FUP 2022 – Et les vainqueurs sont…
Le Festival d’Humour de Paris (FUP 2022) tenait son traditionnel rendez-vous nouveaux talents à Bobino. La soirée des humoristes de demain proposait un plateau d’humoristes entre stand-up et one-man show. Cette rencontre entre deux mondes, deux réseaux qui ne se parlent pas, s’annonçait électrique.
La soirée a tenu ses promesses grâce à des prestations toutes de qualité. Cela a l’air anecdotique, mais c’est très rare dans ce festival. On mélange les styles et les niveaux, il y a parfois des accidents industriels. Nous avions décortiqué la programmation avec un regard parfois très critique. Mais chacun avait sa place, car toutes les prestations étaient professionnelles, carrées. Ce sont les détails qui ont donc fait la différence.
Comme d’habitude, deux prix étaient en jeu. D’une part, le prix SACD qui salue l’écriture (c’est le petit prix). Et d’autre part, le Grand Prix du FUP, qui récompense l’interprétation. On y a ajouté deux prix officieux : le prix du MC sacrifié et notre coup de cœur au spot du rire !
Prix du MC sacrifié : Louis Chappey, le favori pour certains, ouvre le bal et perd toute chance de victoire
Et le favori pour de nombreuses personnes, c’était Louis Chappey. On le sait : le talent de Louis Chappey est avéré sur plusieurs plateformes. Réseaux sociaux, plateaux télé, salles mythiques (pas forcément dans cet ordre) : il est partout. Il n’a même pas besoin de France Inter, ce type passé par Nanterre et le Laugh Steady Crew… Avant d’opérer moult dépassements sur la concurrence. Sauf que Louis Chappey passait en premier. Bien sûr, il ne débarque pas au début du spectacle : Patrick Chanfray et Anne-Sophie Girard assuraient la présentation.
Il y avait comme un décalage entre l’absurde de Patrick, le côté institutionnel d’Anne-Sophie, toujours là pour ce type de soirées. Mais pour lancer du stand-up, il faut un MC stand-upper qui chauffe le public et explique les tenants et aboutissants. Il faut absolument rectifier le tir : le premier artiste à passer doit être hors compétition, annoncé comme une participation exceptionnelle. Dans le cas contraire, l’équité n’existe pas. Pierre Thevenoux a vécu cet enfer en 2019, c’est bis repetita pour Louis. Extrêmement frustrant quand on connaît son talent. Bien sûr, Louis aurait pu se rater, mais la place du premier condamne l’artiste à faire de la figuration.
Nash démontre sa prestance scénique, mais l’originalité manque à l’appel
J’avais été très critique avec Nash. Il faut reconnaître que son charisme scénique est là. Elle tenait la salle, assurée. En revanche, j’ai pensé très fort à Couleur 3 à ce moment-là. Déjà à Yacine Nemra, qui singe les stand-uppers bloqués sur le sujet Tinder au Couleur 3 Comedy Club. Nash a enchaîné les lieux communs, réussissant à emporter le public en jouant ce personnage qu’on a l’impression de voir partout. Mais elle l’a bien fait.
Plus tard, elle a parlé des gens qui disent des ouais aspirés. Tania Dutel l’a fait, Blaise Bersinger a brillamment moqué cette tendance dans un sketch original (comme quoi, l’angle fait tout)… Mais quand c’est Nash qui s’y colle, elle surfe sur une tendance sans imprimer sa marque.
J’ai trouvé qu’elle méritait sa place au FUP, ce que je ne pensais pas avant de la voir. Mais je resterai toujours hermétique aux propositions qui manquent d’originalité.
Coup de cœur du spot du rire : Lisa Perrio lance réellement la soirée
C’est en changeant de style qu’on change d’ambiance. La scène du FUP était magnifique et faisait penser à la scène de l’Eurovision 2022 (Dena, tu aurais dû être là). Le soleil de Turin a, coïncidence ou pas, refait son apparition sur la scène de Bobino. L’écrin était magnifique pour planter un décor.
Je l’ai dit depuis longtemps, mais pas crié sur tous les toits. Je pensais sincèrement que Lisa Perrio, si elle réalisait une bonne prestation, pouvait gagner le Grand Prix. Elle a rempli sa part, bien aidée par le contraste avec le stand-up des deux premiers. On lui a parfois reproché d’être dans la lignée d’Alexandra Pizzagali, avec ses personnages dramatiques qui lorgnent vers la folie.
