Couleur 3 Comedy Club 2 : des découvertes au sommet

Juliette Follin 10/10/2022

Pour sa deuxième édition, le Couleur 3 Comedy Club a permis à des chroniqueurs de radio de se frotter à l’exercice du stand-up comme découvertes. Quelques heures avant les soirées dédiées aux captations des confirmés, 10 néo-stand-uppers s’enchaînaient.

Tous avaient le droit de passer deux heures avec Étienne de Balasy. Ce metteur en scène émérite a prouvé, comme l’an passé, qu’il savait cerner les styles de chacun et les révéler sur scène.

Session découvertes du samedi au Couleur 3 Comedy Club : les Bras Cassés, la meilleure commu d’humour ?

La première salve était la plus attendue à mes yeux. Tout commençait avec Philippe Battaglia et son récit de vasectomie. Le dandy maniait l’horreur du bistouri avec la même maestria que sa plume habituelle. Pour rappel, il est l’auteur de livres joliment gores (des Alpes). Chemise noire, bretelles rouges : il était tout aussi impeccable sur les plans vestimentaire et artistique. Peu de surprise avec ce passage, très réussi et fidèle à ses papiers.

Marie Alice Riley prenait ensuite son quart d’heure de brillance. Tenue pailletée et chaussures assorties : j’avais vu cet accoutrement en coulisses et j’ai cru que c’était Albert Chinet. Mais non, c’était bien Marie qui avait le look, coco. Un set sur des pratiques étranges en Argovie, saupoudré de féminisme et encore une fois fidèle à ses chroniques. Les deux premiers bras cassés étaient efficaces et on sentait qu’ils savaient manier leurs voix. C’est tellement agréable de voir des personnes qui savent articuler et maîtriser l’éloquence. Ajoutez à ça une plume bien musclée et vous obtenez des réussites !

La soirée découvertes du samedi au Couleur 3 Comedy Club 2022
Marie (Alice) Riley, Yannick Neveu (caché), Valérie Paccaud, Philippe Battaglia, Hadrien Mayoraz et Albert Chinet

Un centre de formation dans l’ombre de France Inter, qui prépare au sommet

Il faut dire que Valérie Paccaud, à la fois présentatrice du plateau et de l’émission, a l’art de les former. Les chroniqueurs ne s’entraînent pas sur des comedy clubs mais sur les ondes, parfois plusieurs fois par semaine. C’est l’élite de l’écriture qui se frotte à une taulière aux influences comiques vertueuses. Ne rien laisser au hasard, voilà qui offre des prestations spectaculaires. Tristan Lucas, désormais à moitié suisse à force de crécher chez Yann Marguet, pourrait confirmer que Valérie Paccaud est le Guy Roux de la comédie.

La prestation suivante allait le prouver. C’est paradoxalement en toute sobriété qu’Albert Chinet, tout de noir vêtu, arrivait sur scène. Ce ne sont pas les mots qui ont frappé en premier, mais le corps. Savoir utiliser les silences, c’est l’adage des très grands. Albert a pris son temps pour y ajouter du son, et son langage corporel trahissait sa vulnérabilité. En quelques secondes, il en faisait sa force et se mettait l’auditoire dans la poche.

Le nouveau Jean-Philippe s’appelle Albert Chinet

Albert a choisi le storytelling pour faire oublier qu’il ne savait pas comment gérer sa chevelure. Je me suis dit : c’est le deuxième Jean-Philippe (de Tinguy), ce n’est pas croyable ! Le thème du set : un bouton infecté sur la fesse. Les bras cassés, c’est une joyeuse bande qui parle souvent de cul… mais toujours avec des angles délectables.

Il y avait vraiment quelque chose de magique en cet instant, quasiment suspendu. Il y avait des rires, du suspense, une progression de l’intrigue et des running gags autour de la timidité. Certains ont vu du Paul Mirabel en lui… mais l’effet était assez différent. Le texte est plus intéressant, l’interprétation plus vivante et non basée sur des gimmicks. Je me suis prise à fantasmer sur un vrai parcours de stand-upper pour Albert… Mais avec les chroniques, la musique, les créations graphiques diverses, l’improvisation… On a tant à se mettre sous la dent qu’on pourra s’en contenter.

Yannick Neveu tout en émotion, Hadrien Mayoraz sans filet

La première partie achevée, il restait encore Hadrien Mayoraz et Yannick Neveu. La voix d’Hadrien et sa prestance scénique m’ont emportée dans son univers, à l’inverse de son texte. Je crois que je n’avais pas les références ou le vécu pour rentrer dedans. En prime, j’ai eu le malheur de décrocher vingt secondes, mon cerveau commençant à critiquer les prestations précédentes… Pardon, Hadrien. En tout cas, on m’a dit que c’était très bien. Les rires étaient francs, la prestation de qualité, je n’ai simplement pas tout saisi. On m’a aussi dit qu’Hadrien avait évité la facilité de parler du Valais. Pas d’accent, pas de consanguinité : juste du beau théâtre. Pas mal pour un réalisateur-animateur qui prenait des risques et partait de zéro !

