Interview Yacine Belhousse : « Ce qui fait la différence, ce n’est pas le genre d’humour, mais le talent de l’artiste »
Yacine Belhousse est un humoriste incontournable, sur scène comme en interview. Il a su imposer son univers dans un milieu où les tendances mènent souvent la danse. Figure de proue de l’humour alternatif en France, il est également un bel ambassadeur de l’humour universel.
Yacine joue son spectacle à la Nouvelle Seine depuis le début du mois d’octobre. C’est donc une période chargée pour l’humoriste qui, clairement, s’exprime partout. Forcément, j’ai saisi l’opportunité de l’interroger à mon tour. Ce qui n’est pas chose aisée : comment faire découvrir un comique dont tout le monde parle dans ce milieu de niche, mais qui doit conquérir le grand public ?
Comme Yacine, j’ai voulu être fidèle à mes méthodes habituelles et j’espère que vous aimerez cette interview !
L’interview de Yacine Belhousse
Tu réinvestis la Nouvelle Seine à l’automne, un endroit où Eddie Izzard a aussi eu ses quartiers. À quel point es-tu attaché à ce lieu ?
J’ai commencé à jouer à la Nouvelle Seine en 2015. Mais je connais Jessie [Varin, la directrice artistique du théâtre, Ndlr.] depuis un bon moment. Elle faisait des soirées court-métrages au Jamel Comedy Club quand on s’est rencontrés. On a vraiment sympathisé. À chaque fois que j’allais à la Nouvelle Seine, je trouvais le lieu très charmant.
Au moment où j’ai cherché une salle où jouer, j’ai travaillé avec Clémence Bracq, de Georgette’s Prod. Elle m’a dit que ça allait être super de jouer à la Nouvelle Seine. Ça s’est joué de connaissance en connaissance. Quand j’ai commencé à y jouer, j’ai bien aimé, je me suis senti à l’aise. On reste dans les endroits où on se sent bien.
Je connais bien Eddie Izzard depuis 2011. On s’était croisé en 2007, et il a toujours été très cool. Il jouait alors au Théâtre de Dix Heures. Plus tard, il a cherché une scène où jouer à Paris. Je lui ai conseillé d’aller à la Nouvelle Seine.
Vous avez le point commun d’avoir joué dans plein de lieux, au-delà même de vos frontières respectives.
Exact ! En 2013, j’ai fait ses premières parties. On a commencé par l’Olympia, c’était formidable. On avait répété dans de plus petites salles ailleurs en France. Pour l’Olympia, j’ai joué 30 minutes avant lui. C’était l’une de mes plus belles expériences de stand-up. C’était un très bon show, où Eddie a cartonné. Ça s’est bien passé pour moi aussi.
À la suite de ça, il m’a proposé de le suivre en tournée. En 2015, j’ai joué avec lui partout en France, et un an plus tôt, je tournais en Europe et en Angleterre. Tout l’été 2014, j’ai joué en anglais. En août, j’ai même fait le Fringe à Édimbourg. C’était 26 shows de 1 heure pendant un mois, en anglais. Personne ne le sait, je crois, mais je l’ai fait !
C’est un festival très cool, ultra éclectique, qui regroupe tant de styles différents !
C’est inspirant, je trouve. Il y a de nombreux spectacles différents.
Tu as pu prendre le temps d’en voir malgré toutes ces dates à assurer ?
J’en ai fait plein ! À partir du milieu de ma programmation, je prenais le temps de sortir. Un de mes amis m’avait conseillé de me concentrer sur le plaisir. J’étais focalisé sur le travail : c’était en anglais, il fallait que je bosse dur… Il m’a dit : « Sors voir des shows ! Ça va te faire du bien. Ça va aussi t’inspirer en te donnant les petits plaisirs des comédiens qui en regardent d’autres jouer. Tu vas pouvoir te dire qu’untel est trop fort… ».
Ce plaisir de voir des artistes si forts, ça te donne des idées, ça te fait penser à plein de choses. Les anglais sont extrêmement originaux, c’était un plaisir de jouer là-bas. Même si c’était dur !
Il fallait remplir, aussi…
Plus jouer une heure en anglais, 26 fois, tous les jours. C’est un rythme intensif.
Quand tu te présentes en plateau, tu essaies de faire en sorte que le public te suive dans ton humour surréaliste pour ne pas « faire un bad trip » (sic !). Comment fais-tu pour conquérir les membres du public qui ne t’ont pas encore vu sur scène ?
