Nadim : « J’essaie de créer quelque chose hors des lignes »
Nadim a commencé l’interview en essayant de m’interviewer. Il a tenté de me poser une question, en apparence simple. En réalité, elle est très difficile : « ça va ? ».
Ceux qui ont vu l’interview d’Omar Sy dans Clique savent qu’il existe plusieurs manières de poser cette question. La première, c’est de meubler : demander ça va comme avoir le réflexe de manger de temps à autres, histoire de dire qu’on l’a demandé et ne plus regarder en arrière. Et la seconde, c’est de demander vraiment si ça va, tout en sachant qu’on sait déjà la réponse. En substance, c’est le bordel, mais ça va passer.
L’interview reprend alors ses droits en commençant vraiment. C’était une interview décousue, non conventionnelle car conversationnelle.
L’interview
La genèse
Tu rêves de faire de l’humour depuis tes 14 ans. Est-ce que tu étais le genre de mec qui faisait rire tout le monde dans la cour de récré ?
Je ne faisais rire personne à la cour de récré : je jouais au foot et je me bagarrais souvent. Un jour, j’ai réalisé que la violence, ce n’était pas bien. J’ai compris que ça pouvait faire bien mal le jour où j’ai reçu un coup de pied dans le dos. J’ai réalisé que je n’étais pas immortel…
[Je ris]
Mais c’est très sérieux ! J’ai donc voulu faire autre chose que me bagarrer. J’ai commencé l’humour en classe. Je ne perturbais pas les cours, attention ! On nous demandait d’écrire des suites de texte. Le professeur demandait qui voulait lire son travail, et moi j’aimais lire. Je produisais des suites de textes décalées, un peu neuneu oui.
Mon prof de maths en 6e m’a aussi demandé de montrer mes chaussettes à tout le monde. C’était des chaussettes Captain Planet : multicolores. Je suis alors monté sur l’estrade, j’ai légèrement soulevé mon pantalon et j’ai dit à tout le monde : « Regardez, c’est des chaussettes Captain Planet ! » Cela a fait rire tout le monde. Je me suis dit qu’il ne leur en fallait pas beaucoup…
Tu as marqué les esprits d’autres professeurs ?
J’ai fait pleurer de rire ma prof de Français en 3e. Au sens propre : des larmes coulaient de ses yeux. Elle m’a dit : « On viendra à ton spectacle un jour ». qu’elle viendrait voir mon spectacle, plus tard. A cet instant, intérieurement, ça a résonné… C’était très bizarre. Je savais que j’allais faire de la scène, j’en étais sûr. Je le sentais : depuis le début, c’est-à-dire 13/14 ans, je sais que c’est ce que je veux faire, mais je ne savais pas trop comment faire. Même maintenant, je m’interroge sur ce qu’il faut faire pour faire émerger ce rêve dans sa globalité. Il m’arrive parfois de rêver que je joue dans une très grande salle devant beaucoup de monde… Cela m’arrivait même avant que je monte sur scène pour la première fois en 2016.
Mais avant d’arriver à un stade où on se lance, on est freiné par soi-même : par ce qu’on a appris, l’environnement dans lequel on évolue, etc. Or, il faut être libéré intérieurement, arrêter de se trouver des excuses. Et ce n’est pas simple, pour moi en tout cas…
Humoriste : une destinée ?
A ton avis, quelles sont les 3 qualités qui contribuent à transformer un être humain en humoriste ?
Je ne sais pas trop, je ne suis pas encore un humoriste accompli, j’ai du travail…Mais allez, j’essaie !
Etre en mesure de transcender sa première naissance, se replier sur soi-même pour s’écouter intérieurement : être capable de renaître. Se libérer de ce qu’on était dans le passé, dire oui à ce qu’on est vraiment. Ça, c’est la première qualité.
L’autre qualité, c’est d’aimer. Aimer les autres. Il faut que ça vienne naturellement, que ce soit vrai. Et enfin, rester enfant : l’enfant imagine, invente des histoires, crée. Il est joueur ; il ne faut pas trop se prendre au sérieux. Embrasser le ridicule et être pleinement sur scène.
La prochaine question est devenue un rituel, je la pose sans arrêt… Comment écris-tu ? Seul, accompagné, dans une grotte ?
C’est une question que je pose moi-même à tout le monde, c’est tout à fait normal de la poser quand on veut monter sur scène ou comprendre le processus qui rend les choses drôles.
Dès qu’une idée me traverse, j’essaie de la noter sur un calepin, mon téléphone ou mon ordinateur. Ensuite, je prends un créneau pour développer les idées. Parfois, on peut rester des heures sans que les vannes viennent, et on aura ingurgité tout un tas de cafés pour rien. Il faut attendre l’ébullition. Je peux écrire le texte en entier ou alors développer une idée et, ensuite, elle sera alimentée par des temps d’improvisations.
Style d’humour
Ton humour comporte plusieurs facettes, assez folles et touchantes si l’on juge l’affiche de ton spectacle Premier contact, et son slogan : un one-man touchant. Est-ce une manière d’oser des choses qui ne se font pas socialement, de transgresser des limites dans la relation avec les gens ?
