Nathanaël Rochat, Revue de Lausanne, Brut impro : 3 nuances de bonheur comique
Fin novembre, j’ai eu le plaisir de revenir à Lausanne pour assister à 3 spectacles au Pavillon Naftule et à l’ABC. Avec Nathanaël Rochat, la troupe 2025 de la revue de Lausanne et Brut impro, j’ai pu me délecter de la qualité des spectacles à l’affiche. En bonus, j’ai pu prendre le pouls de la scène locale, de Yoann Provenzano et son cri du cœur sur le Montreux Comedy à la suppression prochaine de nombreux postes à la Radio Télévision Suisse (RTS) et les conséquences sur l’humour local.
Un spectacle de Nathanaël Rochat, ça donne quoi ?
Nathanaël Rochat est, en quelque sorte, un pionnier du stand-up en Suisse. Inspiration première de Thomas Wiesel, le comique de la vallée de Joux s’illustre par son apparente nonchalance.
Ainsi, le jeu favori du public est de déterminer s’il le fait exprès… ou s’il est sur le point de baisser les bras et s’envoyer une binouze. Or en ce 25 novembre 2025, le taulier Rochat enflamme le Pavillon Naftule. Son spectacle n’est pas vraiment du stand-up, pour le coup. En effet, il reprend le concept de revue d’actu de l’année écoulée. En 2024, Thomas Wiesel s’y attelait — nous y étions déjà. Le résultat est toujours disponible gratuitement sur YouTube.
Humour locavore
Nathanaël Rochat est un humoriste local. Ne l’invitez pas à Paris : il se retrancherait dans un bunker. D’emblée, il annonce la couleur. Son manager lui intime de reprendre le concept de Thomas. Il s’y pliera avec un segment stand-up et une perspective encore plus locale.
Même pour moi, dont les messes dominicales s’apparentent à l’émission des beaux parleurs de Jonas Schneiter, je n’avais pas toutes les réf’. J’estime connaître 80% des actualités mentionnées, un bon score quand on n’y vit pas. Néanmoins, Nathanaël faisait toujours l’effort de recontextualiser chaque séquence.
Un cadre qui crée les conditions d’un succès comique
La réputation de Nathanaël le précède : il a pu livrer une copie brouillonne par le passé. Ses qualités comiques lui permettent ce luxe, même s’il ne doit pas en abuser pour perdurer. Pour cette raison, certains observateurs réfléchissent à deux fois avant d’aller le voir sur scène.
Sans doute en quête de nouvelles têtes, après avoir apprécié ce mastodonte maintes et maintes fois. C’est ce que je pense, puisqu’en réalité, je n’ai jamais vu Nathanaël se foutre de la gueule du public. Il y a certains gimmicks et une impression de je m’en foutisme, mais ce serait passer à côté du phénomène que de le penser véritablement oisif. En prime, ces questions de revoir ou non un artiste qui a déjà séduit par le passé, alors que de nouvelles générations émergent, touchent bien plus d’artistes que lui.
Ainsi, je préfère mille fois retrouver un Nathanaël Rochat reprenant ses meilleurs hits. Surtout si on compare l’expérience un nouveau show d’une tête d’affiche propulsée par des algorithmes, en dépit de bon sens artistique. Surpasser la chance du débutant pour bâtir une carrière à deux chiffres est déjà un exploit en soi.
La « Rochat touch »
Comme anticipé par les premiers retours de ses pairs, la question de l’absence de cadre ne se pose même pas. En effet, le show est aussi travaillé que qualitatif. En 90 minutes, on retrouve la patte Rochat : « Machin » ou des dérivés de « Ils les trouvent où, ces gens ? » qui faisaient mouche au Couleur 3 Comedy Club. Plutôt que des béquilles, ces virgules comiques sont des signatures qui affirment la « Rochat touch ».
De ses tentatives d’aborder la question LGBTQIA+, il en découle autant de fulgurances que de maladresses. Un public, en l’occurrence grisonnant, qui ne cherche pas la petite bête, appréciera et bénéficiera d’une belle initiation à la cause.
Le spectacle s’achève sur une standing ovation, qui montre que le public suisse est bien plus généreux que le cliché décrit à Montreux. La réalité, c’est qu’un Nathanaël Rochat saurait briller en France, mais qu’il n’en a nullement l’intention. Alors si vous souhaitez l’apprécier, il faut voyager vers lui… Tout amateur d’humour suisse en tirerait une belle leçon sur ce qui fait rire les vaudois !
Escale à Montreux : la libération des critiques met en lumière des problématiques de programmation qui touchent toute l’industrie
En 2025, le Montreux Comedy a fait l’objet de plusieurs critiques. Remettre en cause l’un des festivals les plus en vue du rire francophone n’a cependant rien de nouveau.
Or les réseaux sociaux devenaient une caisse de résonnance qui permettait, enfin, de mettre les sujets sur la table. Le big boss lui-même a réagi sur la faible représentation suisse. Assumée, mais qui aurait atteint un niveau accru en 2025.