Je sais que ça peut paraître un peu étrange de dire : « vous allez faire un bad trip… ». J’ai commencé à le dire un soir en improvisant. J’ai noté que ça avait totalement changé la perception du public. C’est comme si je leur donnais un mode d’emploi qui les aidait. Ce n’était pas du tout prétentieux, pour leur dire : « tu vas m’écouter » ou je ne sais quoi. C’était pour les avertir que mes blagues contiennent beaucoup d’imaginaire. Si vous suivez, vous allez encore plus profiter. J’ai remarqué que ça les détendait.
C’est une sorte de brise-glace.
Exactement, tu as tout compris ! Tu sais, c’est comme quand tu vis une situation gênante et que tu relèves la situation gênante. Dans ce que je fais, je parle d’animaux qui parlent — des choses assez surréalistes. Parfois, les gens peuvent trouver ça un peu bêbête ou naïf. Mais quand on suit le délire, on passe un bon moment : c’est cool, finalement, il n’y a pas de problème. Je ne fais pas ça pour créer un malaise.
D’ailleurs, là où tu fais un carton, c’est auprès des humoristes ! Ils sont très nombreux à te respecter car tu as réussi à imposer ton style et tu n’as rien lâché. Que t’apporte la reconnaissance de tes pairs ?
Au départ, c’était l’un des motifs de participer à des soirées d’humour. Évoluer avec des gens drôles, que j’aime bien. Il y avait vraiment cet aspect de se faire des amis qui partagent le même délire. Ça m’a animé quand je pratiquais du théâtre : traîner avec des gens que j’aimais bien, que je respectais et que j’admirais. Ça permet de vivre des moments intenses de rires et de blagues.
Souvent, les comiques n’ont pas le même cerveau (que la plupart des gens). Ça les pousse à écrire des blagues et monter sur scène. Au fond, c’est assez bizarre ; ils sont tous un peu fous, moi le premier ! On a tous des idées loufoques, bizarres ou gênantes. Trouver plein de potes et obtenir leur reconnaissance, ça me fait hyper plaisir. Je pense d’ailleurs que ça m’aide énormément. En effet, si des gens n’accrochent pas forcément à mon style, entendre dans une interview qu’untel ou untel me cite, ça permet au public de s’intéresser à mon style. Être un comique de comiques, c’est valorisant, ça me fait très plaisir. Maintenant, j’aimerais bien être un comique du public pour remplir la salle. S’il n’y avait que des humoristes, il n’y aurait que cinquante personnes, ce serait dommage.
Paradoxalement, tu tiens beaucoup à l’humour universel, celui qui te permet de jouer dans le monde entier. D’ailleurs, c’est Eddie Izzard qui t’a donné envie de jouer dans de nombreux pays. Qu’est-ce qui est le plus gratifiant quand on joue loin de chez soi ?
L’une des choses essentielles, c’est d’être capable d’exister un peu partout. Je voulais prouver que mes blagues peuvent faire rire en Russie ou en Afrique du Sud, etc. L’un de mes objectifs dans la vie, c’est d’être en phase avec les gens. Je me suis toujours senti un peu mal à l’aise avec les gens, le public, etc. J’ai souvent ressenti une forme d’embarras, avec l’impression de ne jamais pleinement être à ma place. J’ignore si ça existe, de se sentir pleinement à sa place. En tout cas, j’ai développé beaucoup d’écoute et d’empathie, car c’est difficile de m’exprimer.
Le faire dans d’autres langues et d’autres pays, ça me fait beaucoup de bien. Mon esprit arrive à faire passer une blague. Ça reste quelque chose de simple, une blague : ce n’est pas une théorie, je ne mets pas trop de poids dessus. J’aime l’échange et la connexion qui se créent : connecter avec des gens qui viennent d’ailleurs, se sentir compris… C’est très agréable. Quand le rire suit la blague, c’est l’indicateur qu’on m’a compris. C’est rassurant : on fait partie du même groupe, on est ensemble. On est une sorte de tout, on passe un très bon moment.
Imagine : tu racontes quelque chose de très personnel. Je pense à la blague où j’explique que j’étais malade quand j’étais petit. Mes parents ne m’ont pas dit que j’ai failli mourir tout de suite, mais plus tard. En effet, on ne dit pas à un enfant de 3 ans : « Si tu as un coloriage à finir, c’est maintenant ». La blague est violente. Voir que les gens comprennent exactement ce que je voulais dire, alors que j’avais l’impression de rendre compte d’un sentiment très particulier, unique… C’est chouette !
