Nadim au Point Virgule : premier contact et voyage temporel

Juliette Follin 08/08/2019

Le 7 août 2019, le Théâtre le Point Virgule nous offrait une exceptionnelle estivale comme il en a le secret. Nadim investissait la plus petite des grandes salles parisiennes et y proposait son spectacle Premier contact pour la première fois. Alors, ça donne quoi, Nadim au Point Virgule ? Soyez patient, je vous raconte tout !

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Une nouvelle halte dans le Marais avec Nadim au Point Virgule

Pour moi, c’était tout un symbole. Le signe d’une victoire des humoristes différents, singuliers, qui sortent du cadre.

Comment ne pas avoir une pensée pour les représentations passées de Jean-Philippe de Tinguy, de ses exceptionnelles en 2016 jusqu’à atteindre six représentations par semaine l’année suivante ? Non, j’y pensais nettement, naturellement. À tel point que je me doutais bien que l’ancien Dernier Jean-Philippe répondrait présent.

Retour en 2019. J’arrive avec une avance de quarante minutes, parce que je sais que le public arrive de plus en plus tôt. Avant, j’étais en pole position pour les spectacles de Jean-Philippe avec cette marge — aujourd’hui, j’intègre difficilement le top 20. Je suis donc surprise de voir le jeune humoriste Mickael Pellé arriver en même temps que moi. Il me confie ne pas être rentré chez lui après le travail, et avoir attendu pendant trois heures ce moment. Je le comprends.

La file d’attente se remplit rapidement. Mickael fustige les humoristes de sa génération : ils ont créé un groupe Facebook pour cet événement… et n’ont pas eu le réflexe de prendre leur place. Résultat, ils pleuraient intérieurement de ne pas être présents. Tous ? Non, sauf un irréductible humoriste, Bobbin, qui avait eu la présence d’esprit de faire comme son collègue.

Le gratin est là ! À moins que ce ne soient les patates ?

Bobbin arrive juste avant le spectacle et prend place à l’extrême opposé de la file d’attente. Entretemps, je discute avec Mickael et lui confie être revenue exprès de vacances pour cela. J’avais manqué la fin du 33 Comedy à la Grange, je ne voulais plus vivre de telle déconvenue.

Pendant cette discussion intense, la tête de Jean-Philippe apparaît dans mon champ de vision. Je n’avais plus vu mon idole déchue depuis les derniers Dimanche Marrant où il avait joué. J’ai failli le recroiser en janvier, si mes souvenirs sont bons : il voulait voir Salomé Partouche, et j’avais décidé de revenir à la Comédie des 3 Bornes pour voir l’évolution de son spectacle. Au final, la représentation n’a pas eu lieu.

Il est comme ça, Jean-Philippe : il soutient ses pairs. Ceux qui ont une fibre un peu folle, un peu border, un peu cassée de manière authentique. Je ne serais pas surprise de le croiser quand Ghislain Blique aura son heure. Oui, c’est une subtile manière de lui montrer la voie vers un spectacle génial, même s’il n’a pas encore vu le jour…

Pas de DeLorean, mais une autre expérience temporelle

Entre 2016 et 2019, le gouffre est abyssal. Le paysage humoristique est bien plus vaste et fourni qu’auparavant. Côtoyer ces deux générations dans le même espace-temps me semble irréel. J’ai l’impression de ne plus me souvenir de l’heure de Jean-Philippe, comme si elle n’avait pas existé. Dans le même temps, prendre place au premier rang, à l’extrême-gauche de la salle ; j’ai l’impression que cela se jouait hier.

Cette place est stratégique, même si elle ne vend pas du rêve. Vous avez un petit escalier en face de vos jambes. Or, si vous vous placez en biais, personne n’a autant de place pour étendre ses membres inférieurs que vous. Face à vous, la scène remplace les bancs que subissent les rangs derrière vous. Vous pouvez même vous accouder sans gêner la vue de ceux derrière vous. Cela se révèle indispensable pour éviter le torticolis dû à la proximité.

Cette place, que j’ai tant prise grâce à mes pole positions, personne n’en veut pour le spectacle de Nadim. Résultat, qui se la coltine ? Bobbin ? Non, il était vraiment loin dans la file. Jean-Philippe ? Bingo. Le jeu des chaises musicales me fait sourire, tandis que j’espionne discrètement quelques réactions. Instinctivement, je cherche à savoir quel spectacle est le meilleur entre les deux, et si l’homme du passé pense comme moi.

Arrête de comparer les maîtres du rire, apprécie Nadim au Point Virgule !

À cet instant-là, je commets une erreur. Au début, les univers de Jean-Philippe et de Nadim se voulaient frontaliers. Or, on relève aujourd’hui un gouffre entre les deux. Nadim a même fait scission avec lui-même, grâce à une fusion habile avec un coauteur structurant.

La structure, la construction d’un récit : c’était ce qui manquait à la prestation de Nadim jusqu’ici. Très bon improvisateur, il se sortait des situations délicates avec beaucoup d’aisance. Tel un triathlète du rire, l’humoriste arrivait à pondre des histoires de colonel lors de sa première au Théâtre la Cible. Bluffant, mais la récréation joviale ne peut plus vraiment exister au Point Virgule.

On monte la difficulté d’un cran, et le spectacle se transforme au moins de moitié. Au début, généralement, l’artiste cherche des lieux communs pour rassurer son auditoire. Nadim ne joue pas dans cette cour. Son terrain de jeu, c’est la prise de risque. N’essayez pas cela chez vous, c’est dangereux : 90 % des humoristes en herbe s’y casseraient les dents.

Mais pas Nadim. Le triathlète se transforme en gourou du rire sympathique et nous tient en haleine. Il ne nous épargne rien : deux entractes en une dizaine de minutes, une fin de spectacle proclamée au bout de 20 petites minutes. Pour avoir vu Perceval de Grâce à la Petite Loge, je peux vous dire que ça arrive. Je serre des dents. Je jette des coups d’œil furtifs à Mickael, Jean-Philippe et les inconnus de la salle. Désolé Bobbin, à ce stade, j’ignore toujours ta localisation précise… Guette la moindre réaction de lassitude. Parfois, elle apparaît quelques secondes sur un visage isolé. Nadim rassemble donc l’essentiel de son audience, en perd un ou deux l’espace d’un instant, puis récupère tout le monde en continuant de nous infliger ses prises de risque. Sur une heure entière.

Verdict

Avec Nadim au Point Virgule, la magie opère donc. Les transitions sont généralement soignées, tandis qu’un coup de téléphone-running gag nous offre un repère pendant l’heure entière. À son terme, je suis épuisée, j’ai pleuré de rire à plusieurs reprises et j’applaudis avec ardeur. Que venons-nous tous de voir ? Un spectacle unique, sans aucun doute. Une leçon d’humour : vous pouvez tout faire si vous assumez vos choix artistiques. Un moment de bonheur humoristique, assurément. Connaissant Nadim, je peux vous assurer que ce n’est pas le dernier…

Crédits photo

© Christine Coquilleau / Portfolio Underground Comedy

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