L’art du retour à Paris – Humour instantané
Un retour à Paris, c’est toujours brutal. Mais ce samedi, la capitale est devenue rouleau-compresseur, ou montagnes russes. Récit d’un retour à la réalité du rire parisien.
Mise à jour 11/11/2019 : suite à cet article, Syphax s’engage à faire le point avec les humoristes concernés pour améliorer l’organisation de certains plateaux qui ne respectaient pas le système de réservation (ceux du vendredi et samedi soir à 21h30). On est ravi que cet article ait accéléré la chose, puisqu’ils avaient déjà reçu des retours négatifs et prévoyaient de les prendre en compte.
Syphax, pour rappel, c’est celui qui a eu la lourde tâche de remplir des créneaux à la Taverne de l’Olympia, de trouver des organisateurs sur plusieurs soirs par semaine et de gérer deux des plateaux du lieu. C’est aussi le seul qui a été constructif dans ses retours.
Retour à Paris : Antek, le meilleur pour un atterrisage en douceur
Antek était de retour au 33 Comedy, donc j’ai mobilisé le restant de mon énergie pour le soutenir. En plus, les nouveaux horaires du 33, deux sessions à 17h45 et 19h, me permettaient de m’éclipser pour une soirée tranquille.
Tout commençait donc très bien, malgré une ligne 4 pleine à craquer et la frénésie habituelle de Château Rouge. Cela restait dans la norme, donc pas de scandale. Le plateau se passait très bien, avec Morgane Cadignan qui assurait un bon passage, et Seb Mellia qui tuait la salle. Guano tentait des choses qui ne me parlaient pas forcément, mais qui le faisait très bien. Samy Bel était lui aussi bon, et Antek réussissait un très beau passage lui aussi.
Rien à signaler, donc, jusqu’ici. Mais le Barbès Comedy Club, c’est là où tu croises du monde. À Paris, tu as vite fait de ne pas pouvoir rentrer chez toi quand tu tombes sur une vieille connaissance. Dont acte, avec Harlem Dallas. J’aurais tellement dû en rester là…
Second service au 33 Comedy
J’ai donc fait le tour du Barbès Comedy Club pour reprendre une consommation, avec une vessie qui ne tiendrait plus longtemps la distance. Pas le temps de passer au contrôle technique, il fallait déjà rentrer dans la salle. Techniquement, ça n’arrive pas qu’un membre du public se farcisse deux sessions à la suite. Face aux seuls toilettes du Barbès Comedy Club, les incivilités régnaient : les filles se plaignaient de la lenteur de celle qui était dedans, et mon niveau de stress augmentait encore plus. Tant de haine pour pas grand-chose…
Heureusement, dans la salle, c’était le 33 Comedy. Le line-up évoluait un peu : Boriss Chelin remplaçait Samy Bel. Les passages de chacun étaient très différents. Ainsi, Guano me séduisait, Antek trébuchait là où il avait triomphé une heure plus tôt. Son cerveau a sans doute anticipé le moment où il allait être percutant, ce qui l’a déstabilisé et l’a fait bafouiller. Ce simple détail détruisait son effet, et cassait toute la dynamique du passage. Rageant, mais tellement nécessaire pour comprendre le niveau de détail qu’il faut pour plier une salle.
Morgane Cadignan, qui avait testé une vanne lors du premier plateau sans succès, changeait toute la physionomie de son passage. Plus de sûr, et de nouveaux thèmes abordés. Ça fonctionnait encore, mais pas pour les mêmes raisons.
Seb Mellia modifiait lui aussi légèrement certains éléments de son set, mais restait percutant. Pendant la première session, il avait lancé à Antek un truc du genre : « Mets moi plutôt au milieu, ce sera mieux que tu passes après mon passage de dépressif ». Je n’étais donc pas surprise de le voir débarquer avant Antek, et en profiter pour essayer de gratter du temps. Ainsi, il dépassait les deux fois, arguant qu’il avait sans doute le droit à un peu plus de temps après 13 ans de stand-up. Il ajoutait d’ailleurs que le public passait un bon moment, le prenant à parti pour forcer la main du MC. Il n’en abusait pas, alors on a fermé les yeux et trouvé ça amusant.
Finalement, les choses se passaient bien. Il me restait une étape : Harlem me disait qu’on retrouverait Renaud Sanviti. Comme vous le savez, c’est toujours agréable de discuter avec ce puriste. J’ai cru qu’on allait boire un verre, mais en fait, on allait se rendre à un plateau. Et comme pour l’alcool, il y a toujours le plateau de trop.