Yannick Neveu clôturait la première salve de découvertes. Sa générosité naturelle a contribué à son succès. Un set teinté d’autodérision qui ne tombait jamais dans le pathétique, un vrai et beau moment d’émotion à la fin… C’était très, très fort. La thématique : que se passe-t-il si vous dites oui à tout (mais pas comme Patrick Chanfray) ? Quel sera votre dernier projet avant le trépas ? Et une fin où Yannick réclame à la mort de le frapper… Courageux, ambitieux : voilà comment on aurait pu qualifier ce set !

Lors des saluts de fin, la patronne Valérie Paccaud a confié sa fierté de voir ces découvertes marquer l’histoire du festival. Il y avait de quoi être fier, et ce dernier moment d’émotion ponctuait une heure de spectacle hors du commun. J’en ai presque encore des frissons à l’écriture.

Session découvertes du dimanche au Couleur 3 Comedy Club : entre fulgurances et incohérences

Le dimanche, la programmation semblait plus alambiquée. Le lien entre Couleur 3 et certains artistes était ténu. En prime, avec Vanessa Lépine, l’événement se dotait d’une stand-uppeuse en activité. Pas la plus aguerrie, certes, mais le casting posait question. On retrouvait aussi Rébecca Balestra, la comédienne de théâtre reconnue par la presse. Si reconnue que cette presse mondaine la survendait alors qu’elle débute son aventure en stand-up.

Son passage au Couleur 3 Comedy Club était bon. Cependant, pour avoir vu son spectacle quelques jours plus tôt, je n’ai pas été pleinement convaincue. Elle philosophait plus sur un art dont elle ne manie pas encore les codes. C’est bien de porter un costume de briques, mais il faut faire corps avec lui. Très à l’aise en chronique, en jeu et en écriture, Rébecca a juste une lacune : le temps passé dans de véritables comedy clubs… Si on apprécie le côté OVNI de la performance, on se laissera tenter… Mais pour une performance de stand-up pure, cela manque de consistance.

L’ADN des Bras Cassés heureusement bien présent

Loin du prestige du théâtre contemporain, Julien Doquin de Saint Preux et Robin Chessex enchaînaient. Leurs passages partageaient le même ADN : de la franche rigolade. On savait que Julien a la rigueur comique dans le sang. Son passage a démontré qu’il savait construire un passage hilarant et surprenant. Même son de cloche pour Robin, légèrement plus brut de décoffrage mais tout aussi efficace. Et face à moi, il n’a pas tremblé pour parler de Formule 1 sans dire de connerie. Une prestation suffisamment rare pour être saluée !

Mentionnons enfin Paul Walther, qui a joué avec un set absurde et qui faisait travailler l’imagination. Ce qu’il décrivait et jouait, on le matérialisait dans son esprit. Il demandait une vraie attention et concentration. Autrement dit, on aurait bien aimé le voir au-delà de la contrainte temporelle, dans le noir complet côté public et peut-être avec une plus grande scène. Le cercle où l’on loge uniquement un micro et un comique, c’est peut-être un peu limitant. Mais il y avait là une vraie vibe comme à la Petite Loge et sa scène de deux mètres carrés. Et Paul a su tirer profit des conditions pour débuter cette deuxième salve de découvertes en toute singularité.

Bilan du Couleur 3 Comedy Club : les découvertes comme attraction, les confirmés gardent le meilleur pour Montreux

Un mot sur le festival dans son ensemble. Les captations sont finalement un piège car cela empêche de voir des prises de risques ou des nouveautés. En prime, certains préparent le Montreux Comedy Festival et conservent leur meilleur matériel pour ce saint Graal. Pour un public qui découvre des artistes aguerris, c’est l’idéal. Mais pour de la comédie pure à Lausanne, il faut sans doute puiser dans le Ch’nit Comedy Club, à la Galette ou aux spectacles du Comedy Club 13.

Le Couleur 3 Comedy Club reste toutefois le meilleur moment de l’année, une grande fête de l’humour où tout le gratin se retrouve. C’est comme le Grand Prix de Monaco de Formule 1 sans le côté bling-bling. Je me souviendrai très longtemps de ces découvertes 2022 reliées aux Bras Cassés. Le coaching gagnant d’Étienne de Balasy, leur travail acharné et leur envie d’exceller ont crée de la magie scénique. L’adrénaline retombée, je prends la mesure de l’exploit et de la chance que j’ai d’avoir été au cœur du réacteur comique.

Et merci tellement à Fantin Moreno qui, lors de son animation certes longue et lue sur un téléphone, a trouvé le temps de me citer devant une salle comble et les meilleurs humoristes locaux. Frissons et émotions garanties du début à la fin : venez vivre ça en 2023 !

Crédits photos

© Olivier Jaquet / Couleur 3

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