Le stand-up américain est-il (vraiment) le meilleur ?
Le stand-up américain est-il le meilleur du monde ? Plus précisément, l’hégémonie du stand-up américain est-elle réelle ? Je ne vous partage pas un épisode du podcast Une bonne fois pour toutes, mais cet article en a la saveur… Avant de fermer cette parenthèse audiovisuelle, je vous invite à écouter leurs interrogations sur la qualité des séries en France.
Le stand-up, entre âge d’or et mort programmée — vraiment ?
En 2024, de plus en plus de monde semble vouloir enterrer le stand-up. Quinze secondes plus tôt, pourtant tout le monde criait à son âge d’or.
Ce n’est pas parce que Shirley Souagnon, Louis Dubourg ou Mustapha El Atrassi ont annoncé lever le pied (et puis non !) qu’il faut lâcher prise. Bien sûr, l’industrialisation du stand-up est l’une de ses nombreuses épées de Damoclès. Mais le bon stand-up, celui qu’on aime passionnément, existe toujours. Encore faut-il le valoriser et le développer…
Les défis qui pèsent sur le stand-up francophone comme américain sont nombreux. En outre, chacun a son avis sur la question, reprenant la réflexion au point de départ. Plutôt que de disserter sur le même sujet, j’ai préféré partir à la recherche de réflexions existantes. Attachez vos ceintures, le voyage commence maintenant…
Quand les passionnés de stand-up s’attellent à la recherche
Où trouve-t-on les passionnés de stand-up ? Dans les comedy clubs, les salles de spectacle, devant les specials disponibles sur le web, derrière des micros pour enregistrer des podcasts… Oui, mais pas seulement. Ces amoureux de la discipline se retrouvent aussi sur les bancs de la fac. Fins limiers, ils deviennent des chercheurs plus ou moins rigoureux, plus ou moins connectés.
Aux quatre coins du globe, le sujet fait donc des émules… et cela ne date pas d’hier ! En Suède, Juan Sjöbohm se penchait sur le thème en 2008 avec un focus sur l’américanisation du stand-up et le rôle « sans frontière » des médias. Les témoignages d’artistes basés aux États-Unis sont révélateurs d’une autre dynamique. En l’espèce, les menaces qui pèsent sur le stand-up actuel resteraient les mêmes outre-Atlantique. Autre son de cloche chez Daniel Sloss, dans le podcast Good One : cela dépendrait surtout des stand-uppers… On n’est pas rendus !
En France, un travail de recherche analyse au peigne fin la démarche du Madame Sarfati
En 2021, un étudiant du CELSA (aujourd’hui humoriste) troquait sa casquette d’artiste pour comprendre la spécificité du comedy club de Fary. Il produisait ainsi un travail de recherche approfondi sur l’artification du stand-up. J’ai saigné moi aussi du nez à la lecture du mot « artification » (qu’il ne définit pas, pas pratique…). C’est simplement la transformation de quelque chose de non artistique en une discipline artistique.
Pour ce faire, il se penchait notamment sur la mesure mathématique de la qualité d’une vanne au Madame Sarfati Comedy Club… Mais aussi sur la programmation d’humoristes dits « professionnels » sous la « surveillance » de Fary et de sa programmatrice, Sado.
Du stand-up dans une œuvre d’art pour le professionnaliser — telle est la vision marketing du stand-upper Fary. Ce travail de recherche livre de belles pistes de réflexion, mais il n’échappe pas à la connivence. En effet, il se concentre exclusivement sur ce comedy club. Il a le mérite de déconstruire certaines affirmations :
- pour y jouer, il faut avoir un spectacle à promouvoir, sauf que Louis Dubourg et Paul Dechavanne n’en ont pas ;
- les femmes programmées sont trop peu nombreuses, comme le regrette la programmatrice car « elles n’oseraient pas » (sic !).
Hier, les cercles d’entre-soi… demain, un festival d’humour bâti avec Kader Aoun et Jessie Varin ?
Dans cette étude, on comprend qu’au-delà des critères objectifs, on découvre que Louis et Paul ont au préalable pu bosser avec Fary, ou quelqu’un de son cercle. Leur validation est, comme souvent, l’affaire d’un entre-soi mêlé à des performances scéniques intéressantes. Ils esquivent la règle de devoir proposer une heure de spectacle… Quid des autres prétendants à un spot ?
Indéniablement, le comedy club de Fary offre de vraies opportunités qui professionnalisent ses résidents. Ces opportunités restent cependant limitées à des happy few, triés selon des critères parfois différents de la promesse initiale. Son rejet de l’amateurisme et de propositions qui ne sont pas du « pur stand-up » se vérifie facilement, démontrant que le cap de la direction artistique est plutôt clair. Une rareté fort appréciable, qui conforte le positionnement premium du Sarfati… Mais faut-il s’en satisfaire ?
