forcément des rappeurs.
Un documentaire sur le stand-up
Je termine un documentaire sur le stand-up, réalisé 100% à l’iPhone : je l’ai fait pendant un an, pendant ma tournée avec Adrien, d’autres dates à Montréal, etc. On était vraiment dans les coulisses, avec les gens… Cela parle vraiment du stand-up français. J’ai constaté, au fil du documentaire, qu’il y avait une grande différence entre le stand-up en France et aux Etats-Unis. Déjà historiquement : on arrive 60 ans après les premiers stand-ups américains. La culture, la manière de penser sont différentes qu’aux Etats-Unis.
C’est hyper intéressant de voir que les Américains sont hyper intéressés, de plus en plus même, par la France et Paris. Cela devient de plus en plus universaliste, c’est la mondialisation qui veut ça aussi. Tu remarqueras que le stand-up a commencé à se développer quand Nicolas Sarkozy a monté son ministère lié à l’intégration, l’idée d’identité nationale.
C’est à ce moment-là qu’est arrivé le Jamel Comedy Club. C’est une réponse politique incroyable, de se dire qu’on évolue tous dans le même monde, qu’on a tous des trucs à dire. Que tu sois gros, petit, arabe, noir, blanc, barbu ou pas, pas de jambes, etc., tu peux venir dire un truc dans la même langue et on peut se comprendre. A partir du moment où la personne te raconte sa vie avec son propre prisme, tu peux qu’être réceptif et rire d’autant plus.
En France, on n’a pas ce qu’il se passait aux Etats-Unis : les noirs jouaient pour les noirs, etc. Tout cela parce que cette histoire de ministère n’a jamais marché. Sur le stand-up, on est tous réunis. Juste avant, il y avait le slam qui avait cartonné à Paris. C’est la même chose, sans les vannes (mais pas toujours !) : une manière de s’exprimer au micro.
Il faut que le stand-up sorte de Paris : le jour où il y aura des comedy clubs un peu partout en France, où il sera possible de jouer tous les soirs dans les villes de province. Dans 10-15 ans, j’ose espérer qu’on atteindra ce but. Qu’il y ait vraiment des comedy clubs, pas seulement des bars qui s’aménagent pour ça : des lieux comme l’Art Café à Bastille, par exemple.
La réception du stand-up et de l’absurde : un public dubitatif ?
[Au fil de la discussion, on arrive à évoquer Yacine Belhousse. J’explique à Shirley que j’entends du bien de lui de la part de nombreux humoristes, qui estiment que c’est le meilleur. Sauf que personne, soit dans la presse ou dans le public, semble le remarquer… Voyons voir d’où vient cette « hype » !]
Pour la petite histoire, si je suis rentrée au Jamel Comedy Club, c’est grâce à Yacine. Je l’ai croisé au Paname Art Café à l’époque, il me dit qu’il aime bien ce que je fais, qu’il faut que je rentre au Comedy Club. Il me présente au programmateur, Jean-Michel [Joyeau], et c’était fait.
Pour moi, il y a une vraie injustice sur la faible notoriété de Yacine : il a son public, mais c’est trop restreint par rapport à ce qu’il propose. C’est parce que les gens ne sont pas prêts.
En plus, c’est un hyper bon comédien. Le jour où Yacine sera très connu, c’est le jour où les gens auront compris ce qu’est le stand-up. La nouvelle génération va pousser en cette faveur-là, des mecs comme Louis Dubourg. La nouvelle génération est assez hallucinante : leur différence, c’est qu’ils sont tout de suite arrivés en sachant ce qu’ils faisaient. Yacine savait aussi ce qu’il faisait.
Dans le documentaire, il m’a raconté qu’il a commencé au Moloko, dans le 9e arrondissement. Il faisait alors du stand-up dans ce bar, et les gens ne comprenaient pas du tout la forme de ce genre, avec des mecs comme Thomas Ngijol. Les gens se demandaient : « Que font-ils à nous parler, c’est quoi, ça ? ». A cette époque, il s’est dit : « J’abandonne » et il n’a pas joué pendant 4 ans. Il avait vu Jerry Seinfeld.
Dans son humour, il y a des trucs hyper absurdes comme Eddie Izzard. Un bon absurde, qui part du concret. L’absurde, c’est typiquement un truc que j’aurais adoré faire, mais ce n’est pas mon domaine. J’adore ça, mais je sens que ce n’est pas fait pour moi. J’en fais, mais par touches. Je n’assume pas : il y a un truc qui bloque.
Il faut plonger à fond dans l’absurde, se lâcher au maximum…
Il y a un grand enfant qui doit sortir de toi, et a priori, ce n’est pas mon chemin. Comme quoi, on finit toujours par suivre le chemin qui nous est destiné.
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© Christine Coquilleau