Le doute de l’artiste : chronique à toutes fins utiles

Juliette Follin 05/12/2019

Aujourd’hui, je devais vous parler d’un (mauvais) spectacle pour lequel j’ai reçu une invitation presse. Au final, je vais vous parler du doute et épargner ce comédien qui est étrangement produit… Oui, si j’avais les rênes, je mettrai mon argent ailleurs, mais ce n’est pas le sujet !

Doute sur les ondes et dans les salles

Ce spectacle, je ne l’ai pas trouvé à mon goût. J’avais perdu mon temps, mais je m’en doutais. Je me disais : « comment aurais-je pu occuper mon temps à meilleur escient ? », ce qui revient à répondre à la question qui nous taraude tous en ce moment.

Yacine Nemra, l’une de nos dernières découvertes humour, signait la même semaine un magnifique papier sur le doute (ou le fait de le cacher) sur Couleur3. Vous pouvez le réécouter ici :

La même semaine, j’entendais de nombreux humoristes autour de moi douter. Comment s’améliorer, saisir les bonnes opportunités et trouver ma place dans ce milieu de fous ? Quand on pense à ces questions, il est si simple de baisser les bras. Choisir l’artistique, c’est subir les interrogations constantes, voir tant d’autres avoir l’air de vivre leur meilleure vie… Et ne pas comprendre comment on en arrive là !

Et on s’oublie même un peu, on néglige ses contacts ou son bien-être, parce qu’il faut toujours prouver sa valeur jour après jour. Aussi, on regarde des gens qu’on trouve peu ou pas talentueux prendre des raccourcis, comme dans un Mario Kart bien réel.

Accepter d’être perdu pour créer et se réinventer ? Jette donc ce pamphlet de développement personnel…

Je croisais un humoriste, cette fois pas produit ou entouré d’une équipe, mais sérieusement en proie au doute. Il avait l’air dépité, à mille lieues de ce qu’il propose sur scène avec si peu d’expérience.

Pour tout vous dire, je comprends tout à fait ce qu’il traverse. Au final, je fais comme ces jeunes artistes : je débarque encore dans ce milieu, et j’expérimente la même impatience. On a passé deux-trois bonnes premières années ensemble, en proposant des critiques et articles par instinct. Même le choix de mes spectacles se joue à l’instinct, à l’affect ou l’émotionnel.

La vérité, c’est que la quête de légitimité est un combat de tous les jours. Les professionnels établis, j’ai pu les croiser ou les observer parfois de près. Ils ont la trouille. Cette année, j’ai compris que tout le monde était fragile dans ce milieu, surtout ceux qui roulaient le plus des mécaniques.

Loin de m’en réjouir, je me demande pourquoi les choses ne sont pas plus simples. J’ai aussi trouvé un programme régional signé France 3 : Les nouveaux talents du rire. Dedans, je connaissais surtout Thibaud Agoston et certains autres noms m’étaient familiers.

La si difficile vulgarisation des talents

Vous vous rappelez de cette critique de spectacle que je ne vous ferai pas ? L’artiste en question a, selon moi, le profil parfait pour exporter son spectacle. C’est bien présenté et mis en scène : le marketing est solide, la proposition artistique extrêmement claire pour le spectateur. Vous voyez les blagues arriver bien avant, vous êtes dans une zone de confort car vous avez vu ça mille fois.

Le contraste est saisissant avec mon expérience : j’enrage quand je vois ça. Tout comme j’enrage quand je vois la manière dont France 3 présente les humoristes : par des clichés ou des ficelles faciles. On n’est pas passé loin du classique : « Peut-on rire de tout ? », alors que la question de base, c’était : « Qui sont les nouveaux talents du rire ? ».

Je doute qu’on localise les nouveaux talents du rire

J’ai une idée précise et vague du visage des nouveaux talents du rire. Précise d’abord, car je comprends ce que je cherche. L’originalité, le petit truc en plus qui m’embarque, la sincérité dans la proposition artistique. Quand j’y pense, il y a aussi une certaine humilité face à l’exercice, qui laisse échapper une forte envie d’apprendre.

Vague ensuite, car l’offre est si dense que la résumer est une tâche drastique. C’est pourtant la mission du spot du rire, parce que j’aime me compliquer la vie, sans doute ?

Finalement, choisir les nouveaux talents du rire revient-il à faire confiance à une poignée de professionnels ? Ceux qui vont voir les spectacles et consacrent leur temps à une poignée de personnes ? Et on les découvrirait cinq par cinq, dans les méandres des plateformes de vidéo à la demande, les rediffusions télévisées ou radio, YouTube ? On n’a à peine le temps de se poser la question qu’une vidéo virale de discours politique ou féministe dévie notre cheminement de pensée.

Bref, je doute qu’on localise les nouveaux talents du rire, car on se heurte toujours au même problème. L’humour est subjectif. Et ça ne va pas aller en s’arrangeant. Les algorithmes nous éloignent déjà des artistes, alors qu’on cherche encore plus à ajouter de la personnalisation ou de l’intelligence artificielle dans la recette.

Vous reprendrez bien un peu de hasard ? Tout est une question de confiance

Parfois, je suis nostalgique de cette époque où je ne connaissais personne. Cet œil neuf était prêt à se perdre dans n’importe quelle salle de spectacle ! Axel Cormont, le Théâtre le Bout… Personne ne me l’a suggéré : j’ai tout lu sur un site de billetterie bien connu. Comprenez toutes les descriptions de spectacles, les fiches et même les avis spectateurs.

J’ai donné du temps aux artistes pour les découvrir, et ils me l’ont rendu au centuple derrière le micro et sous les projecteurs. Aujourd’hui, je vendrais ma confiance les yeux fermés à certains lieux ou artistes. D’autres n’auront pas ma clémence… Pour garder l’œil ouvert sur certains talents, il me reste tout de même une arme secrète : le bouche-à-oreille.

Le bouche-à-oreille est magique : là où vous ne saviez pas si un spectacle vous plairait, vous pouvez vous tourner vers une connaissance. Comme cette personne vous connaît, et si elle a vu le spectacle que vous voulez voir, vous allez y aller en levant vos freins habituels.

En résumé, le bouche-à-oreille continue de marcher, parce qu’on lui fait bien plus confiance qu’à un marketing bien ficelé. Vous pouvez pondre tous les mots que vous voulez, vous ne parlerez jamais aux plus hermétiques des publics…

La recette du succès artistique n’existe pas

Depuis plusieurs mois, Inès Reg ferait donc sensation grâce à « une vidéo » ? Comme d’habitude, c’est la partie émergée de l’iceberg que vous connaissez. Vous n’avez pas vu les multiples scènes ouvertes du Jamel Comedy Club, ou les premières scènes, ou les premiers doutes !

Je crois qu’il faut simplement accepter de laisser la place au doute et au hasard. Faire de son mieux tous les jours, se ménager quand on sature ou qu’on ne le sent pas… Et profiter de ces moments où on n’est pas là où on veut être (95 % du temps, sans doute) pour souffler et repartir avec l’insouciance du désespoir. Désolée si ça sonne « développement personnel », on commence tous à être intoxiqués par cette folie d’optimisation humaine.

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