Que les choses soient très claires. Lisa ne connaissait pas Alexandra, puisqu’elle évoluait davantage sur la scène suisse avant de faire son trou ici. Je préfère mille fois deux comédiennes de talent à un bus rempli de stand-uppers qui produisent le même humour à longueur d’année sur les femmes, la bite, etc.
Cette mise au point réalisée, Lisa Perrio a montré qu’elle en imposait sur scène. L’émotion était palpable. Une interprétation impeccable servie par une comédienne solaire dans un écrin magnifique. Que demander de plus ?
Prix SACD : Jessé pouvait briguer le prix d’interprétation, mais son écriture en a décidé autrement
Je faisais un parallèle avec l’Eurovision en Italie cette année. Il s’étend jusqu’au choix désastreux des ordres de passage. Les spécialistes de l’Eurovision savent qu’il faut varier les styles à chaque prestation. Or la télévision italienne a préféré construire des blocs de deux chansons du même style.
En faisant la même chose à Bobino, l’organisation n’a pas permis à Jessé de déployer sa force d’interprétation. Passer après une séquence émotion quand vous jouez aussi sur cette corde, c’est la garantie de devoir ramer pour exister en son nom propre.
En revanche, j’ai été très surprise car cela a permis à Jessé de dévoiler son autre force. Son histoire est poignante, mais je n’avais jamais remarqué à quel point son écriture était fine. C’était juste sublime. Il se tenait droit, à la manière d’une Blanche Gardin, pour jouer dans la stature. C’est du seul-en-scène élégant qui permettra à Jessé de briller au théâtre du Marais à la rentrée ! Néanmoins, un passage ne rend pas justice à son univers, qui s’apprécie davantage sur un spectacle complet.
Amandine Lourdel monte en puissance
Elle n’a commencé le stand-up qu’en 2020 et son ascension est très rapide. Alors qu’elle rodait son spectacle au Boui-Boui ce printemps, elle débarquera à Paris à la rentrée pour se faire un nom. Mais auparavant, elle a fait son trou dans le circuit des festivals. C’est donc naturel pour Amandine Lourdel d’avoir décroché ce spot au FUP.
Elle commençait tranquillement son passage. Mais chi va piano va sano : une fois les éléments installés, un changement de lumière plus tard la faisait briller devant Bobino. De nombreux passages commençaient très fort pour s’essouffler. Amandine, comme Serine un peu plus tard, ont réussi à faire l’inverse.
Elle a embarqué le public sans en faire trop, grâce à sa décontraction et un sketch où le jeu de la fille un peu éméchée faisait toute la différence. Lors d’un instant suspendu, elle a même fait parler son clown avec une mimique qui faisait réagir le rang derrière moi. Charmée, la spectatrice n’a pu s’empêcher de commenter à voix haute à quel point elle aimait cette mimique.
Au terme de la soirée, la SACD a souligné la progression d’Amandine Lourdel. J’avais interprété ça comme le bon point accordé aux nouveaux. Mais en réalité, Amandine a déjà gagné un prix SACD dans un autre cadre et son écriture continue de les séduire. Tant mieux : il lui reste à prouver sa valeur face au public, ce qu’elle ne manquera pas de faire dans le théâtre qui a sublimé tant de nouveaux talents (on vous en reparle vite).
Jérémy Nadeau aurait pu, et puis non
C’était vraiment l’inconnue pour moi. Jérémy Nadeau, je ne l’avais pas vu depuis une éternité. Son jeu a mis tout le monde d’accord. Il était très fort, enflammait la salle. Mais pourquoi, dans ce contexte, n’a-t-il pas gagné le Grand Prix ?
Un mot l’explique : les clichés. C’est dommage, car derrière ce jeu, on retrouvait deux mini-sketches. Le premier : une anecdote sur un mec tout nu à la Porte de la Chapelle avec lequel il avait peur de se battre. Vous le sentez venir, le moment où il va interpréter ce mec et le menacer de l’enculer ? Bingo.
Mais là encore, on pouvait se raccrocher à une interprétation intéressante du mec tout nu. C’est ensuite que, malheureusement, Jérémy a définitivement sombré dans les clichés. Il parlait de l’importance d’être courageux en tant que mec, de se battre pour défendre madame et d’aller vérifier si un cambrioleur débarque en pleine nuit. On l’a vue mille fois, cette séquence ! C’est tellement dommage, cet écart entre un jeu vraiment exceptionnel, surtout pour un stand-upper, et la vacuité du contenu.