Je n’ai pas compris la question, mais tu es sympa.
On est d’accord que, dans la vie, tu ne peux pas aborder quelqu’un dans la rue et lui crier « Séverine ! ». Seuls tes spectateurs peuvent comprendre…
Dans l’absolu, tu peux le faire ! Mais la personne se dit « tiens, il ne va pas bien, celui-là ». Dans la vie, je cherche à provoquer quelque chose chez l’autre pour aller le remuer, le faire sortir des sentiers battus. Et que cette personne soit plus dans la vérité par la suite.
Je trouve que c’est bien d’aller plus loin, et partir du postulat que les gens sont tous fous… Mais en vrai, c’est la société qui est complètement barge et qui rend les gens déglingués. Sur scène, j’ai envie de provoquer les gens de façon à ce qu’ils soient tous soudés les uns aux autres, dans le même bateau, en communion. Qu’ils se disent qu’ils ont affaire à un type étrange… Comme quand il y a une attaque extraterrestre contre la Terre : toutes les nations finissent par se tenir la main et s’entraider. Dans mon spectacle, j’essaie de faire en sorte que les gens rient ensemble, en se « moquant » de moi positivement et dans une ambiance bienveillante.
Et que ceux qui ont l’air les plus fous le sont le moins, sont en fait les plus posés ? Ou alors, on se dit ça pour se rassurer et ce n’est pas vrai du tout !
Je ne joue pas vraiment le fou. J’essaie de créer quelque chose « hors des lignes ». Derrière les masques et habitudes de société, on a tous envie d’exploser, et je pense qu’il faut l’exprimer pour être.
Tu as des inspirations particulières, soit les gens que tu côtoies ou ceux qui sont sur scène ?
Je n’ai pas d’inspirations particulières, tous les artistes peuvent m’inspirer. J’aime bien ce que fait Jean-Philippe de Tinguy… J’aime bien aussi Monsieur Fraize, du coup… Je ne suis pas forcément dans cette « mouvance »… même si je n’aime pas trop cette expression. Il n’y a pas de mouvances…
J’aime bien aussi Shirley Souagnon [qu’on vient de voir en plateau au Comedy Street Bastille juste avant l’interview, ndlr.], Djimo, Bun, Yacine Belhousse, Ghislain, Paul Dechavanne, Rémi Boyes et tellement d’autres…
Je ne vais pas tous les citer… Mais chacun d’eux a quelque chose qui m’interpelle en moi, qui m’inspire au final.
A ce moment-là, j’ai demandé à Nadim de faire sa bio. J’ai obtenu une réponse digne d’un livre. On reparle de l’arrivée en France de Nadim quand il avait 2 ans. Il quittait alors le Liban en période de guerre, puis il eut une adolescence à fond dans les Echecs (le jeu), se confrontant à Karpov, puis quelques grands maîtres internationaux des échecs, emportant la victoire contre l’un d’eux... Les échecs qu’il a débutés pour une histoire d’amour non assouvie : une fille qu’il aimait était avec un garçon qui jouait aux échecs… donc il s’y est mis et a battu son adversaire sentimental. Sans la lui prendre. Et bien sûr, il a évoqué Adrienne, son premier amour, ses études d'ingénieur et son école de commerce. Nadim serait-il un héros de littérature moderne à la Stefan Zweig sans le savoir ? Bref, on avance sur la partie humour.
Le conseil de Bruno Salomone
En 2005, j’ai demandé conseil à Bruno Salomone. Je lui ai envoyé un mail pour savoir quelle était la voie royale vers l’humour. Il m’a répondu qu’il fallait que j’écrive et monte sur scène. Je lui ai envoyé une blague par mail aussi, mais aucun retour… En même temps, ma blague n’était pas top. Je suis passé par les cours Florent en 2007-2008. Une voix en moi me disait qu’humoriste, ce n’était pas possible. Pour moi, il fallait travailler, gagner sa vie, avoir une famille, etc. Je faisais alors de l’improvisation pour le plaisir, mais une voix intérieure me poussait à ne pas franchir le pas pour devenir humoriste.
Au bout de 3 ans d’improvisation, j’ai tenté un cours de seul-en-scène en 2015. J’ai fait une représentation, quelques blagues en fin d’année. C’était une bonne expérience… et en parallèle, j’ai quitté mon travail en rupture conventionnelle. Le timing était parfait, je me suis dit qu’il fallait saisir l’occasion. Je crois en la synchronicité…
Je me suis lancé dans la co-écriture d’une pièce de théâtre, ça a pris du temps, on a mis la pièce en stand-by… Puis je me suis dit « Stop – écris et joue ton rêve ! »
Le déclic
A plusieurs reprises dans ma vie, je passais au théâtre Trévise et je voyais l’affiche pour le Fieald avec écrit dessus : « Scène ouverte, venez jouer le dimanche soir. » Ça attirait systématiquement mon regard et à chaque fois je me disais : « Je sais qu’un jour, je le ferai ». J’avais la chair de poule en la voyant, encore maintenant quand je le raconte ! Ma première scène, ça devait être là-bas. En mars 2016, j’y ai fait ma première scène. Ça s’est bien passé, et c’est là que j’ai entendu parler des 25 ans du Fieald à la Cigale.