Ça t’a amené à proposer le documentaire « Voulez-vous rire avec moi ce soir », d’abord disponible sur Comédie+ et sur Netflix depuis mars 2020. Tu m’avais confié que ce projet avait été très demandeur et complexe à mettre sur pied. Ça m’a touché personnellement, et à la rentrée, j’ai trouvé le moyen d’avoir la chaîne à un tarif correct pour proposer à qui veut : « Voulez-vous regarder le docu de Yacine avec moi ce soir, y aura de la pizza ». Peux-tu revenir sur ce projet ?
Mais non !… Ton anecdote me fait trop plaisir. Merci beaucoup d’avoir fait cet effort, c’est toi qui es généreuse.
J’avais beaucoup de pression, car le documentaire devait durer 1h30. C’est long. Je me demandais si les gens allaient conserver leur intérêt tout au long du documentaire. On traite de comédie du début à la fin… J’étais très inquiet, mais les retours que j’ai eus étaient positifs. Les gens le regardent généralement jusqu’au bout, j’en suis heureux.
Ce qui aide, à mon sens, c’est que le documentaire est découpé en fonction des parties du monde. Le fil conducteur est donc solide et clair.
Aussi, à la fin, les 20 dernières minutes permettent de tirer des enseignements. Le documentaire aux quatre coins du monde dure 70 minutes. Ce qui aide aussi, c’est qu’il y a beaucoup de blagues. Je ne sais pas si tu as découvert des artistes qui t’ont fait rire. Il y a des mecs comme Tony Law, par exemple… Ce gars est un génie !
J’ai encore sa chanson de fin de spectacle dans la tête ! Je recommande à tout le monde de découvrir ce tour de force. Et c’est drôle, car en le regardant avec d’autres gens, j’ai vu que je riais à certaines choses et eux à d’autres.
La comédie peut être universelle, les Américains le prouvent en propageant les rires dans le monde entier avec Netflix. En stand-up, peu importe ce que tu aimes, il y aura toujours un comique qui fera quelque chose qui ira dans ce sens-là. Il ne sera pas forcément français, d’ailleurs : tu pourras trouver un Espagnol qui te parlera plus.
Marina Rollman m’a conseillé une comédienne : Maria Bamford. Je ne l’aurais jamais découverte sans Marina, je pense. Je l’adore, c’est l’une de mes chouchous. Elle a une manière bien à elle de parler de maladie mentale. Elle explique comment faire attention à soi-même de façon intellectuelle et psychologique. Ce thème, à mon sens, est rarement abordé. Maria Bamford va dans des choses très profondes et personnelles. Elle est courageuse !
Cela a dû parler à Marina qui traite aussi de la dépression dans son spectacle.
C’est un sujet intéressant, et Maria Bamford parvient à être hyper drôle. D’ailleurs, je suis un énorme fan de Marina Rollman, je la trouve au-delà de brillante !
Je pense aussi à l’humour alternatif. Je pense que ce mouvement va émerger en France. Certaines personnes vont finir par se lasser du stand-up, qui est devenu un courant dominant de la comédie. C’est formidable, tant mieux, bravo à nous ! Je vois une partie du stand-up devenir alternatif et ça m’intéresse de découvrir si je peux trouver ma place là-dedans. C’est un courant qui me touche.
Le stand-up alternatif, au début, je pensais que c’était forcément quelque chose d’original et de différent dans le style. Grâce au documentaire, j’ai compris que ce courant est apparu en Angleterre par opposition à un humour sexiste, raciste, etc. Peux-tu préciser cela, pour que nous y voyons tous plus clair ?
Pour moi, c’est l’une des fiertés du documentaire. J’ai l’impression qu’on l’explique dedans. Il y avait des blagues sur les belles-mères, sur les meufs, les Polonais… Au bout d’un moment, l’envie de faire autre chose a émergé. Les comiques faisaient plus attention à ne pas être agressifs, à ne pas blesser ou parler de telle ou telle communauté. Ça a lancé une nouvelle vague : comme il y avait plus de contraintes, cela poussait les humoristes à réfléchir plus. Des humoristes comme Tony Law et Eddie Izzard viennent de ce monde-là. C’est apparu dans les années 1990 en Angleterre. On a presque 30 ans de différence avec eux ! Comme le stand-up est un peu jeune en France, ça me semble normal d’avoir ce décalage.
