Réflexions sur les célébrités et le développement des humoristes

Juliette Follin 17/10/2022

Les célébrités humoristes ne courent pas les rues. Vaut-il mieux les suivre ou s’intéresser au développement d’artistes émergents ? S’il n’existe pas de réponse définitive à cette question, j’ai toujours opté pour la seconde option. Mais au fait, d’où vient ce parti pris ?

Célébrités humoristes vs. développement artistique : fuir les têtes d’affiche

Paname Art Café, dimanche après-midi. L’humoriste et YouTubeur Hugo tout seul arrive sur scène, acclamé par une foule quasi-fanatique. Moi ? Je reste de marbre. Pire : une résistance s’installe en moi face à ce membre du club des célébrités humoristes.

AccorHotels Arena, il y a quelques années. Je me rends à la Fun Radio Ibiza Experience pour voir l’un des patrons de la trance, Armin van Buuren. Un style de musique populaire dans les années 1990, mais finalement de niche. Lorsque Armin quitte la scène, le DJ surprise de la soirée arrive. C’est DJ Snake, je m’en contrefous et quitte la salle tandis que la foule est en délire.

Open-space, un jour de la semaine comme un autre. Un collègue me parle d’un humoriste qu’il aime bien. Il n’a pas besoin de dire son nom : en deux ou trois mots, je devine son identité. Paul Mirabel, étoile plus grande que le soleil en stand-up. Moi ? Je demeure interdite : je comprends que c’est plutôt efficace, mais ça s’arrête là. Pourtant, quand je le vois dans l’émission En aparté, je suis bluffée par son professionnalisme. C’est dans sa manière de raconter son parcours que je perçois sa valeur.

Face à tout cela, une question émerge. Pourquoi ai-je tant de mal à soutenir les célébrités humoristes et les autres ? Quel impact cela a-t-il dans mes choix de promotion d’artistes ? Enfin, c’est grave, docteur ?

Le plaisir de développer des artistes

Le point positif, c’est que je me concentre sur les autres. Les outsiders ont une plus grande marge de progression, sont moins dans la lumière. Alors j’ai envie de pallier cette inégalité, que je perçois comme telle du moins.

Mais pourquoi diable vouloir aider des artistes à émerger, si je n’ai pas envie de les voir devenir célèbre ? Y aura-t-il un moment de bascule où je vais m’éloigner, me désintéresser ? Ai-je simplement envie qu’ils s’épanouissent raisonnablement dans des théâtres de moyenne capacité ? Quand je promeus un jeune artiste, je fustige qu’il ne soit pas plus connu. Le paradoxe est de taille, non ?

Le privilège de regarder au bon endroit

Je suis une experte du pas de côté. Autant l’assumer : c’est ce que je fais depuis le début sur ce site. Mon humoriste préféré, Jean-Philippe de Tinguy, n’exerçait même plus pendant quelques années. L’exemple typique d’un talent brut qui n’avait pas le feu sacré de l’ambition.

Début novembre 2021, un ancien pilote de F1 qui exerçait dans l’ombre et les tréfonds du classement annonce sa retraite. Une simple brève de quelques lignes dans un magazine ultraspécialisé l’annonce. La nouvelle est annoncée très froidement, et l’intéressé confie ne pas avoir été assez fourbe pour réussir.

Ces deux profils sont intéressants. Ils ne sont pas des superstars, mais à un moment, ils ont atteint un point culminant. Les gens pariaient sur eux, du moins ceux qui avaient le privilège de regarder au bon endroit.

Esquiver les célébrités humoristes : une question de tempérament ?

Je pourrais continuer avec tant d’autres exemples. Poursuivons l’enquête avec deux artistes qui jouaient au même endroit : Camille Lavabre et Emma de Foucaud. L’une est un aimant à projecteurs, l’autre touche les étoiles avec son talent mais doit encore se faire un nom.

