Tremplins découvertes des Fous rires de Bordeaux 2023 : récit

Juliette Follin 03/04/2023

Nous avons eu la chance de vivre les tremplins découvertes des Fous rires de Bordeaux 2023. Une aventure épique avec comme tableau de fond grèves, ville qui s’embrase et humoristes de talent ! Revivez ces soirées d’exception.

Tremplins découvertes aux Fous rires de Bordeaux #1 – La ville s’embrase, le théâtre s’enflamme

La vie d’un humoriste en tremplin est loin d’être un fleuve tranquille. Même dans les festivals les plus renommés, des aléas peuvent considérablement leur compliquer la tâche. En cause, cette fois-ci : une grève. Mais pas n’importe laquelle : le jour d’après la prise de parole de Macron à Macronland. De quoi mettre le feu aux poudres plutôt qu’aux planches…

Matthieu Penchinat doit faire de la place pour les nouveaux talents

Revenons au rire, plus précisément aux tremplins découvertes des Fous rires de Bordeaux. Pour la deuxième fois après 2018, nous vivions ces deux soirées où le public est roi. En théorie, il devait partager 5 artistes par soirée. Mais grève oblige, l’intersyndicale et la SNCF éliminaient d’office Lisa Delmoitiez et Rédouane Behache. Pire : le théâtre était inaccessible, puisque certains manifestants s’improvisaient pyromanes et faisaient flamber le quartier.

Pour autant, la soirée avait bien lieu — mais dans un autre théâtre. Au lieu d’accueillir Matthieu Penchinat à 20h30, la Nouvelle Comédie Gallien hébergeait désormais la soirée des tremplins à 20h. L’humoriste confirmé devait ainsi attendre son tour. Dans le même temps, son public arrivait au compte-goutte pendant la première demi-heure des tremplins.

Natacha Prudent fait au mieux malgré les aléas

S’il est traditionnellement difficile d’ouvrir un concours d’humour, Natacha Prudent voyait ainsi défiler une dizaine de spectateurs pendant sa prestation. Pour ne rien arranger, la chauffe écourtée de Nordine Ganso était au mieux minimaliste, au pire fainéante.

Malgré un jeu volontaire, Natacha Prudent voyait donc s’envoler tout espoir de retourner la salle. Son passage, plus édulcoré que d’ordinaire, n’imprimait pas vraiment. Pourtant, quelques bonnes notes sauvaient la prestation.

Dony London : une présence singulière mais des tics stand-up à gommer

Dony London enchaînait avec une présence scénique qui rétablissait la connexion avec le public. Son passage bien écrit trahissait toutefois un besoin d’affirmer son propre style. Les punchlines de stand-up étaient solides, mais cela faisait tour à tour penser à Bun Hay Mean, Paul Mirabel ou encore Djimo. Heureusement, l’originalité du texte et de la présence rendait le moment très appréciable.

Victoria Pianasso : une prestation solide, complète et polyvalente

La soirée allait ainsi crescendo avec l’arrivée de Victoria Pianasso. Micro-casque en vue : on passait au one-man-show. Mais contrairement à moult prestations formatées de génération en génération, une vraie fraîcheur se dégageait du passage. Le jeu autour du thème de l’agressivité était le tour de force de Victoria. L’écriture soignée gommait l’effet négatif du mot « attachiante » (sic !).

Néanmoins, arpenter des lieux communs est tout à fait possible. Tout est en effet question d’angle, et celui-ci fonctionnait. Le public ne semblait pas se formaliser outre-mesure. Pour preuve, l’ovation finale récompensait la réécriture de la chanson Si j’étais un homme. En résumé, Victoria Pianasso offrait la prestation la plus complète, puisqu’elle jouait impeccablement sur différents tableaux.

Lorenzo Mancini, biberonné au Kings of Comedy Club, délivre du stand-up de grande qualité

Lorenzo Mancini avait donc la lourde tâche d’enchaîner et de clôturer une soirée désormais électrique. Combien de stand-uppers aguerris se seraient écroulés après un triomphe festivalier ? Nombre d’entre eux, assurément. Mais l’humoriste belge, biberonné au Kings of Comedy Club, avait de la ressource. Changeant radicalement de style, il amenait l’ADN du Kings à Bordeaux.

Or être un héritier d’un Guillermo Guiz ou d’une Fanny Ruwet ne disqualifiait en rien Lorenzo. Tout au plus, cela pose les bases d’un stand-up parfaitement exécuté. Provoquer la surprise et l’hilarité dans ce contexte est rare. Pourtant, Lorenzo y parvenait à plusieurs reprises, faisant douter certains membres du public pourtant conquis par le triomphe de Victoria. Celui dont le spectacle s’appelle Origami n’a eu aucune difficulté à plier de rire un public alors survolté.

Victoria Pianasso remporte le premier tremplin des Fous rires de Bordeaux

Résultat des courses : une victoire amplement méritée pour Victoria Pianasso. Pour nous, la satisfaction de faire de nouvelles découvertes de grande qualité. Que se passerait-il le lendemain, alors que Lisa Delmoitiez ne pouvait se joindre à la fête ?