Et finalement, le stand-up alternatif, je pensais que c’était plus difficile d’accès car plus original…
C’est le cas aujourd’hui : plus le temps passe, plus il faut se démarquer pour aller loin. Maria Bamford, c’est aussi alternatif pour moi. Elle reste dans sa ligne de conduite. On n’est pas obligé d’arriver en mode : « Salut les copains, vous voulez rigoler ?! ». Aujourd’hui, peu de comiques font ça. Par contraste, quand j’ai commencé, les gens ne comprenaient pas qu’un humoriste enchaîne blague sur blague, non-stop. Des gens me disaient : « Pourquoi tu ne fais pas de blagues ? ».
Aujourd’hui, on commence à comprendre que les humoristes sont des artistes créateurs de textes où ils écrivent des blagues. Ils sont peut-être tristes, aussi. Les affiches étaient très différentes : on était tous super enjoués dessus ! Un grand sourire, où tu montres que tu es très drôle. Ça marche encore avec certains humoristes car c’est ce qu’ils font sur scène. Mais par exemple, Blanche Gardin a une affiche très basique, où l’on ne voit pratiquement rien… et c’est très joli !
Doully fait aussi cela, avec sa nouvelle affiche.
Oui ! On n’est pas obligé de faire : « Salut les jeunes ! On va rigoler ! ».
Aujourd’hui, on profite d’une vraie diversité des styles.
J’aimerais beaucoup que ça se diversifie de plus en plus. Je veux voir une vieille dame de 80 ans raconter sa vie. Pour moi, le stand-up n’appartient à personne. Ça peut prendre n’importe quelle forme. La seule règle à respecter, c’est qu’il y ait des blagues et que tu t’adresses aux gens, généralement avec un micro.
Après, fais ce que tu veux ! Si tu veux venir avec une perruque, une moustache, je dis bravo ! Je prédis d’ailleurs que le prochain carton français, ce sera un spectacle composé de sketches. C’est déjà un peu le cas avec Les Bodins, par exemple. Celui qui propose un spectacle avec plein de bons sketches, comme dans les années 1990. Laura Felpin, par exemple, pourrait amener sa galerie de personnages dans un spectacle et faire le tour de France… Je suis sûr que les gens seraient très heureux, et les stand-uppers aussi. Il n’y a pas lieu d’opposer le stand-up, le one-man-show, etc. : on est tous ensemble.
D’autant plus que les critiques formulées à ceux qui font des personnages sur scène, elles se réfèrent à la qualité et non à un genre donné…
Évidemment ! Si c’est drôle, c’est drôle. Je pense qu’il faut essayer d’arrêter d’entrer dans ces débats. Ça ferait du bien à tout le monde. On me pose souvent des questions là-dessus en interview…
Rassure-toi, je n’ai pas prévu de le faire !
Tant mieux, alors !
Mais je comprends que des journalistes plus généralistes tombent dans cet écueil.
La culture commence vraiment à changer. Quand j’ai commencé, les journalistes n’avaient pas cette connaissance. Aujourd’hui, ils ont une culture de dingue : à Télérama, au Parisien, les gens que j’ai rencontrés savent exactement de quoi ils parlent. Ça fait plaisir.
Je crois que Blanche Gardin a changé beaucoup de choses. Au début, ils demandaient à Blanche : « Ce que tu fais, ce n’est pas du stand-up ? ». Elle leur disait que si, et elle se battait pour affirmer son appartenance au monde du stand-up en interview. C’est tout à son honneur ! Elle aurait pu s’en dissocier et dire qu’elle faisait quelque chose de mieux. Mais non, elle est restée avec les copains, en disant : « on fait tous du stand-up ». Et elle a eu beaucoup de succès !
De fait, ça les a amenés à réviser leur jugement. Le stand-up, ça pouvait être marrant. Avoir une ou deux personnes brillantes qui évoluent avec des personnes dans l’ombre, ça crée des coups de projecteur. Ce qui fait la différence, ce n’est pas le genre d’humour, mais le talent de l’artiste.
Le nombre d’humoristes a explosé ces derniers mois. Comment as-tu accueilli cet afflux de nouveaux apprentis comiques entrants et sortants, toi qui as su rester dans la partie en conservant ton niveau de jeu ?
