Quand les pires recettes du star system gangrènent Comedy Class

Juliette Follin 15/05/2024

Éric et Ramzy, héros du télécrochet Comedy Class sur Prime Video, semblent prendre leur revanche sur leurs débuts calamiteux. Talentueux au possible, ils recevaient pourtant un snobisme comme fin de non-recevoir à leur arrivée dans l’humour. Côté public, autre son de cloche avec des salles pleines. Les intéressés eux-mêmes comparent leur succès d’antan à celui des boys band, rendant difficile la captation de leur deuxième spectacle devant des foules en furie.

Puriste ou revanchard : au questionnaire « Quel juré de Comedy Class êtes-vous ? », Éric et Ramzy ont choisi leur camp

Pour animer un télécrochet (comme c’est sur Prime, on parle de talent show, mais passons), ils avaient deux solutions :

  • la puriste, soit chercher la pépite que l’industrie met de côté car pas assez de followers ;
  • la revancharde, soit montrer que les dés sont pipés en reproduisant le mécanisme.

Si seulement c’était la première option. Malheureusement, comme certains artistes le relevaient, le vainqueur de Comedy Class a un point commun avec Ramzy. Les deux font appel à la même agence d’artistes. L’une des plus renommées, dixit un scénariste et acteur en herbe. On ne peut pas décemment penser que Ramzy a favorisé cette personne pour que l’agence tourne mieux. Que les 50000 balles promises au vainqueur restent dans le même écosystème. Ça serait trop gros. À moins que d’autres parties prenantes y aient un intérêt ?

Pourtant, quand on voit la piètre qualité du gagnant « coup de cœur »… Quand on sait aussi que des programmateurs, artistes, podcasteurs et autres observateurs confirment à l’unisson que cette personne n’a rien de drôle… On se dit qu’on est passé à côté du Soch. Après, bien joué à eux de montrer toute l’absurdité d’une industrie dans ses pires travers. De manière presque assumée, tant ils rappellent dans toute la presse que les sélectionnés pourraient être nuls et les recalés bons in fine. Une manière de se dédouaner de toute responsabilité ?

Si même les chroniqueurs de Mouv’, pas réputés pour leur connaissance encyclopédique de l’humour, le déplorent, c’est grave…

Un programme fade incapable de dépeindre l’humour émergent

Comedy Class avait tout pour offrir à l’humour émergent la meilleure tribune. Le pognon de dingue claqué en affichage aurait dû bénéficier à tous les artistes. Parce que pour ce programme comme pour d’autres de ce style, la rémunération des participants est partielle, voire inexistante. Chez Prime, on rémunérait à partir d’un certain stade dans l’aventure. Bien entendu, tous les artistes cédaient les droits de leur art…

En plus, ils subissaient des montages foireux (apparaissant parfois quelques secondes) et des jugements incohérents. S’il n’y avait que cela… Citons, pêle-mêle, les repêchages au doigt mouillé, les relents de censure et l’impossibilité de juger les artistes sur un pied d’égalité… vous en aurez pour votre indignation !

Quelques talents en or parmi les brebis galeuses du rire et le vainqueur au melon déjà mûr

Des talents, dans ce programme, il y en avait. Or compte-tenu de l’univers d’Éric et Ramzy et de celui d’Eliott Doyle, ce dernier aurait dû décrocher la timbale. Justement, j’ai vu Eliott et le gagnant le même jour au Jamel Comedy Club. Eliott : excellent, comme à son habitude. Plus fort : le seul à retourner la salle.

Le gagnant de Comedy Class, quant à lui, est un D’jal low-cost. Un stand-upper qui essaierait de se saper comme Nordine Ganso, mais en rose. Pour rappel, j’ai vu ses blagues racistes sur le Portugal en vidéo et sa répétition du JCC au Comedy Club. Avant de voir son passage inaudible des auditions et sa suffisance à peine masquée. Que dire de la fin de l’ultime épisode : des blagues Carambar moins bonnes que l’original jouées comme des one-liners avec un Éric Judor hilare qui semble vendre son âme à Amazon.

On n’avait pas besoin d’un D’jal des temps modernes ascendant blagues Carambar, si jamais.

La scène, pour ce pseudo-artiste, ressemble à un tremplin pour le cinéma. Je me permets de questionner son statut d’artiste parce qu’Éric et Ramzy en ont fait de même pour des types qui ont des spectacles reconnus par la critique, adoubés en festival, en comedy club et au théâtre. Ce gagnant semble en tout cas passer plus de temps à choisir ses tenues qu’à bosser ses textes — ou alors il s’y prend très, très mal.

Notons que dans les coulisses, Éric et Ramzy savaient aussi faire preuve d’humanité en consolant certains artistes qu’ils aimaient mais qu’ils n’ont pas pu mener à la victoire. Preuve que même les acteurs eux-mêmes de cette mascarade se muaient en pions ? Tout semblait pipé d’avance et le montage nous faisait comprendre qui allait sauter, qui allait rester, etc. Le visionnage n’offre ainsi aucun plaisir…

Dénicheurs de talents vs. dénicheurs de business : les traders du rire en panique avant l’éclatement de la bulle stand-up ?