Tremplins découvertes aux Fous rires de Bordeaux #2 – Deux stand-uppers, une comédienne de grande qualité et un régional de l’étape sont dans un théâtre…

Deuxième jour : exit le feu, bonjour la salle comble ! C’est dans le bon théâtre, avec une chauffe adéquate, que les artistes pouvaient concourir le vendredi soir. Le tirage au sort prouvait que les Dieux de l’humour de qualité étaient de notre côté. Clément Corbiat héritait de la place du mort comique. Son set rappelait d’ailleurs que le problème, ce n’est pas le one-man show. Non, ce qui entache la réputation de ce genre, ce sont ses déclinaisons caricaturales : ton surjoué, fond sans intérêt. Puisque nous avons vu mille autres prestations de cet acabit, nous ferons l’impasse de son résumé.

Umut Köker, premier stand-upper de la soirée, démarre en trombe mais manque de constance

Umut Köker remettait les pendules à l’heure avec une première partie très percutante. Malheureusement, ses extraits de spectacles mis bout à bout ressemblaient à un medley plutôt qu’à un EP. Son talent aurait pu rayonner davantage, même si le public riait de bon cœur.

Je l’ai vu au Ch’nit à Lausanne sur un format plus court et en spectacle à la Petite Loge : je sais qu’il aurait pu mieux présenter son art. Au-delà de cette impression inhérente à la compétition, Umut prouvait l’étendue de son talent.

Ghislain Blique : outsider des festivals ou patron du game ?

Venait ensuite le moment le plus attendu des puristes de stand-up, ceux qui regardent les festivals avec méfiance. Ghislain Blique en festival, ça donne quoi ? Une patte personnelle, une identité scénique à maturité et une salle conquise. J’ai commencé à croire en sa victoire à cet instant.

C’était un moment assez dingue, qui me confortait dans mes analyses passées sur les talents bruts. Quel bonheur de voir les fruits d’un travail acharné en plateaux et aux côtés de professionnels de qualité ! Après tout, Ghislain Blique sort de la Petite Loge. Il a aussi su séduire Antoinette Colin (ce qui n’est pas donné à tout le monde…) comme les patrons de comedy clubs… Retournons à Bordeaux, quittons cette rêverie teintée d’analyse de carrière.

Mélodie Fontaine, habituée des festivals, clôture les tremplins des Fous rires de Bordeaux

Ne restait plus qu’à évaluer les chances de Mélodie Fontaine, aussi passée par la Petite Loge. Trois à la suite… Comédienne aguerrie, l’humoriste familière des festivals débutait son duel face à la première de Ghislain en la matière. Mélodie Fontaine déroulait un set qui marchait, mais moins fortement que les précédents. En substance, elle nous faisait revivre son interminable accouchement.

Un moment qui s’apprécie davantage en spectacle, devant un public averti. Sur scène, la cruauté d’un des trucs les plus effrayants au monde nous basculait dans une toute autre ambiance. Même en jouant parfaitement sa partition et en glanant des rires, Mélodie ne pouvait rivaliser au vote du public.

Un dénouement à deux voix près entre Umut Köker et Ghislain Blique

Il fallait donc départager Umut et Ghislain. Deux stand-uppers traditionnellement éloignés des victoires en festival. Mais nous ne vivions pas n’importe quel tremplin. À Bordeaux, on ose casser les codes, offrir une pluralité de styles. Chacun a sa chance, pourvu qu’il ait un train. Le verdict final s’est joué serré. Seules deux voix séparaient Ghislain Blique d’Umut Köker.

Oui : le 24 mars 2023, Ghislain Blique a remporté au public une soirée tremplin en festival. Dans la salle, des gens connaissaient d’ailleurs Sympa la vie. On ne peut pas encore mourir tranquille, mais on peut ranger le cynisme festivalier au placard. Et tant pis si Geneviève Boitte de la SACD* trouvait les transitions peu à son goût. C’est ça le stand-up, le monde change — get used to it et laissez les spectateurs décider qui est le plus drôle…

*Ça fait très Pierre Niney de la Comédie-Française…

Épilogue : Ghislain Blique, grand gagnant au jury

Bien entendu, ce récit aurait été tout autre avec un verdict différent. Mais pour une fois, un festival avait le goût de la victoire. Et cela se passait au Théâtre Victoire. Ça ne s’invente pas ! Nous n’étions pas là pour l’épilogue. En première partie d’Hakim Jemili, Victoria Pianasso et Ghislain Blique rejouaient la partie. Cette fois-ci, un jury les départageait pour ne décerner qu’un vainqueur. Ghislain Blique a remporté le duel, il reviendra donc l’année prochaine.

Ne soyons pas trop déçus pour Umut Köker, qui aurait pu changer la donne. Il devrait aussi revenir jouer son spectacle en 2024. Pour lui, c’est ça la victoire : jouer dans les règles de l’art… Et aussi… Qu’aurait glané Lorenzo Mancini à la place de Clément Corbiat le vendredi ? (Sans passer premier, bien entendu…). Avec un stand-up assez différent de Ghislain et Umut mais tout aussi qualitatif, la confrontation aurait été haletante… Avis aux festivaliers, voici une affiche sympa pour les prochains rounds. Conviez aussi d’autres stand-uppeuses et Lisa Delmoitiez, tant que vous y êtes.

Crédit photos

© Loïc Cousin / Emma Derrier

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