Le plateau de trop, Umbrella Comedy : retour à Paris dans la douleur
À une centaine de mètres de l’Olympia, la rue Caumartin regorge de bars et restaurants piégeux. Sans charme pour certains, ils n’inspirent pas vraiment confiance. La Taverne de l’Olympia accueille plusieurs plateaux au graphisme plus que douteux.
La communication Facebook de ces plateaux me donnait envie de ne jamais y mettre les pieds. Mais Renaud avait besoin de deux personnes pour jouer : un pré-requis demandé par les organisateurs, si on peut les appeler ainsi. Car il s’agissait cette fois de l’Umbrella Comedy, et après enquête, il s’avère que les incidents soient liés à un individu isolé. Nous n’aurions donc pas eu de chance. Plusieurs témoignages viennent confirmer cette thèse : les programmations de l’Umbrella Comedy allaient en s’améliorant, tandis que certains plateaux ont une meilleure réputation à la Taverne. Ça ne reste pas foufou, mais rien à voir avec ce que nous allons vous raconter.
Après avoir passé une semaine géniale à Nantes où les patrons de bar et les comiques étaient adorables, le choc fut brutal. J’avais littéralement peur des gens du bar, qui nous plaçaient à une table livrée sans chaise, près de la porte. Les gens s’agglutinaient de plus en plus dans ce petit espace, et je commençais à perdre la raison.
Harlem alpaguait les serveurs de manière autoritaire et je ne savais plus où me mettre. Je me disais qu’à tous les coups, ils allaient se venger en mettant quelque chose dans mon plat. Alors comme une victime, je disais un peu trop « s’il vous plaît » et « merci ». Au final, le plat était bon et les frites chaudes. Rendons à César ce qui lui appartient.
Le piège continuait toutefois de se refermer, tandis que nous étions 28000 âmes au mètre carré. Une demi-heure après l’horaire annoncé, les gens commençaient à faire la queue. Comme il y en avait beaucoup, on commençait à leur dire d’aller dehors. La porte s’ouvrait, se refermait, les gens étaient à 30 cm de mon assiette, c’était un cauchemar.
Ensuite, on a commencé à crier le nom de Renaud, qui devait ramener ses invités en début de queue. De fait, on a doublé tout le monde et on a entendu les gens nous insulter. En gros, on faisait partie des gens qui avaient réservé, donc on allait accéder à la salle. Tout de suite ? Non ! L’escalier était blindé, et on s’y est repris à 3 fois pour passer. On nous a calé pile dans le passage, et une fois assis sur une chaise en plein milieu, 58 personnes nous ont dit « excusez-moi » pour passer. Je n’en pouvais plus, je commençais à agresser un type derrière moi et je voulais crier à tous ceux qui me passaient dessus de me laisser tranquille. Un viol comique.
Je voyais en même temps la qualité du line-up se détériorer, avec des humoristes sacrément pétés. Le MC du soir, Othman, remplaçant, était une catastrophe : il se croyait à la kermesse, sautillant en mode karaoké sur One More Time. On me dit dans l’oreillette qu’à cet instant, les Daft Punk ont songé à arrêter leur carrière.
Il lançait Pedro, alias Alexandre, après une chauffe ultra-malaisante. Je le regardais en l’implorant par le regard d’arrêter la scène. Même chose pour Pedro-Alexandre, qui allait signer le set le plus raciste de la décennie. Franchement, dire que les Chinois prennent des photos parce qu’ils ont les yeux bridés et que sans ça, ils ne voient rien… J’en ai vu du racisme, mais celui-là, il est de compétition ! Pour un retour à Paris, on était vraiment dans une expérience violente. Là, j’ai compris la vidéo du nouveau comedy club de Fary…
Renaud arrivait sur scène, tandis qu’on voyait le gérant du bar nous menacer : il mimait globalement qu’on n’avait pas payé. Et c’était vrai, je me disais qu’on le ferait après le plateau, parce qu’il y avait 30000 personnes devant le comptoir et que ce n’était pas pratique. De fait, j’ai profité de la fin du passage de Renaud pour remonter et enjamber la dizaine de membres du public dans l’escalier et régler. Et là, le gars commençait à m’embrouiller, en me disant : « Si ça se trouve, vous aviez oublié, moi je suis honnête, je paie mes impôts ». Je n’ai pas dit le contraire, ce qui rendait sa réplique suspicieuse. Je payais donc pour moi et Harlem, histoire de calmer le jeu, et comme je voyais qu’il continuait d’insinuer qu’on était malhonnêtes, j’ai embrayé.
