Quand les pires recettes du star system gangrĂšnent Comedy Class
Ăric et Ramzy, hĂ©ros du tĂ©lĂ©crochet Comedy Class sur Prime Video, semblent prendre leur revanche sur leurs dĂ©buts calamiteux. Talentueux au possible, ils recevaient pourtant un snobisme comme fin de non-recevoir Ă leur arrivĂ©e dans lâhumour. CĂŽtĂ© public, autre son de cloche avec des salles pleines. Les intĂ©ressĂ©s eux-mĂȘmes comparent leur succĂšs dâantan Ă celui des boys band, rendant difficile la captation de leur deuxiĂšme spectacle devant des foules en furie.
Puriste ou revanchard : au questionnaire « Quel jurĂ© de Comedy Class ĂȘtes-vous ? », Ăric et Ramzy ont choisi leur camp
Pour animer un tĂ©lĂ©crochet (comme câest sur Prime, on parle de talent show, mais passons), ils avaient deux solutions :
- la puriste, soit chercher la pĂ©pite que lâindustrie met de cĂŽtĂ© car pas assez de followers ;
- la revancharde, soit montrer que les dés sont pipés en reproduisant le mécanisme.
Si seulement câĂ©tait la premiĂšre option. Malheureusement, comme certains artistes le relevaient, le vainqueur de Comedy Class a un point commun avec Ramzy. Les deux font appel Ă la mĂȘme agence dâartistes. Lâune des plus renommĂ©es, dixit un scĂ©nariste et acteur en herbe. On ne peut pas dĂ©cemment penser que Ramzy a favorisĂ© cette personne pour que lâagence tourne mieux. Que les 50000 balles promises au vainqueur restent dans le mĂȘme Ă©cosystĂšme. Ăa serait trop gros. Ă moins que dâautres parties prenantes y aient un intĂ©rĂȘt ?
Pourtant, quand on voit la piĂštre qualitĂ© du gagnant « coup de cĆur »⊠Quand on sait aussi que des programmateurs, artistes, podcasteurs et autres observateurs confirment Ă lâunisson que cette personne nâa rien de drĂŽle⊠On se dit quâon est passĂ© Ă cĂŽtĂ© du Soch. AprĂšs, bien jouĂ© Ă eux de montrer toute lâabsurditĂ© dâune industrie dans ses pires travers. De maniĂšre presque assumĂ©e, tant ils rappellent dans toute la presse que les sĂ©lectionnĂ©s pourraient ĂȘtre nuls et les recalĂ©s bons in fine. Une maniĂšre de se dĂ©douaner de toute responsabilitĂ© ?
Un programme fade incapable de dĂ©peindre lâhumour Ă©mergent
Comedy Class avait tout pour offrir Ă lâhumour Ă©mergent la meilleure tribune. Le pognon de dingue claquĂ© en affichage aurait dĂ» bĂ©nĂ©ficier Ă tous les artistes. Parce que pour ce programme comme pour dâautres de ce style, la rĂ©munĂ©ration des participants est partielle, voire inexistante. Chez Prime, on rĂ©munĂ©rait Ă partir dâun certain stade dans lâaventure. Bien entendu, tous les artistes cĂ©daient les droits de leur artâŠ
En plus, ils subissaient des montages foireux (apparaissant parfois quelques secondes) et des jugements incohĂ©rents. Sâil nây avait que cela⊠Citons, pĂȘle-mĂȘle, les repĂȘchages au doigt mouillĂ©, les relents de censure et lâimpossibilitĂ© de juger les artistes sur un pied dâĂ©galité⊠vous en aurez pour votre indignation !
Quelques talents en or parmi les brebis galeuses du rire et le vainqueur au melon déjà mûr
Des talents, dans ce programme, il y en avait. Or compte-tenu de lâunivers dâĂric et Ramzy et de celui dâEliott Doyle, ce dernier aurait dĂ» dĂ©crocher la timbale. Justement, jâai vu Eliott et le gagnant le mĂȘme jour au Jamel Comedy Club. Eliott : excellent, comme Ă son habitude. Plus fort : le seul Ă retourner la salle.