En cela, il faudrait aligner l’industrie dans son ensemble sur l’expression « le meilleur du stand-up ». Rappelons-le, tous les comedy clubs reprennent cette promesse marketing en 2024. Un tel alignement des planètes supposerait davantage de maturité et de coopération entre tous les acteurs. Or le milieu, à tous les niveaux, se tire régulièrement une balle dans le pied tant les embrouilles sont nombreuses entre des acteurs passionnés mais esseulés. Certaines vont même très, très loin…
Dans cet écosystème complexe, la naissance de la charte des comedy clubs initiée par Jessie Varin pose tout de même les fondations d’un monde meilleur. À l’avenir, la directrice de la Nouvelle Seine s’associera-t-elle à un Kader Aoun, qui ouvre le Solo après sa bisbille avec le Paname Art Café, pour proposer le festival de stand-up du futur ? Rêvons un peu, et continuons d’agiter un drapeau blanc !
Ironiquement… Cette collaboration qui me semblait improbable à l’heure de l’écriture de ces lignes a bien eu lieu ! Comme quoi, le milieu me fascine dans sa capacité à collaborer malgré quelques conflits de valeurs.
Quelques livres pour poursuivre la réflexion
Qui dit travaux de recherche dit réponse à la question jamais formulée… et bibliographie. Compiler des idées de livres pour nourrir sa réflexion, je m’y collais il y a dix ans pour mes propres travaux de recherche. Alors pourquoi ne pas recommencer ?
Entre ouvrages théoriques sur le rire et les cultures ou encore œuvres littéraires autour des blagues et de l’histoire du stand-up, vous aurez de quoi faire. Si vous avez des suggestions ou des remarques (j’y ai passé 48 heures sans creuser, en puisant dans ma bibliothèque personnelle et en pompant un peu Forbes), partagez-les en commentaire.
Bibliographie non exhaustive : ajoutez-en d’autres en commentaire !
Titre | Auteur | Description |
The Comedians | Kliph Nesteroff | Une histoire du stand-up et de la comédie américaine par un gars du SNL (filtre bien usité par la journaliste de Forbes). |
Le rire | Henri Bergson | Ouvrage théorique fondateur sur le rire, recommandé par Christine Berrou. |
Sick in the Head | Judd Apatow | Collection d’interviews d’artistes de stand-up renommés aux États-Unis à travers l’histoire. |
Mathematics And Humor | John Allen Paulos | Pour les geeks de l’humour qui aiment comprendre le mécanisme des blagues à partir de graphiques. Peut-être trop ardu ? |
Comedy Book: How Comedy Conquered Culture, and the Magic That Makes It Work | Jesse David Fox | Quelle promesse ! Comment la comédie et le stand-up s’imposent-ils dans un milieu culturel qui les snobe ? |
Pourquoi rit-on ? | Sarah Kofman | Forbes proposait de revenir à un ouvrage de Freud, ça semblait compliqué… Alors on sous-traite à quelqu’un qui a étudié le bouzin. |
Alexandria | Quentin Jardon | L’histoire d’un Suisse pionnier du web, doublé par les ricains. Ce livre passionnant permet d’appréhender le monde numérique pré-GAFAM. |
The Limits of Liberty | Maldwyn A. Jones | Ouvrage sur la genèse de l’histoire américaine, utile pour comprendre son identité. Oui, c’était dans ma liste des bouquins à la fac, je n’y ai pas trop touché mais ça fait intello dans la bibliothèque… |
The Stench Of Honolulu | Jack Handey | Livre utile pour comprendre le rythme et la prosodie des blagues d’un auteur de SNL. Suggestion hasardeuse ou coup de génie ? Les critiques sont divisées. Traduit en français ; sur la couverture, Beigbeder dit que c’est super. Vous savez (presque) tout ! |
Joyful Recollections of Trauma | Paul Scheer | Livre utile pour explorer le processus thérapeutique de l’introspection chez les artistes. À mettre en parallèle de la bibliographie de Paul Auster (mélancolie introspective new-yorkaise). J’ai souvent fait le rapprochement entre la plume de ce romancier et le stand-up. |
Bien sûr que les poissons ont froid | Fanny Ruwet | Livre utile pour comprendre le lien entre storytelling, mélancolie et angles comiques. |
Les meufs c’est des mecs bien | Mourad Winter | Livre utile pour comprendre le pouvoir des références et de l’écriture comique (stylistique). |
Personne n’aime Simon | Philippe Battaglia | Livre comico-fantastique suisse à l’originalité remarquable. |
Believe Me: A Memoir of Love, Death and Jazz Chickens | Eddie Izzard | Eddie Izzard est une sorte d’alter ego de Yacine Belhousse. Son aura internationale est encore plus forte… Voici là une biographie de qualité et une perspective queer. À compléter avec d’autres ouvrages de ce type pour éviter le syndrome de la Schtroumphette… |