Grand Prix du FUP 2022 : Rodrigue, le favori des stand-uppers, pousse son personnage scénique à son paroxysme
Passer derrière Jérémy Nadeau n’avait rien d’aisé au FUP. Mais pour certains stand-uppers, Rodrigue est un monstre. L’un de ses supporters, certain de son succès, m’a même écrit que c’était un compétiteur qui aurait pu « mettre une patate dans une porte » en cas de non victoire. Charmant personnage !
Justement, son personnage de scène est à la fois sadique, à la fois cruel. C’est sans doute pour ça que le courant n’est jamais vraiment passé, que je vous parle si peu de lui. J’avais un peu peur de sa victoire, pour être honnête, surtout dans une époque où l’on érige la parité comme nécessaire pour bonifier une scène artistique.
Néanmoins, Rodrigue extrait le maximum de performance de ce personnage scénique et de cette personnalité qui semble préférer un côté hautain à une certaine bonhomie. Quand Gaspard Proust joue les enflures, il a le mérite de jouer les héros romantiques égarés dans une forme de mélancolie désirable. Rodrigue ne s’encombre pas de ça : on se moque volontiers des gens qui ratent leur avion, leur métro… Oui, encore ce foutu métro : avec ce talent et cette prestance, peut-on changer de disque ?
Si j’avais été dans le jury, je ne lui aurais pas accordé ma voix, idem pour Jérémy Nadeau. C’est grâce au set trop cliché de Jérémy Nadeau que Rodrigue a raflé le Grand Prix. Cette victoire n’est donc pas nette tant personne ne se détachait vraiment, mais elle n’a rien d’un hold-up. Reste à savoir ce qu’on retiendra de Rodrigue dans les années futures. Il décroche un mois de programmation au Point Virgule alors qu’il n’a pas de spectacle, mais c’était aussi le cas pour Paul Mirabel et Djimo. La suite a été fructueuse pour les deux. Jamais deux sans trois ?
Serine Ayari en clôture du FUP 2022 : pas un cadeau non plus, mais elle s’en sort avec les honneurs
Serine Ayari clôturait la soirée au moment où le public commençait à fatiguer. Elle les a réveillés dans un set plus efficace qu’à Tournon, mais aussi plus court. Elle a su rentrer dans le public sans le brusquer, ce qui est toujours difficile hors d’un comedy club. C’est toujours un plaisir de voir du stand-up à l’américaine pur et dur exister dans de tels concours.
Serine a beaucoup de bouteille, ce qui lui permet d’être très à l’aise (le nom de son spectacle !) et d’en imposer. Je parlais du personnage hautain de Rodrigue, mais Serine ne tombe pas dans le piège de la moquerie. Elle parle même de l’inversion des rapports de force, dépeint la vulnérabilité avec tendresse et ça fonctionne.
FUP 2022 : le clivage stand-up/one-man plus vif que jamais
Le jury a eu beaucoup de mal à départager ces prestations toutes intéressantes. Certains étaient sans doute plus éloignés de la victoire que d’autres. Il faut dire que le jury n’avait que quelques minutes pour délibérer, et ils ont mis plus de temps que prévu car les présentateurs de la soirée ont lancé un karaoké à la fin.
Au FUP 2022, il y avait bien Jean-Michel Martel, humoriste québécois à Paris pour l’occasion, qui plongeait le public dans l’hilarité. Mais son passage était trop court, et il manquait une diapositive (car il y avait des PowerPoint projetés tout au long de la soirée, tout est normal).
J’aurais aimé qu’on suive davantage ces talents dans la durée, qu’on remette en perspective leurs expériences passées et qu’on prenne en compte leurs spectacles. Car des niveaux parfois similaires couplés à des styles diamétralement opposés rendent impossible le choix du vainqueur. Paul Mirabel faisait l’unanimité à son époque.
En revanche, l’unanimité de Jessé sur l’écriture était plus que méritée. Il n’était pas le seul à bien écrire, mais il écrivait si bien que le choix en était facilité. Il était d’ailleurs unanime. Pour l’année prochaine, il faudra penser à prendre un vrai MC ou une personne hors compétition pour assurer l’équité. Les passages seraient ainsi raccourcis, ce qui aiderait les artistes à proposer un passage plus dense : certains perdaient en tonus inutilement. Mais au vu de la tête de certains membres du jury à l’issue de la soirée, l’ambiance n’était pas vraiment à la fête. Comme un goût d’inégalité des chances qui plombe un peu une soirée de très haut niveau. Comme quoi, la compétition en humour pose toujours autant problème !
Crédits photo
- Scène de l’Eurovision : EBU / Sarah Louise Bennett
- Story de Louis Chappey : Festival d’Humour de Paris (compte Instagram)