Il y avait un tirage au sort au chapeau pour y participer. Le jour J, je pars là-bas, avec la forte sensation que j’allais être tiré au sort. La veille cette sensation était déjà fortement présente, cela m’a incité à réécrire, améliorer mon texte ! C’est drôle, car la veille, ma fille a fait quelque chose d’étrange. Il y a une affiche du Fieald chez moi. Ce jour-là, sans trop savoir pourquoi, elle s’est mise debout et elle a tapé à plusieurs reprises sur l’affiche. Même sur Facebook, j’ai écrit la veille sur le mur du Fieald en commentaire d’une publication : « j’ai un sentiment étrange… »
La trottinette : quand l’accessoire bouscule une destinée
Muni de ma trottinette, je me dirige donc vers la Cigale. Il pleut des cordes, je prends une Autolib avec à l’esprit mon texte. J’avais posé ma trottinette devant l’Autolib. En démarrant, je roule sur quelque chose, je me dis qu’il y a un truc qui a cogné. Mais cela n’a pas l’air méchant, alors je continue. Arrivé au théâtre, je constate l’absence de la trottinette. Pas le temps d’aller la récupérer ou d’en acheter une autre.
La panique s’installe, mais je me dis que je ne vais jamais être tiré au sort. L’absence de cette trottinette me fait penser l’inverse de mon intuition première ! Je sens que je vais être tiré au sort. Pourtant j’ai tout fait pour éviter cela : j’ai mis mon nom sur un bout de papier en premier dans le chapeau. Il était tout au fond. Comme il y en a une cinquantaine, tous les noms me recouvrent. Je me détends, je me dis : « je vais regarder tranquillement le spectacle, passer un bon moment et rire en profitant de la présence de toutes ces pointures, etc. C’est la vie, quoi. »
Là, la personne plonge sa main dans le chapeau. Mon cœur s’emballe. Je panique à nouveau. Je vois cette main faire un mouvement : il remue les noms. Ça change complètement la donne. Mon papier n’est forcément plus en bas. Je suis au bord de la syncope. Face à moi, il y a du beau monde, des gens qui ont de la « bouteille », enfin, plus de bouteille que moi : Julie Villers, Gérémy Crédeville, Félix Tout Court… On annonce que c’est moi. A cet instant, je suis déboussolé, je n’y crois pas. Il y a un silence : personne ne répond. « Qui est Nadim ? Nadim ! »
Tu t’es dénoncé ?
Je finis par dire que c’est moi, et j’enchaîne sur un ton un peu plaintif : « Qui a une trottinette à me prêter ? » Et quelqu’un m’a sauvé la vie en me prêtant la sienne. C’était dingue, vu la programmation : Bun Hay Mean, Guillaume Bats, Vérino, Baptiste Lecaplain, etc. Je passais justement après lui. J’ai rencontré du monde, dont Mo [Hadji, son manager, ndlr.] Grâce à lui, je suis parti en Avignon, et il m’a permis de faire d’autres plateaux.
Entretemps, pour satisfaire Pole Emploi, j’ai passé quelques entretiens. Comme je n’aime pas être mauvais, je prépare l’entretien à fond, et je suis pris. C’est pour ça qu’aujourd’hui, je jongle entre le travail*, l’humour et la vie de famille, avec ma femme et ma fille de 2 ans. Et elle est super mignonne !
*Le jour de l’interview, il était encore en entreprise. Aujourd’hui, le voilà de retour chez Pole Emploi.
Progression
Comment fais-tu évoluer ton spectacle ? Est-ce que tu arrives à te faire confiance ou écouter les autres te fait psychoter ?
J’écoute tous les avis. Ensuite, j’essaie de comprendre le sens de chaque remarque et je fais le tri en fonction d’un seul objectif : l’évolution de mon spectacle. Au Théâtre la Cible, je me permets beaucoup de choses : c’est un rodage dans une petite salle. J’essaie de me laisser guider par des passages d’improvisation, comment les gens perçoivent ces tentatives. Je joue en fonction de l’ambiance, de la réception du public. En somme, je travaille sur une deuxième partie de spectacle où j’alternerais entre différentes personnalités, tout en jouant un texte qui offre de la cohérence à l’ensemble. Je veux jouer sur cette dualité entre la différence de personnalités, de voix, d’états psychologiques, etc. et un discours solide comme fil conducteur. Mais je n’en sais rien, on verra.
J’aime quand c’est organique, quand l’échange est vrai, spontané… quand tout le monde est en communion. Je ne sais pas si je suis clair.
Interlude – Interview de Nadim dans Bla Bla Clap
Crédits photo
© Christine Coquilleau