Je n’ai presque jamais parlé à Camille Lavabre. J’ai l’impression que nous ne côtoyons pas le même monde, la même réalité. Autant, j’ai adoré son spectacle, mais une forme d’écart social nous sépare. Je la vois, ça semble le showbiz à plein nez. Je vois Emma de Foucaud, je vois l’ultime girl next door qui aurait déjoué les pronostics pour briller… à sa façon.

Une remise en cause de mes biais

Mais avec le temps, je constate la sympathie de Camille, sa simplicité. C’est finalement mon regard qui attribue un filtre pailleté, et moi qui ajoute cette distance. Pas l’inverse.

Mon intérêt pour tel ou tel artiste doit donc se jouer sur une question de tempérament. Ou d’identification. Reste à savoir ce que je cherche à accomplir avec les artistes que je soutiens. Une fois qu’ils auront terminé leur cursus à la Petite Loge, y aura-t-il un après ? Vais-je garder mon intérêt pour la génération suivante après avoir été tant nourrie ?

Je découvre, avec Camille d’un côté, mais aussi avec un Alexandre Kominek, que la réalité est toute autre. C’est l’accessibilité des artistes lorsque je les découvre qui permet de créer du lien. Et avec le temps, plus je me sens légitime dans cette industrie, moins je me fais discrète quand ces gens brillent. Et comme me l’avait dit un artiste, je suis juste heureuse de voir ceux que je suivais voir leur talent reconnu…

Trop de questions

Trop de questions, c’est l’un de ces podcasts qui se veut porte-parole de la toute nouvelle génération. Celle que je n’ai pas encore apprivoisée, à part peut-être avec Guillaume Guisset. Mais il ne fait pas partie de la même famille, il a presque attrapé le train de la génération précédente.

Ce n’est pas la première fois que je doute sur la suite à donner à mon travail sur le spot du rire. J’ai déjà eu l’impression de vivre ça et je vous l’ai même confié. Si je vous partage ces éléments de réflexion aujourd’hui, c’est parce que je mets enfin des mots sur mes ressentis. Je sens que mon rapport aux artistes est différent, que cela doit provenir de choses très personnelles.

Cela peut altérer mon objectivité, et même si personne n’est objectif, j’ai toujours voulu être la plus pédagogue possible. J’argumente sur les spectacles que j’aime ou non, je plonge parfois dans des partis-pris non partagés, avec une seule ligne de conduite : être honnête envers moi-même.

Un rapport singulier à l’humour… mais un pas de côté pas si éloigné ?

Jusqu’ici, l’humour m’a beaucoup offert. Jean-Philippe m’a permis de comprendre les rouages du rire et d’amorcer une relation de conseil. Quand il a quitté la scène, il a laissé un vide qui m’a permis de ne plus mettre mes œufs dans le même panier. Chaque artiste m’a apporté un petit quelque chose, un véritable enrichissement qui amortit les coups durs de la vie. Niveau santé mentale, ce fut de l’art-thérapie.

Parfois, l’intensité a pu engendrer des frustrations, mais comme dirait Emma de Foucaud, ça m’a fait apprendre beaucoup. Tout cet accompagnement, cette socialisation, reste assez informel, mais c’est cela qui m’a animé ces dernières années. Dans ma démarche, l’idée n’est pas de rendre un artiste célèbre. En revanche, comprendre le développement d’un artiste, constater que les gens sont de plus en plus réceptifs… Alors que sur le papier, peut-être que cette personne n’était pas favorite : ça, c’est addictif. Surprendre le public à ressentir les mêmes choses que moi, alors que j’ai souvent l’impression d’être sur un autre chemin. Alors le pas de côté se rapproche des rails et me ramène à la même réalité.

Et à l’époque, je pensais ne pas trouver de successeur à mon idole originelle. Preuve que demain, peut-être, un autre humoriste saura me donner envie de comprendre sa carrière de A à Z ? Ce que personne ne devrait voir.

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