Je l’accueille très bien ! C’est génial de voir de plus en plus d’humoristes faire du stand-up. Ça éduque le public : on le rassure en lui donnant une image cool du stand-up. Plus les gens le savent, plus ils ont envie de sortir. Et puis, il y a une forme de compétition qui sera, je l’espère, positive. Ça pousse tout le monde à progresser : il faudra être plus fort pour pouvoir évoluer dans le milieu du stand-up.
L’émulation est belle : des salles s’ouvrent grâce à Shirley Souagnon, notamment. Il va se passer plein de choses, et j’espère qu’on sera ensemble. Les familles d’artistes, c’est normal qu’elles existent : il y en aura toujours. J’espère cependant qu’il n’y aura pas de clivage. C’est un peu : « Venez, on essaie de bosser ensemble pour de vrai, et voir si c’est possible ! ». Plus on est nombreux, plus il est simple de se polariser. J’espère qu’on assistera à un regroupement, que tout le monde aille jouer chez tout le monde.
Il est vrai que sur les plateaux, on voit parfois les mêmes humoristes jouer entre eux. C’est souvent le cas dans les petits plateaux, notamment parce que les gens ne se connaissent pas.
Oui, c’est normal. Il y a aussi des niveaux. C’est dur, par exemple, de dire à un autre humoriste qu’il n’est pas assez bon pour jouer sur tel ou tel plateau. Je ne sais pas comment ça se passe, car j’ai de la chance. Les gens savent que j’ai déjà joué avant, ils cernent donc à peu près qui je suis. Un jeune comédien, lui, doit trouver le chemin vers ses premières scènes. C’est très difficile : on me demande souvent par quoi commencer. J’explique alors ce qu’est un open-mic [une scène ouverte, Ndlr.].
Mon conseil, c’est toujours d’aller voir les plateaux. C’est un métier qui se vit. Il faut aller parler aux présentateurs de la soirée et lever le nez de Facebook. Les messages écrits sont un peu impersonnels, alors qu’on exerce un métier de chair et de sang ! Allez voir ces gens, demandez-leur comment on fait pour jouer, car vous voulez jouer. Soyez poli, sympa, ne réclamez pas. Ils vous répondront forcément, parce qu’ils ont été dans votre situation auparavant. Se déplacer, c’est démontrer sa motivation. Ensuite, c’est juste l’affaire de parler avec les comiques, rire, leur dire bravo après un bon set…
Comme Haroun ou Baptiste Lecaplain, tu te prêtes régulièrement à l’exercice des plateaux d’humour. Quel est le principal apport de ces soirées : tester pour des soirées à enjeu, faire la promotion de ton spectacle et de tes projets ou côtoyer les humoristes actuels ?
Il y a de tout ! En plus de ça, être dans une pièce où les gens rient, ça me détend et ça m’apaise. C’est une berceuse le rire. J’aime bien encourager les plateaux : si on me propose d’en découvrir un, j’y vais. Ça me fait très plaisir de rencontrer des nouveaux comiques. Entendre des blagues et des personnalités nouvelles, j’adore. Joseph Roussin, par exemple, il m’a plié en deux. Ça m’a fait plaisir de le découvrir. Il disait : « Ouais, je ne sais pas, machin… » mais pour moi, il était trop fort. Louis Dubourg, passionné de stand-up, a créé le One More Joke avec Certe Mathurin : c’était génial. Je parle de ça à ma génération, et ça peut créer des ponts avec la nouvelle génération !
La scène n’est qu’une petite partie de ce que tu fais. Il y a bien sûr L’Histoire racontée par des chaussettes…
Les chaussettes, ce sont des pastilles qui relatent des événements historiques. On en fait des marionnettes. C’est très surréaliste ! J’aime beaucoup ce projet, ça fait douze ans qu’on le fait avec Dédo. Le public a réclamé le retour de ce programme, et en deux ans, ils ont financé 17 épisodes. Ils sont sur notre chaîne YouTube, et ça nous a permis d’obtenir le prix des 100 000 abonnés symbolique ! C’est gratifiant.
