Interview Ghislain Blique : « Si je ne fais pas de spectacle, je stagne ! »
Insondable. Mystérieux. En interview, Ghislain Blique obéit à ses propres règles. C’est un homme qu’on ne croise qu’une fois dans sa vie. Est-ce un mythe ? Un fantôme ? Un homme du passé ou du futur ? Si l’on se pose autant de questions sur ce comique, c’est qu’il ne fait rien comme tout le monde.
C’est un entrepreneur du rire qui n’en a plus rien à branler. Tout ce qu’il dit peut être interprété à l’envers pour faire émerger la vérité. À l’heure des fake news, Ghislain est donc un cauchemar pour les algorithmes, mais une bénédiction pour nous, pauvres mortels.
Cette interview de Ghislain Blique réalisée en septembre 2019 est donc, forcément, anticonformiste et tout sauf conventionnelle. Nous vous la livrons de la manière la plus brute possible, dans l’espoir que ce personnage vous intrigue autant que nous !
L’interview de Ghislain Blique
Quand je t’ai décerné le titre de découverte humour, tu m’as dit que c’était le premier article sur toi et que tu détestais ça. Tu me fais penser à ce genre d’athlète qui veut juste courir et déteste les à-côtés, les médias et les conneries qu’il faut faire pour la communication. Que faudrait-il faire pour aider les puristes comme toi à simplement se concentrer sur leur art ?
Je ne sais pas… Pour me faire plaisir, il faudrait me filer une rente de 2000 ou 3000 balles par mois et me laisser jouer dans les petites scènes… Plus sérieusement, ça fait partie du jeu ! Ce serait tellement cool de n’avoir qu’à aller sur scène et faire des blagues. Ce serait le paradis ! Mais ce n’est pas possible, alors on fait avec.
Depuis tes débuts en stand-up, tu as appris à construire un personnage comique qui a conquis tes collègues humoristes. Avec ton spectacle, tu vas consolider ton public des plateaux et du podcast. Comment abordes-tu ce défi ?
Quand tu retranscriras l’interview, si tu pouvais remplacer « spectacle » par « chef d’œuvre », s’il te plaît…
Je ne sais pas, je n’en ai aucune idée. C’est une erreur le spectacle. Je ne devrais pas faire ça. Je ne sais pas si j’ai le droit de dire ça – par rapport aux gens, à la salle qui accepte de me programmer !
La salle, c’est la Petite Loge. C’est sympa comme lieu, non ?
Je suis content de pouvoir jouer là-bas. Parmi les petits théâtres parisiens, c’est mon préféré ! J’ai demandé à la direction de la Petite Loge si je pouvais être prolongé en janvier. Elles ont dit : « Applique-toi ! Fais bien ton boulot, déjà, et donne-nous envie de te reprogrammer en janvier. » Ça ne déconne pas, à la Petite Loge !
Un autre truc qui ne déconne pas, c’est le podcast Calme-toi Bernard. Dans l’épisode « La mort de Ghislain », on a appris ton départ du podcast. Veux-tu faire une déclaration publique à ce sujet ?
Est-ce qu’il en faut une ? Je vais peut-être y retourner, je n’y suis pas en ce moment.
Trop d’impératifs, d’autant plus que tu dois sans doute préparer ton heure !
Oui, j’ai beaucoup de trucs à faire… même si je ne les fais pas ! Ça m’occupe l’esprit, c’est épuisant de ne pas faire toutes ces choses que j’ai à faire.
Cette heure, tu m’en parles depuis l’année dernière. Qu’est-ce qui t’a décidé à franchir le pas et à quitter le clan des Rémi Boyes, Louis Dubourg et Adrien Arnoux* ?
Je suis arrivé à un stade où je ne savais plus quoi faire d’autre ! Depuis mes débuts en stand-up, il y a toujours eu une évolution. J’ai toujours progressé, j’ai ouvert de nouvelles portes. Je suis arrivé à un stade où j’ai joué dans la plupart des plateaux parisiens. J’ai fait rire des gens.
Après ça, si je ne fais pas de spectacle aujourd’hui, j’ai l’impression que ma carrière stagne. C’est la première fois que j’ai cette sensation depuis mes débuts.
*En 2021, Rémi Boyes et Adrien Arnoux ont lancé leur heure au Barbès Comedy Club et au Point Virgule. Le temps passe si vite (Ndlr.).
Finalement, la progression est une constante dans ta vie, comme tu as exercé de nombreuses activités !