Rien n’a filtré, néanmoins, sur le gala de Nino Arial ou sur le traitement médiatique de la venue de Marie de Brauer. Si l’on prend du recul, le Montreux Comedy a toujours programmé des artistes qui, selon la sensibilité de chacun, indiffèrent, agacent ou (heureusement) enchantent. Cela reflète surtout les débats actuels sur la représentativité dans les programmations, qui sont de plus en plus virulents. Ces échanges pourraient, je l’espère, déboucher sur de réelles conversations à l’avenir. La stigmatisation est inutile sur le temps long, mais sans cette dernière, aucune prise de conscience possible… C’est le serpent qui se mord la queue !
Trouver des solutions constructives, valoriser le travail des équipes (à chouchouter, elles aussi !) et les amener à une meilleure synergie avec les scènes locales, voilà des projets plus stimulants. Les premiers rapprochements avec le P’tit Ch’nit Comedy Club témoignaient d’une ouverture bienvenue. Affaire à suivre ! Sans surprise, la réaction du big boss par médias interposés n’est pas la plus classe, parce que ce n’est toujours pas à la mode de reconnaître des trous dans la raquette… Dommage.
Sauver le soldat Couleur 3
À la suite de l’annonce des 900 postes équivalent temps plein à supprimer à la RTS, quelles seront les conséquences sur l’humour suisse romand ? Les tractations se tiennent dès maintenant, dans une précipitation peu propice à la sérénité. Le journal satirique Vigousse raconte avec brio la gabegie de la situation…
Il faut dire que ces suppressions sont, un peu comme en France, dues à des pressions politiques visant à réduire la puissance publique. Elles ne sont d’ailleurs pas nouvelles, et les budgets sont donc à nouveau rabotés. À l’image du Mouv’, radio désormais passée du côté digital et privée de bande FM, Couleur 3 amorce son virage vers le web. En 2024, la fin de la diffusion sur la bande FM a privé ceux qui ne disposaient pas de postes DAB+ de Couleur 3… Une décision qui n’aurait pas eu un tel impact si toute l’industrie s’alignait sur ce choix. Coup de théâtre quelques jours avant la publication de l’article : la SSR (qui abrite la RTS) fait machine arrière pour retrouver ses auditeurs lésés…
Diktats des algos et des politiques : quelle résistance possible ?
Et les nouveaux formats web, plus uniformes tant l’algorithme dicte ses lois, m’inquiètent. Tout allait bien, sans doute, jusqu’à ce qu’on voie une vidéo pour déterminer le meilleur goût de sauce avec les humoristes du coin. On a déjà un YouTube français gangréné par les effets vidéo de zoom permanents pour « dynamiser » des contenus plats, et des sujets plus claqués au sol les uns que les autres. McFly et Carlito qui élisent le meilleur croissant avec Cocotte, je ne peux plus.
Si l’on pouvait éviter de perdre ce qui fait la richesse de la création romande sur les ondes et ne pas plier face aux algos comme aux politiques, ça serait heureux. Des formats web comme « La graille » étaient beaucoup plus singuliers, pourquoi ne pas capitaliser sur eux ? L’algo, toujours l’algo… Pour revenir à la radio, tous les programmes de la grille et tous les protagonistes réalisent un travail remarquable. C’est extrêmement rare pour être souligné ! On peut dire merci à Valérie Paccaud, qui forme depuis des générations des artistes qui cartonnent ensuite en France et localement…
Brut : un spectacle d’impro avec un nouveau fil rouge à chaque représentation
Retour au spectacle vivant. Rendez-vous donné 21h07 au bar club ABC. Le spectacle de la compagnie Brut impro va commencer. Si Blaise Bersinger et Donatienne Amann, occupés par la revue de Lausanne, sont absents, le public ne boude pas son plaisir.
En plus de Yacine Nemra, connu pour sa présence sur la RTS, on retrouve des têtes déjà croisées sur les planches : Giulia Cela et Quentin Lo Russo. Une nouvelle tête, Alienor Vauthey, les rejoignait pour une soirée hilarante.
Après une brève introduction pour choisir le thème du soir, les artistes créent une histoire de A à Z sous nos yeux. Ils jouent en duo ou en trio certaines mini-séquences et s’adaptent à l’intrigue au fil de l’eau. J’ai trouvé le résultat impressionnant : à la fois hilarant et étrangement structuré. Il y avait même des messages portés par des poissons et des breaking news à l’américaine, en VO dans le texte.
J’ai attendu de nombreuses années pour voir ce spectacle. Comme je l’avais anticipé, c’est une valeur sûre à voir au moins une fois dans sa vie. Un grand merci aux artistes qui créent des spectacles de haut vol depuis tout ce temps !
