Momentum – L’état de grâce sur scène

Juliette Follin 29/11/2017

Le momentum, c’est le moment où l’humoriste atteint un état de grâce. Chaque punchline apporte une nouvelle élévation à la précédente. L’enchaînement est parfait, la salle pleinement réceptive. Ce moment de rayonnement est rare et fort. Le spot du rire en a vécu 4 en 2017. On vous raconte.

Le plus puissant : Lenny, passage au One More Joke

Les organisateurs du One More Joke aiment bien raconter que le public retourne le lieu. Quand on sait que ce sont des as de la communication, on peut froncer les sourcils de scepticisme. Or, j’ai vécu ce moment. Ils ne bluffaient pas.

Je sortais du Start-up Comedy Club, délocalisé dans le 11e arrondissement à 2 pas de la rue de la Folie-Méricourt pour l’occasion. Rentrer chez soi ou faire un crochet par la salle bondée du One More ? J’ai opté pour la deuxième option. Le Détective Froussin livrait son compte-rendu d’enquête hebdomadaire. Et moi, j’avais l’impression de rentrer au bercail. Lenny enchaînait alors.

Voix posée, attitude espiègle, envie de secouer le public de l’intérieur. Tous les voyants étaient au vert : un moment propice au momentum pour Lenny. L’un des humoristes les plus stylés de Paname a livré son texte, l’a bien interprété. Les applaudissements jaillissaient. Parce que le One More sait recevoir ses habitués, j’étais dans le carré VIP avec les autres humoristes. Leurs yeux rivés sur Lenny, ils n’en perdaient pas une miette. J’avais l’impression d’être dans une scène de la série I’m dying up here.

Le plus maîtrisé : Roman Frayssinet, passage à l’Amicale du Stand-Up

Depuis quelques mois, Roman Frayssinet semble dans une autre dimension. Lorsque j’ai imaginé vous écrire sur le momentum, je me suis demandée quelle scène je prendrais en exemple. Parce qu’en réalité, Roman Frayssinet a souvent l’air d’être en état de grâce. Son explication : un travail acharné, une formation de très grande qualité suivie au Canada. Mais le talent ne s’apprend pas, il est simplement sublimé par la technique.

Roman a un univers particulier. Il faut y rentrer, et il nous inclut dans son délire avec une facilité déconcertante. On est comme happé par ce momentum, et il enchaîne avec ce ton si particulier, si efficace. Les pauses entre chaque mot, chaque rebondissement, sont calculés à la virgule près. Là encore, l’intensité augmente au fil des blagues. Il a conquis le public, qui titube un peu, l’air candide de celui qui n’a pas tout saisi.

Le momentum : l’impact de la salle

La première de l’Amicale du Stand-Up était un événement fort. Déjà, il était complet. Il montrait que le stand-up pouvait être hype. Au fond, les plateaux se divisent en 2 groupes. D’abord, les plateaux de nerds du stand-up intimistes, qui ne paient pas de mine et où l’on passe une bonne soirée. Et de l’autre côté, les plateaux où tu as l’impression d’être entouré par les beautiful people de tout Paris, des gens qui boivent des bières avec style. Tu passes aussi une bonne soirée, mais un peu plus serrée.

La popularité autour du lieu, le Perchoir dans ce cas, crée une ambiance presque artificielle. Et pourtant, c’est bien : le stand-up s’ouvre aux influenceurs. Pour l’exprimer plus clairement, c’est comme quand mon ancienne collègue n’en a rien à faire des plateaux où je vais, mais qu’elle a été voir Louis C.K. comme s’il s’agissait d’un pèlerinage, the place to be. Cela avait eu lieu avant l’histoire qui l’a éloignée de la scène, rien ne dit qu’elle aurait tenu ce discours. Fin de la parenthèse.

Le plus émouvant : Alexandra Pizzagali, showcase au Kibélé

Si vous nous lisez régulièrement, vous savez qu’Alexandra Pizzagali est l’une de nos dernières découvertes. Lors de son premier showcase au Kibélé, un petit café-théâtre à Strasbourg Saint-Denis, elle était très stressée avant de monter sur scène. Les proches et contacts venus pour l’occasion avaient hâte de voir son produit fini : le spectacle C’est dans la tête.

Sur scène, on a l’impression d’avoir affaire à une autre personne. La peur ne paraît plus. Mis à part un trou, elle a livré une prestation sans faute. Au terme du spectacle, tout le travail accompli et les efforts pour en arriver là sont remontés. A deux doigts de craquer, elle était en train de vivre une standing ovation du plus bel effet. Le donnant-donnant dans toute sa splendeur. Et ça, ce n’était plus dans sa tête mais bien réel.

Quand on a affaire à un talent brut, on sait qu’il se passe quelque chose de spécial. On a ce sentiment que la personne en face de soi ira très loin. Sans vouloir lui mettre la pression, c’est tout ce qu’on lui souhaite.

Le plus opportun : Jean-Philippe de Tinguy, passage au Festival d’Humour de Paris

Les festivals d’humour sont nombreux. Les humoristes viennent en nombre dans l’espoir de glaner un ou plusieurs prix. Ça passe ou ça casse : certains échouent et bident de manière inexpliquée, tandis que d’autres livrent leur meilleure bataille.

En janvier dernier, lorsque je parlais du Festival d’Humour de Paris à mes proches pour les inciter à s’y rendre, je leur intimais qu’il allait se passer quelque chose de fort. 11 artistes se partageaient l’affiche, et à mon sens, il y en avait 3 au-dessus du lot. Quelqu’un m’avait dit que Jean-Philippe de Tinguy avait seulement 1 chance sur 11 de gagner. Je lui ai rétorqué que je savais qu’il le ferait. En mon for intérieur, je masquais un peu une inquiétude, parce que j’avais jugé qu’il avait 73% de chances de gagner. Je ne voyais que 3 sur 11 d’entre eux capables de remporter le festival. Et ce qui est fou, c’est que l’année suivante, Charles Nouveau, résident du spot du rire, a décroché le prix SACD pour son écriture de punchlines !

Réussir un festival : mode d’emploi

Pourquoi douter ? Jean-Philippe était sur une pente ascendante : rafle des prix du Grand Tremplin de l’Humour de Sélestat quelques mois plus tôt, 2 dates complètes en showcase au Point Virgule. Alors, au moment de la prestation, il n’y avait plus qu’à faire le travail. Autant vous dire que je n’ai jamais vu autant de maîtrise dans son jeu. Je l’ai vu bien jouer plein de fois, trouver le bon mot, la bonne improvisation, la bonne intonation dans son texte. Mais ce soir-là, chaque phrase prononcée élevait le niveau de la précédente. Comme dans le Get psyched mix de Barney Stinson. Pas de temps mort. Juste une ascension vers les prix. Les enchaînements parfaits ont continué pendant tout le passage.

Pendant la délibération du jury, c’était l’humoriste-magicien Maxime Tabart qui divertissait la salle. Je n’étais pas d’humeur. C’était la première fois que je voyais un festival d’humour. Et j’étais aussi stressée qu’un supporter de football devant une séance de tirs au but de finale de coupe du monde. J’étais en mode prière alors que je suis athée. Alors quand Maxime Tabart m’a incité à claquer des doigts pour être dans l’ambiance avec le reste du public, j’avais juste envie de claquer tout court. Et au final, après une attente un peu insoutenable, le prix était pour lui. Pour découvrir qui sera son successeur, rendez-vous le 22 janvier prochain à Bobino.

Crédits photo

Betty Durieux

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