Le public des chaussettes est très bienveillant. Sur YouTube, on peut s’attendre à de la méchanceté. À part l’épisode sur Hitler, où j’ai dû supprimer des commentaires fascistes, la majorité des commentaires étaient hyper gentils ! Forcément, si tu cherches des contenus sur Hitler et que tu tombes sur des chansons où on explique qu’il aime bien manger des pommes…
On peut citer aussi de la réalisation, de la mise en scène et de la scénarisation. Un pied sur la scène, un pied chez les YouTubeurs : en quoi cette variété te nourrit-elle ?
Ça part toujours d’une idée, qu’on a envie de mettre en scène pour que ça parle à quelqu’un d’autre. Parfois, on écrit ce qu’on avait imaginé pour faire jouer un comédien. J’ai eu la chance de coréaliser une série parodique de Game of Thrones, « Le trône des Frogz ». Avant, je faisais de la mise en scène de théâtre. Cette nouvelle expérience m’a permis d’aller plus loin pour mettre en scène une histoire. Récemment, j’ai gagné un prix pour un scénario, avec la SACD et un fonds européen. J’ai été retenu avec les 4 autres finalistes parmi les 164 projets éligibles.
Tout cela fait de toi un artiste polyvalent !
Oui, et j’adore ça ! Faire du stand-up, jouer la comédie, mettre en scène… Parmi tout ça, ce qui m’a procuré le plus de sensations, c’est le stand-up. C’est certain ! Ces sensations peuvent être positives ou négatives, d’ailleurs. Quand tu fais un super passage, tu sors en te disant que tu as partagé un moment formidable avec le public. Après un mauvais set, tu sors vraiment morose. Tu reçois beaucoup de rejet à ce moment-là. Les deux ne sont pas si simples à vivre, ni l’un ni l’autre.
Certains comparent le fait de monter sur scène à de la drogue, ou “joke coke”. Qu’en penses-tu ?
C’est de la drogue dure ! Je ne sais pas si ton cerveau libère de l’adrénaline ou de la dopamine… Tu es dans un kif. Quand tu as une bonne idée, tu as envie de la dire sur scène. C’est un sentiment particulier.
Je sais que je peux faire des pauses de stand-up. Je suis très heureux d’arrêter quelques mois, puis reprendre. Quand je reprends, j’ai très, très peur. Les sensations sont alors très, très fortes. Quand j’arrête, je connais toujours un petit moment de manque.
Quand l’âge d’or du stand-up sera mûr et le grand public plus familiarisé avec la scène humoristique actuelle, je te vois bien animer ou contribuer à un talk-show sur Canal ou Netflix…
J’adore Jimmy Fallon ; j’adorerais faire un late night. J’ai animé une émission de radio pendant longtemps. Je pense être assez bienveillant, je ne cherche pas à embêter les gens. J’ai envie d’être cette personne positive, sympa, un peu marrante et qui aime bien écouter les autres. Si un jour, j’ai l’opportunité, je le ferai ! Ça me ferait plaisir de faire une émission rigolote, fun et un peu fofolle. Merci de voir ça en moi, c’est quelque chose qui me plairait beaucoup !
Ma référence en la matière va peut-être t’étonner, ce sont les talk-shows suisses !
Ah, celui de Thomas Wiesel ? Il y a aussi Blaise Bersinger, je l’adore !
Je suis allée en personne à Lausanne lui demander de venir à Paris, tellement je l’adore aussi.
Je suis sûr qu’il pourrait venir à Paris ! Blaise, j’ai joué avec lui quand on était programmés dans les mêmes soirées. J’ai beaucoup d’admiration pour lui. Il est extrêmement créatif et drôle. Il est formidable ! J’adore ce mec. Thomas Wiesel est super, aussi.
C’est la qualité de la scène suisse…
Je les ai tous rencontrés au Lido. Un endroit magnifique, qui a malheureusement fermé. Tout le monde était extrêmement triste. Le Lido, c’était une salle sublime. Ils y mettaient des fauteuils de récupération hyper chics. J’y ai joué grâce à Thomas Lecuyer. C’est un type formidable : il allait chercher les humoristes français. Il n’y avait pas forcément beaucoup d’argent, mais tu sentais qu’il était passionné et qu’il faisait tout pour bien nous accueillir. Ils respectaient énormément les comédiens de stand-up à une époque où ce n’était pas monnaie courante. J’y suis allé avec Eddie Izzard, lors de sa tournée. C’est aussi là que j’ai rencontré Marina Rollman, grâce à Thomas Wiesel.
Ombre vs. lumière : quelle différence vois-tu entre être seul sur scène ou contribuer à un projet quand d’autres sont en première ligne ?