Oui… C’est un paradoxe : d’un côté, je me décris comme un gros branleur. De l’autre, j’ai peut-être du mal à stagner. Le fait de voir Pierre Thevenoux franchir le pas m’a donné envie de le faire. Ça s’est bien passé pour lui. Je trouve qu’il fait tout bien. Aussi, ce n’est pas du tout un mauvais spectacle ; je dirais même que c’est un bon spectacle !
Je me dis : « si Thevenoux a réussi alors qu’il est un peu con… » C’est un peu ce que tout le monde dit dans le milieu : il n’a pas toutes les armes. C’est quelqu’un qui a énormément de tares physiques et mentales, si tu veux… Je me dis : « s’il a réussi, pourquoi pas moi ! ». C’est un bel exemple pour le reste de l’humanité. La moindre réussite de Pierre Thevenoux, c’est vraiment… (Ghislain ne peut plus contenir son rire) terriblement encourageant pour 99 % de la population.
Ça peut éradiquer la famine !
Exactement.
C’était très beau. Je pense que Pierre Thevenoux n’a jamais été autant encensé dans la presse…
Il le mérite.
En 2017, je t’ai proposé une idée de sketch car il m’est arrivé un truc dans la vie lié à des briques de lait et je pensais que tu porterais cette idée mieux que moi. Tu as décliné cette proposition de co-auteur car tu voulais que ce que tu joues sur scène vienne de toi à 100 %. Est-ce que tu restes sur cette ligne de conduite ?
Effectivement, j’écris toutes mes blagues seul. Je pense que c’est ce que tout le monde devrait faire. Tout le monde n’est pas d’accord, mais bon. Quand tu es comique, on te conseille parfois : « ça, tu devrais en faire une blague ! ». Ça ne m’intéresse pas aujourd’hui, même s’il ne faut jamais dire jamais ! Peut-être que je changerais, mais je ne crois pas. Je suis à peu près sûr de vouloir écrire seul.
En revanche, je pourrais écrire pour les autres. Si je le faisais, je me sentirais obligé de leur dire par honnêteté intellectuelle : « Je n’y crois pas trop, je pense que c’est vraiment à toi d’écrire tout pour toi-même. Si tu veux que j’écrive pour toi, je le ferai pour de l’argent. »
Comment résumerais-tu ton humour ? As-tu l’impression de faire rire juste grâce à ton attitude, comme le ferait un Djimo ou un Paul Mirabel ?
Typiquement : humour « ashkénaze ». C’est Rosa Bursztein qui me l’a dit un jour. Je ne sais pas si c’est vrai ! Comment définir mon humour… je n’en ai aucune idée ! Ce que j’aime bien, c’est le stand-up. À chaque fois que je vois quelqu’un définir mon humour, j’ai toujours l’impression que tout est toujours faux. En tout cas, je n’ai pas la volonté d’avoir un humour particulier.
Tu fais ton truc, et tu te moques du bruit autour, donc. Ça a dû être dur d’écrire le pitch du spectacle, non ?
Bien sûr, c’est un cauchemar de faire ces trucs-là ! Décrire le spectacle, faire ta mini-bio… Je préfère que les gens écrivent ce qu’ils pensent de moi.
J’ai quand même écrit la description du spectacle, qui ne décrit pas grand-chose d’ailleurs. Ce n’est pas étonnant.
Pourtant, j’ai eu de bons échos, notamment sur le titre du spectacle, Plus rien à branler. Il correspond bien à ce que tu peux dire dans les podcasts ou sur scène…
Ok. Oui, bon ben tant mieux.
Tu aurais aussi pu l’appeler J’ai baissé les bras.
Oui… C’est marrant, parce que c’est des lignes que je dis sur scène : baisser les bras, plus rien à branler… J’aime bien ce titre, comme l’affiche que je trouve très sympa. Le gars qui me l’a faite, c’est un mec, Georges Z, qui m’avait vu sur scène. Il m’a dit : « Si tu jour, tu as besoin d’un visuel, dis-moi ! ». Je regardais ce qu’il faisait, je trouvais ça pas mal. Du coup je l’ai contacté !
On passe maintenant aux questions bonus. Tu suscites beaucoup d’intérêt grâce à ton personnage mystérieux. Pour mieux connaître Ghislain Blique, que faut-il faire ? Regarder Love Actually avec toi, t’amener du saucisson de Savoie du refuge de Marie-Louise ou te proposer d’aller à la muscul’ ?