Le gagnant de Comedy Class, quant Ă lui, est un Dâjal low-cost. Un stand-upper qui essaierait de se saper comme Nordine Ganso, mais en rose. Pour rappel, jâai vu ses blagues racistes sur le Portugal en vidĂ©o et sa rĂ©pĂ©tition du JCC au Comedy Club. Avant de voir son passage inaudible des auditions et sa suffisance Ă peine masquĂ©e. Que dire de la fin de lâultime Ă©pisode : des blagues Carambar moins bonnes que lâoriginal jouĂ©es comme des one-liners avec un Ăric Judor hilare qui semble vendre son Ăąme Ă Amazon.
On nâavait pas besoin dâun Dâjal des temps modernes ascendant blagues Carambar, si jamais.
La scĂšne, pour ce pseudo-artiste, ressemble Ă un tremplin pour le cinĂ©ma. Je me permets de questionner son statut dâartiste parce quâĂric et Ramzy en ont fait de mĂȘme pour des types qui ont des spectacles reconnus par la critique, adoubĂ©s en festival, en comedy club et au thĂ©Ăątre. Ce gagnant semble en tout cas passer plus de temps Ă choisir ses tenues quâĂ bosser ses textes â ou alors il sây prend trĂšs, trĂšs mal.
Notons que dans les coulisses, Ăric et Ramzy savaient aussi faire preuve dâhumanitĂ© en consolant certains artistes quâils aimaient mais quâils nâont pas pu mener Ă la victoire. Preuve que mĂȘme les acteurs eux-mĂȘmes de cette mascarade se muaient en pions ? Tout semblait pipĂ© dâavance et le montage nous faisait comprendre qui allait sauter, qui allait rester, etc. Le visionnage nâoffre ainsi aucun plaisirâŠ
DĂ©nicheurs de talents vs. dĂ©nicheurs de business : les traders du rire en panique avant lâĂ©clatement de la bulle stand-up ?
Si je suis aussi critique (et loin dâĂȘtre la seule), câest parce que la nouvelle gĂ©nĂ©ration, je la connais. Elle est accessible partout, tous les soirs en comedy club ou au thĂ©Ăątre. Mais les dĂ©nicheurs de talent sont devenus des dĂ©nicheurs de business.
Il est quand mĂȘme cocasse que tous ces gens qui prĂŽnent des valeurs de gauche pour tout et pour rien soient aussi focalisĂ©s sur le buzz et lâargent du buzz. Câest le cul de la crĂ©miĂšre â pardon, le divertissement de la mĂ©nagĂšre â qui en pĂątit.
DerriĂšre cette approche visiblement cynique se cache surtout une bulle 100% stand-up oĂč chacun veut placer son poulain dans lâespoir de tripler sa mise avant que tout sâeffondre. Cet opportunisme de temps de crise est dommageable Ă lâheure oĂč on nâa jamais pu aussi facilement dĂ©couvrir des talents de tous horizons.
Au-delĂ de Comedy Class, quand les nouveaux entrants trouvent leur planque et imitent lâancien monde
Avec les plateformes alternatives comme Twitch, Prime Video, francetv slash, etc., on aurait pu croire Ă une autre destinĂ©e. Mais les acteurs qui les peuplent, comme Domingo avec Popcorn, dĂ©barquent avec du frais avant de concocter du vieux. Le talk-show super cool est devenu, comme Ă la tĂ©lĂ©, un espace de promotion sans Ăąme. En prime, en ces temps teintĂ©s de #metoo, on se demande si ceux quâon voit de maniĂšre frĂ©nĂ©tique font le plein de pognon avant de tomber.
AprĂšs tout, avant de voir son affaire Ă©talĂ©e au grand jour dans Mediapart, Djimo sâest offert un Olympia. Pas de rapport direct avec Comedy Class, mis Ă part la dangereuse mue entre journalisme et communication. Certains irrĂ©ductibles acteurs rĂ©sistent encore Ă lâenvahisseur algorithmique, mais si peu. MĂȘme dans la nouvelle vague de journalistes (coucou Oumar Diawara qui amĂšne Djimo Ă parler de son cĆur brisĂ© en novembre 2023 Ă Montreux), on constate ce phĂ©nomĂšne de travail bien fait avant de croupir dans une planque, prendre un melon de dingue et oublier ses idĂ©aux.
