C’était mieux maintenant : comment Avril se construit à la Petite Loge

Juliette Follin 30/10/2020

Depuis maintenant un an, C’était mieux maintenant est à l’affiche du plus petit théâtre de la capitale. À l’origine de ce titre nuancé, l’humoriste Avril aborde chaque représentation avec l’envie d’évoluer. Comment Avril parvient-il à construire son style d’humour ? Pourquoi, malgré les multiples changements, réussit-il à conserver de solides fondations comiques ?

Même si Avril n’a pas joué une année complète en raison du confinement, je vous propose un premier bilan. Pour ce faire, j’ai épluché les critiques sur un célèbre site de réservation de spectacles. Quatre grands volets émergent : originalité, ambiance, écriture et maîtrise.

Originalité : C’était mieux maintenant n’est pas un spectacle comme les autres

« Différent », « rafraîchissant », Avril emporte le public dans ses « folles réflexions ». Sa force se situe entre un « humour décalé » et une « personnalité intrigante ». La quête d’originalité d’Avril est d’abord un combat. Très compétitif envers lui-même, il a cette envie de développer une originalité et ne pas faire comme tout le monde.

Cela se traduit notamment par son besoin de développer une pensée critique distanciée de tous lieux communs. C’est le propre des curieux : ils ne prennent rien pour acquis, ne se satisfont pas des poncifs et questionnent tout. Il aurait pu être chercheur, mais il se serait doute ennuyé ferme dans cette vie-là.

Sa polyvalence l’amène donc à pouvoir évoquer de nombreux sujets. Cette envie de tout comprendre et de sortir des sujets habituels est forte chez lui. Mais contrairement à d’autres, il a compris qu’il n’est pas nécessaire d’avoir l’air intéressant pour le devenir… À mon sens, les humoristes qui veulent délivrer des messages au détriment du rire se sont trompés de vocation. Ils devraient plutôt s’engager en politique et laisser la scène aux orfèvres de la vanne.

Expérience et ambiance : vous allez vous en souvenir !

Parce qu’avant toute chose, Avril aime provoquer les rires. Il veut avoir l’air agréable et amuser la galerie. Comment cela se traduit-il ? Selon les spectateurs, « on le suit comme une évidence » grâce à « son aisance déconcertante ». Pour cela, il « crée une atmosphère unique ». Nombreux sont ceux qui décrivent « un très bon moment » passé à la Petite Loge.

C’est peut-être le volet le moins connu d’Avril. Il parvient souvent à surprendre et se surprendre lui-même. Il nous amène ainsi à croire qu’il n’est pas perçu comme sympathique, prenant l’exemple d’un retour spectateur après une scène.

Au final, son heure est l’occasion de dégommer cette critique (dont vous ne trouverez aucune trace !) : les interactions créent un moment assez fort, surtout pour ceux qui interagissent. Outre les échanges, Avril mise sur une autodérision saine. Son désamour pour la victimisation fait qu’il s’amuse de lui-même et diffuse un rire communicatif dans toute la salle.

Chaque prestation devient unique, ce qui amène parfois Avril à lutter pour conserver son fil conducteur.

Finesse et qualité d’écriture : entre précision et bouillonnement

Heureusement, il mobilise une « écriture ciselée et intelligente ». Il propose ainsi « un texte réfléchi et personnel ». La perception des spectateurs prouve que ça fonctionne : Avril est « fin, drôle et subtil à souhait ».

Sur ce point, Avril a évolué. Il a certes toujours su et aimé écrire avec intelligence. Cependant, il avait du mal à se canaliser. C’est le propre de ceux qui ont longtemps contenu leur verbe et entendu des benêts mobiliser la parole. De fait, sa première prestation bouillonnait littéralement. Je la décrivais alors comme « un festival, un feu d’artifice et un gros bordel ultra-organisé ».

Contradictoire, n’est-ce pas ? Pas chez Avril, justement grâce à sa finesse et à la force de son écriture. Cette faculté à créer de la surprise dans le texte comme dans le jeu est rare. Il la propose de plus en plus, de mieux en mieux. Oscillant (hésitant ?) entre le seul-en-scène et le stand-up, Avril n’a peut-être pas encore saisi qu’il a trouvé le bon compromis entre l’efficacité et l’originalité comiques.

Car savoir écrire, c’est aussi créer un spectacle digeste pour le public. En un an, les progrès sont réels, même s’il reste quelques détails à fignoler. Cet automne, l’heure est beaucoup plus fluide, ponctuée de respirations rendant le tout agréable de bout en bout. Mais le 10 octobre dernier, il avait encore le désir d’en proposer toujours plus tout en respectant son temps de scène. Plutôt que de sacrifier un pan de son show, il a accéléré le rythme pour en sacrifier le moins possible. Avec plus d’expérience et une confiance accrue, il deviendra redoutable.

Maîtrise : C’était mieux maintenant, c’est toujours mieux à l’instant T !

Redoutable, c’est sûrement le bon adjectif pour rendre compte de la détermination d’Avril et de son envie de mettre tout le monde d’accord. Je parlais plus haut de l’efficacité comique. Très bon en storytelling, Avril est encore plus percutant sur une ou deux phrases. Mention spéciale à sa blague sur le risotto, l’un des nombreux exemples de ses trouvailles tout au long du spectacle. Pour les spectateurs, cela ne fait aucun doute : il propose de « très bonnes punchlines ».

En 2018-2019, Avril se reposait sur sa décontraction et son bagout sur scène. Il savait déjà occuper l’espace et créer une ambiance particulière. Mais il devait encore muscler son propos et son jeu. Le résultat est là : un « mélange d’univers et de procédés comiques différents » lui permettent de jouer sur de nombreux tableaux. Thierno Thioune doit prendre pas mal de plaisir à mettre en scène ce spectacle, et les deux forment un binôme très complémentaire.

Verdict : que vaut le spectacle C’était mieux maintenant d’Avril ?

Les spectateurs ne s’y trompent pas : ils ont affaire à « un talent de qualité promis à un bel avenir ». Ce type de critique n’est pas rare, bien sûr, sur les sites de réservation. En revanche, les conditions sont effectivement réunies pour que la prophétie devienne réalité.

Pour qu’un artiste émerge, il faut un savant mélange entre le talent et le travail. La force de travail d’Avril est indéniable : il le prouve chaque semaine au Laugh Steady Crew et il ne se repose jamais sur ses acquis. Question talent, en festival comme face aux observateurs, plus que de se frayer un chemin, il s’impose avec force.

Je l’ai toujours dit : à sa première scène, il m’a fallu quelques secondes pour percevoir qu’il allait marcher. Six mois plus tard, quand je l’ai revu, il avait à peine commencé à exprimer son potentiel et marquait déjà les esprits. La marge de progression, tous les artistes en bénéficient. Cependant, elle est plus ou moins vaste et prometteuse.

Vous l’avez compris : avec Avril, l’avantage, c’est que c’est toujours mieux maintenant. Chaque nouvelle représentation est un cran au-dessus de la précédente. Un artiste comme lui est en cela très intéressant à suivre. C’était mieux maintenant est donc un spectacle à voir et à revoir !

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