Pour en connaître plus sur moi ? Je ne sais pas… Elle est nulle, cette question, Juliette ! (rires)
C’est pour ça que c’est une question bonus… Essayons avec une autre. Le monde entier a compris que tu ne sais pas mentir, et quand tu te fais griller en train de créer une blague pour détourner un fait réel tu pars dans des fous rires incontrôlables. Est-ce quelque chose que tu souhaites mieux maîtriser, pour être un pince-sans-rire à la Charles Nouveau, ou alors tu mises sur cette perte de contrôle pour plier une salle en deux ?
Ça me fait rire de mentir en rigolant. Je trouve ça sympatoche. Mentir sur scène, ça fait des vannes moins marrantes. Ce qui rend les trucs marrants, c’est justement que ce ne soient pas des mensonges. Les blagues les plus marrantes sont celles qui parlent de trucs vrais.
Pour la prochaine question, je vais citer Aude Alisque, qui m’a parlé de toi : « Pendant les podcasts avec Mathias, j’adore quand Ghislain est là car il a une repartie très, très forte. »
On me l’a déjà dit, peut-être qu’il faut que je l’accepte. Je ne sais pas quoi faire de cette information.
C’est bizarre. Je ne trouve vraiment pas, moi ! Je vois des gens qui ont une repartie de dingue, surtout certains comiques en loge. Ils sont très marrants, il y a même des gens qui sont plus hilarants dans la vie que sur scène. À l’inverse, j’ai l’impression d’être plus marrant sur scène que dans la vie.
Moi, j’ai l’impression que tu as du mal à accepter les compliments et à partager le point de vue que les gens ont de toi !
Oui. Je fais partie des gens qui ne prennent pas très bien les compliments, qui ont tendance à les refuser. Je me demande s’il n’y a pas une arrogance cachée derrière tout ça. Une forme de fausse modestie.
C’est peut-être une protection. J’ai le sentiment que tu préfères vanner gentiment les gens que de distribuer les compliments !
Oui, je ne fais pas beaucoup de compliments aux gens. Je ne suis pas un grand rieur non plus.
[Ça dépend, en fait !]
S’il n’y avait que des gens comme moi parmi les spectateurs, on s’ennuierait. Les humoristes seraient vraiment tristes.
Tu es un humoriste triste ?
Non, je suis comme tout le monde. Je ne suis pas quelqu’un d’enthousiaste. Maintenant, l’autre jour, une fille dans le public disait : « lui, il est dépressif ! ».
C’est dur. Elle te l’a dit après ou pendant ton passage ?
Pendant et après ! Elle est venue me dire ensuite : « vous, faut prendre du Prozac » et tout ! Je n’ai pas l’impression d’être triste, peut-être de temps en temps mais c’est tout.
Un dernier mot sur le spectacle, sinon ? Il y aura des premières parties ?
Oui. Déjà, je n’ai pas encore une heure de spectacle donc il y aura entre 7 et 8 premières parties avant de démarrer. Plus sérieusement, il y aura une première partie. Tiens, il y a un comique qui rentre dans le bar. Installe-toi, on t’attendait.
Romain Barreda explique qu’il a rendez-vous avec Gabriel Francès et Sam Blaxter. Ghislain ne pourra reprendre son instant promotionnel que quelques minutes plus tard… Il explique d’ailleurs qu’ensuite, il a rendez-vous avec Hanouna…
Reprenons… Un dernier mot pour donner envie aux gens de venir !
Franchement, s’il vous plaît, je vous en supplie. Venez, si possible, payez les places plein pot. Il y a un tarif à 10 et un à 20 balles. Plus si c’est possible, envoyez-moi directement du pognon. Que veux-tu que je dise ? Venez voir mon spectacle. Je ne sais pas.
L’argent sera évidemment bien utilisé pour ta survie.
Oui, j’achèterais des légumes.
Oui, parce que ça suffit Pierre Thevenoux qui dit que tu ne manges que du saucisson !
C’est vrai.
Interview Ghislain Blique – Le débrief
Dans son interview, Ghislain Blique a probablement prononcé « je ne sais pas » 58 fois. Souvenez-vous : Jason Brokerss confesse ne pas être capable de dire « je ne sais pas » dans un sketch. À la lumière de cette information, vous comprenez donc à quel point Ghislain Blique pèse dans le monde du stand-up.
Après cette interview, Ghislain Blique, ce puriste de la blague, restera insondable. Un peu à la manière du duo Éric et Ramzy, incontrôlable en interview. Pour preuve : il accepte de voir cette interview paraître plus de deux ans après son enregistrement ! Et finalement, n’est-ce pas là le meilleur moyen de se livrer : sur scène, et pas en-dehors, face aux médias ? Ne méditez pas là-dessus, réservez vos places pour le voir à la Petite Loge !