J’aime bien les deux. Être seul sur scène est bien plus difficile que d’aider à des projets. J’aime le confort de ne pas être celui qui se met en avant. Ça me permet d’avoir moins d’ego à gérer avec moi-même. En plus, j’adore aider les autres : ça me rend très heureux. Je fais de plus en plus de mise en scène, je l’ai fait pour McFly et Carlito et leur pièce de théâtre. C’était très stressant, parce qu’on a fait ce projet très vite, mais ça a fonctionné. C’était très gratifiant. Ils ont battu le record de France de personnes qui regardent le live sur Twitch. Il y avait 400 000 personnes tout au long de la diffusion. La vidéo a atteint plus de 7 millions de vues !
Être sur scène, c’est davantage défendre quelque chose. Défendre son univers, par exemple. Faire un spectacle, ça demande beaucoup d’investissements : on livre le meilleur de soi-même. Faire de la mise en scène, c’est plus cérébral. Il faut notamment comprendre l’autre et essayer de l’aider à donner le meilleur de lui-même.
À la fin de cette pièce de théâtre Roméo et Juliette que tu as mise en scène, une phrase m’a marquée : « Merci d’avoir regardé ce chef d’œuvre massacré par McFly est Carlito ». Je la trouve très forte : c’est justement ça, la culture : se réapproprier et adapter des classiques avec les codes actuels, un peu à la manière d’Antigone. Qu’en penses-tu ?
Si l’on regarde cette pièce comme une adaptation de Roméo et Juliette, le positionnement du spectateur n’est pas bon. On ne peut pas regarder un opéra en se disant que c’est du catch, et vice versa ! Là, c’était plus du catch qu’un opéra. Il s’agissait de jouer quelque chose de fou, un peu n’importe comment, parce que c’était un gage ! On est là pour rire, faire n’importe quoi. Ils l’ont fait, ils sont allés jusqu’au bout.
Je sais qu’on flatte beaucoup les stand-uppers, mais les YouTubeurs… Cyprien, Squeezie, McFly, Carlito, Le Pérave : ils ont pris le texte. Ensuite, en une dizaine de jours, ils ont écrit, appris, été sur scène en costume. Ils n’ont posé aucune question, ils y sont allés à fond. Je les ai trouvés admirables au plus haut point ! J’avais peur pour eux, alors que j’ai joué dans des bleds en Lituanie. Je les ai trouvés extrêmement courageux. C’était effrayant : une heure avant, la technique n’était pas prête. Il faut bien comprendre que ce ne sont pas des gosses de riches nés avec une cuillère en argent, qui demandent « quand est-ce qu’on joue ? ». Plus fort encore : dans les coulisses, ils étaient en train de monter des vidéos sur lesquelles ils travaillaient pour la semaine d’après. Ce sont de vrais bosseurs, j’ai beaucoup d’admiration pour eux.
Un dernier mot ?
Il faut venir voir mon spectacle, parce qu’il est très, très drôle ! J’y parle de voyage, je raconte les tournées que j’ai faites dans 18 pays. Il y aura des ninjas, Godzilla, Star Wars et Hitler qui chante Arnold et Willy.
Interview Yacine Belhousse – Le débrief
Lors de cette interview, j’ai découvert Yacine Belhousse pour la première fois. J’avais peur de ne pas en connaître assez ou d’être suffisamment proche de lui pour proposer quelque chose de pertinent. Et au fil de l’interview de Yacine, ça a commencé à se débloquer. J’en avais tellement entendu parler par d’autres que je n’arrivais pas à me faire une idée. Souvent, il me suffit de regarder un humoriste quelques minutes sur scène pour cela. Mais avec Yacine, tout est différent car il ne ressemble à personne.
Le seul qui me fait vaguement penser à lui, c’est Blaise Bersinger, que j’ai eu le bonheur de découvrir sans qu’on me le vende auparavant. Au final, c’est ainsi que je vous le conseille : découvrez son art avec une candeur enfantine, c’est la meilleure manière de l’aimer.
Humainement, sa générosité vous prend aux tripes, malgré un emploi du temps très chargé ! Il devait filer enregistrer un podcast juste après notre entretien (que vous pouvez écouter ici !). On lui souhaite d’avoir encore de nombreux espaces où s’exprimer comme il l’entend, car c’est ainsi qu’il excelle !
Crédits photo
© Martin Lagardère