La revue de Lausanne 2025, Tout va bien, prolongée au Pavillon Naftule
Le Pavillon Naftule accueillait pour la deuxième fois la revue de Lausanne. Parmi le casting, vous connaissez certainement Blaise Bersinger et Donatienne Amann. Ces experts de l’improvisation théâtrale, habitués des chroniques et même des comedy clubs, démontrent toute l’étendue de leur talent au casting de cette nouvelle revue. La troisième à laquelle j’ai le plaisir d’assister — cela a son importance pour les comparer.
Accompagnés d’Alenka Chenuz, Sandro de Féo, Aude Gilliéron et Dominique Tille, ils forment une troupe mêlant habitués et nouveaux venus. À l’écriture, on retrouve des figures connues de l’humour romand. Citons pêle-mêle Benjamin Décosterd, Sabrina Colongo ou encore Julie Conti et Jérémy Crausaz — liste non exhaustive.
Une fresque qui lie la légèreté du conte à la noirceur du monde
Cette année, j’ignorais ce que j’allais voir. Après une édition consacrée à la presse, un sujet qui me tient particulièrement à cœur, on pouvait imaginer bien des pistes avec le titre « Tout va bien ». Je savais, en tout état de cause, que j’étais entre de bonnes mains. Dans une forme distincte de l’édition 2024, on retrouve ainsi une fresque qui lie légèreté du conte à la noirceur du monde.
Résultat des courses : un spectacle au plaisir quasi-régressif, qui revisite l’histoire de Lausanne à des problématiques bien actuelles. Tesla, bobos colocs’ qui se muent en trouple indécis, foires au cassoulet et aux pois chiches avec Valérie Dittli en représentation… Mention spéciale au conte dévoilant une tribu de moules à la langue aussi hilarante que leurs costumes. Donatienne Amann est impeccable dans son rôle d’enfant qui peine à trouver le sommeil !
Sans stand-up ou autre moment cassant la dynamique des tableaux, les deux heures passent à vitesse grand V. La fluidité, impressionnante, embarque dans une pièce absurde à la sauce Bersinger. Des appels téléphoniques aux interprétations de Guy Parmelin ou Valérie Dittli, on se régale entre adaptation d’Abba poignante et sketches de haut vol dénonçant l’absurdité de notre monde avec force douceur.
Une créativité sans limite qui fait briller l’humour absurde et les geekeries
Outre l’humour ultra-créatif, cette revue se distingue par des messages distillés avec monstre subtilité. L’écologie prend plus de place que les conflits armés, mais les petites touches sur le sujet suffisent à en dire beaucoup. La fin de la RTS dans le quartier de la Sallaz (une abomination de laideur dans les hauteurs de Lausanne), profite d’une chanson interprétée par la chorale d’Ouchy. Ceux qui se souviennent de son ode à la bétonnisation du port face au Léman s’en délectaient d’autant plus !
Les vannes de geek sur les transports locaux m’ont également ravie. Ceux qui écoutent Blaise en chronique savent qu’il parvient à chaque fois à créer de l’hilarité sur ces trucs du quotidien en apparence peu inspirants. Cela rappelle à quel point l’humour est décentralisé côté helvète et renforce le sentiment d’appartenance des locaux. Heureusement, Nathanaël Rochat m’a offert une belle introduction pour tout suivre sans être du canton de Vaud.
À voir et à revoir !
Au global, j’apprécie la différence de forme de cette édition par rapport à 2024. C’était un coup de cœur, à l’époque, tant sur la performance que sur l’émotion. Cette année, le gag et la théâtralité comique ont pris le pouvoir. Cela souligne la richesse d’un tel show, qui sait revisiter ses codes d’année en année pour sortir de la routine.
Dernier aspect : la richesse de la revue, pour être appréciée à sa juste valeur, mériterait bien plusieurs lectures et visionnages. Gageons que la captation de la RTS intègre l’ensemble du programme pour vous permettre d’y accéder ! Pour être sûr de tout voir, je vous invite à vous ruer sur les dates supplémentaires. C’est vraiment l’année ou jamais, tant l’humour absurde y brille de mille feux (je ne suis pas la seule à le penser…) !
L’humour romand confirme son dynamisme en 2025
C’est le constat que je formule. Ces trois spectacles, à la forme bien distincte, témoignent de la créativité de la scène locale. Au Pavillon Naftule, les têtes grisonnantes s’enjaillent face à de multiples générations.
Le bar club ABC abrite un public plus jeune (la soirée est au chapeau, et vu la vie chère en Suisse, ceci explique cela). À mon sens, pas besoin de se plier aux codes des algorithmes ou des pressions politiques pour faire rayonner la scène locale. « Parler aux jeunes », ces artistes le faisaient déjà très bien. Et aux moins jeunes, aussi.
Je réitère donc mon vœu : évoluez comme vous l’auriez fait sans les contraintes, car votre talent est intact. Espérons, dans l’intervalle, une éclaircie dans le contexte politique…
Crédit photo
© Jonathan Picard