J’ai demandé depuis combien de temps ils organisaient ces soirées, il me répondait six mois. Arguant que c’était le samedi, que quand deux personnes devaient venir, il y en avait finalement douze. Je lui parlais d’Eventbrite, il me disait qu’ils passaient par-là mais que ces sur-réservations à l’improviste rendaient cela difficile. C’est juste le samedi, les autres jours, il n’y a personne.
Les organisateurs de l’Umbrella Comedy, franchement, faites quelque chose. L’accueil du public ce soir-là était inadmissible. Combien, parmi eux, ne reviendront jamais voir du stand-up ? Si vous n’êtes pas bons sur scène, essayez au moins de recevoir les gens décemment. J’étais tellement choquée que j’ai pris une minute, après avoir regagné la rue, pour respirer. Et après, j’ai filé à la Petite Loge en PLS pour espérer voir des têtes amies. Aude Alisque, à qui j’ai tenté de donner des flyers pour justifier ma présence, m’apaisait immédiatement. Perrine, la gérante du lieu, n’en croyait pas ses oreilles lorsque je lui expliquais cette soirée condensée en deux phrases. Au moins, le public de la Petite Loge avait passé une bonne soirée, et tout allait revenir à la normale.
Clarifications et conseils à l’Umbrella Comedy et aux autres plateaux
Suite à la publication de l’article, de nombreux humoristes ont pris le temps de m’écrire ou de m’envoyer des messages vocaux. Un objectif : souligner le caractère anormal de la soirée. Il faut dire qu’effectivement, cela faisait très louche de voir autant de monde si les organisateurs proposaient des soirées comme celle-ci à chaque fois.
Pour faire mieux et se distinguer de cette expérience-là, voici nos conseils :
- Rester fidèle aux réservations, et définir un nombre maximum de personnes qui peuvent rentrer.
- Disposer la salle avant de faire rentrer les gens (ce qui est plus simple quand vous connaissez le nombre de réservations…).
- Commencer à l’heure, avec 15 minutes de tolérance (allez, 20 tout au plus).
- Faire un contrôle qualité minimal sur les gens que vous programmez : il y a bien assez d’humoristes pour éviter les naufrages.
- Améliorer le graphisme, simplement pour vous distinguer des autres. Si la présentation est soignée, peut-être qu’on sera bien reçu et qu’il y aura de la qualité.
On espère que l’Umbrella Comedy ne vivra plus jamais de soirées comme celle-là. Et concernant le personnel du bar, peut-être qu’eux aussi étaient à bout face à l’organisation précaire de cette soirée-là.
Parlez-vous l’humoriste : anatomie des plateaux pétés
Un « plateau pété » (sic !), est-ce mal ? L’expression revient souvent. En réalité, un plateau pété, cela peut désigner deux choses.
Tout d’abord, il y a le plateau de niveau débutant. Les organisateurs apprennent et font leurs premiers pas, ils programment parfois maladroitement et les conditions ne sont pas idéales. Ces plateaux-là, on les aime bien. Un exemple vu récemment, c’est celui du Mamak Comedy Club.
En gros, la soirée est assez bonne, les humoristes n’ont pas encore le niveau nécessaire pour jouer ailleurs et ils travaillent en faisant plaisir à un public bienveillant. Tout le monde y gagne, et les cobayes ne sont pas surpris. Pas d’entourloupe.
Deuxième cas de figure : celui décrit dans cet article. Ici, nous avons un cas extrême avec la soirée de l’Umbrella Comedy du 9 novembre. Mais globalement, dans ces soirées-là, ça ne va pas. Ça peut venir du bar, des interactions agressives avec le public ou d’un vol de vannes. Là-dessus, les comiques sur le devant de la scène sont assez créatifs. Et ça, c’est ce qu’on ne pardonne pas. Une fois, ça passe, mais si ça devient une habitude, le plateau va fermer.
Retour à Paris : les montagnes russes, c’est ici
Paris a cela d’unique que vous pouvez passer huit soirées en une. Oubliez les bars conviviaux, bonjour l’opportunité de créer des souvenirs à qualité variable. Voilà comment se passe un mauvais samedi soir ordinaire dans la capitale, et pourquoi Nantes a vraiment quelque chose de spécial que certains plateaux à Paris ne sauront jamais reproduire… Le retour à Paris était difficile, éreintant et c’est malheureusement cela qui rend cette ville si spéciale.