Plus dure sera la chute. Ă voir si Sofiane Soch saura, comme dâautres anonymes propulsĂ©s en tĂȘte des charts, se rĂ©inventer pour devenir lĂ©gitime. Pour lâheure, aucune preuve nâest sur la table. Alors dĂ©branchez des plateformes et allez voir des spectacles pour vous offrir le meilleur programme. Traduisez : celui qui vous correspond, que vous aurez choisi avec votre esprit critique et pas Ă la suite dâune vidĂ©o Ă la con visionnĂ©e pendant la grosse commission.
La découverte des auditions de Comedy Class : y a-t-il quelque chose à sauver dans ce programme controversé ?
Je mâattendais Ă ĂȘtre en colĂšre aprĂšs avoir collectĂ© tant de tĂ©moignages amers dâartistes et de journalistes. Mais finalement, je me retrouvais amorphe devant tant dâincohĂ©rences. Le programme nâa aucun sens, ne sert Ă personne et vient crucifier le stand-up. On ressort lessivĂ© du visionnage des auditions : la machine Ă lobotomiser ne fait mĂȘme pas rire, mĂȘme pour les meilleurs artistes sur place.
Le programme nâaurait pas dĂ» bĂ©nĂ©ficier dâun tel coup de projecteur. MĂȘme des gens qui sont plutĂŽt bons en comedy club, comme Camille Lorente, ont lâair vraiment bof. La raison ? SĂ»rement que certains sujets devaient ĂȘtre Ă©vitĂ©s pour espĂ©rer se qualifier. Le sexe nâa pas sa place (sauf si on lâamĂšne avec des relents homophobes). Les femmes qui osent sâaventurer sur ce sujet, ou dans lâabsurde, ne passent mĂȘme pas le premier tour. Comment expliquer les Ă©liminations dâAude Alisque ou de Cab Cab ? Et que dire de Hadir, excisĂ©e au montage malgrĂ© son grand talent ?
Rien ne va dans la hiĂ©rarchie, dans la sĂ©lection oĂč des parisiens se retrouvent en compĂ©tition dans les autres villes. Les scĂšnes nantaises et bruxelloises sont bien plus vastes que cet aperçu semi-importĂ© de la capitale. Pire : ceux qui sont bons sur ces scĂšnes disparaissent sans aucune cohĂ©rence. En rĂ©sumĂ©, on ne peut rien tirer de ce programme complĂštement ratĂ©, hormis peut-ĂȘtre la dĂ©couverte dâEliott Doyle.
Tous les participants Ă©voluaient-ils sur un pied dâĂ©galitĂ© ? La production recherchait-elle la nouvelle pĂ©pite de lâhumour ou le bad buzz au dĂ©triment de la nouvelle gĂ©nĂ©ration ?
Victoire mĂ©ritĂ©e ou non, je lis les rĂ©ponses que Sofiane Soch fournit Ă ses (nombreux) dĂ©tracteurs sur les rĂ©seaux sociaux. La mauvaise publicitĂ©, câest de la publicitĂ© et tant que son nom circule, il est content. Jâai de la peine pour lui, quelque part : incapable de jouer le jeu de lâartistique, il Ă©volue en mode fake it until you make it. Dans les loges, il fanfaronne pour masquer son incompĂ©tence crasse.
Le melon est bien mĂ»r, mais a-t-il le choix de faire autrement ? Il faut masquer la supercherie, et rien de tel que ce numĂ©ro dâarrogance pour y parvenir. Tout ceci est dans son intĂ©rĂȘt, surtout pour un plan de carriĂšre lâamenant au cinĂ©ma. Jouer dans des comĂ©dies subventionnĂ©es foireuses, câest plus facile que dâĂȘtre un artiste accompli sur scĂšne. Lâavenir nous dira si, dĂ©s pipĂ©s ou non, Sofiane se fera un nom dans le bon sens du termeâŠ
Bonus track : une analyse de Comedy Class autour du genre dans le podcast Mansplaining de Slate
Ă propos de lâillustration
Pour faire Ă©cho aux fameux mots dâĂric et Ramzy nĂ©s dans les annĂ©es 90, voici comment on aurait pu prononcer lâintitulĂ© du « talent show » de PrimeâŠ