Si je suis aussi critique (et loin d’être la seule), c’est parce que la nouvelle génération, je la connais. Elle est accessible partout, tous les soirs en comedy club ou au théâtre. Mais les dénicheurs de talent sont devenus des dénicheurs de business.

Il est quand même cocasse que tous ces gens qui prônent des valeurs de gauche pour tout et pour rien soient aussi focalisés sur le buzz et l’argent du buzz. C’est le cul de la crémière — pardon, le divertissement de la ménagère — qui en pâtit.

Derrière cette approche visiblement cynique se cache surtout une bulle 100% stand-up où chacun veut placer son poulain dans l’espoir de tripler sa mise avant que tout s’effondre. Cet opportunisme de temps de crise est dommageable à l’heure où on n’a jamais pu aussi facilement découvrir des talents de tous horizons.

Au-delà de Comedy Class, quand les nouveaux entrants trouvent leur planque et imitent l’ancien monde

Avec les plateformes alternatives comme Twitch, Prime Video, francetv slash, etc., on aurait pu croire à une autre destinée. Mais les acteurs qui les peuplent, comme Domingo avec Popcorn, débarquent avec du frais avant de concocter du vieux. Le talk-show super cool est devenu, comme à la télé, un espace de promotion sans âme. En prime, en ces temps teintés de #metoo, on se demande si ceux qu’on voit de manière frénétique font le plein de pognon avant de tomber.

Après tout, avant de voir son affaire étalée au grand jour dans Mediapart, Djimo s’est offert un Olympia. Pas de rapport direct avec Comedy Class, mis à part la dangereuse mue entre journalisme et communication. Certains irréductibles acteurs résistent encore à l’envahisseur algorithmique, mais si peu. Même dans la nouvelle vague de journalistes (coucou Oumar Diawara qui amène Djimo à parler de son cœur brisé en novembre 2023 à Montreux), on constate ce phénomène de travail bien fait avant de croupir dans une planque, prendre un melon de dingue et oublier ses idéaux.

Plus dure sera la chute. À voir si Sofiane Soch saura, comme d’autres anonymes propulsés en tête des charts, se réinventer pour devenir légitime. Pour l’heure, aucune preuve n’est sur la table. Alors débranchez des plateformes et allez voir des spectacles pour vous offrir le meilleur programme. Traduisez : celui qui vous correspond, que vous aurez choisi avec votre esprit critique et pas à la suite d’une vidéo à la con visionnée pendant la grosse commission.

La découverte des auditions de Comedy Class : y a-t-il quelque chose à sauver dans ce programme controversé ?

Je m’attendais à être en colère après avoir collecté tant de témoignages amers d’artistes et de journalistes. Mais finalement, je me retrouvais amorphe devant tant d’incohérences. Le programme n’a aucun sens, ne sert à personne et vient crucifier le stand-up. On ressort lessivé du visionnage des auditions : la machine à lobotomiser ne fait même pas rire, même pour les meilleurs artistes sur place.

Le programme n’aurait pas dû bénéficier d’un tel coup de projecteur. Même des gens qui sont plutôt bons en comedy club, comme Camille Lorente, ont l’air vraiment bof. La raison ? Sûrement que certains sujets devaient être évités pour espérer se qualifier. Le sexe n’a pas sa place (sauf si on l’amène avec des relents homophobes). Les femmes qui osent s’aventurer sur ce sujet, ou dans l’absurde, ne passent même pas le premier tour. Comment expliquer les éliminations d’Aude Alisque ou de Cab Cab ? Et que dire de Hadir, excisée au montage malgré son grand talent ?

Mais oui, comment est-ce possible ? Comme par hasard…

Rien ne va dans la hiérarchie, dans la sélection où des parisiens se retrouvent en compétition dans les autres villes. Les scènes nantaises et bruxelloises sont bien plus vastes que cet aperçu semi-importé de la capitale. Pire : ceux qui sont bons sur ces scènes disparaissent sans aucune cohérence. En résumé, on ne peut rien tirer de ce programme complètement raté, hormis peut-être la découverte d’Eliott Doyle.

Tous les participants évoluaient-ils sur un pied d’égalité ? La production recherchait-elle la nouvelle pépite de l’humour ou le bad buzz au détriment de la nouvelle génération ?

Victoire méritée ou non, je lis les réponses que Sofiane Soch fournit à ses (nombreux) détracteurs sur les réseaux sociaux. La mauvaise publicité, c’est de la publicité et tant que son nom circule, il est content. J’ai de la peine pour lui, quelque part : incapable de jouer le jeu de l’artistique, il évolue en mode fake it until you make it. Dans les loges, il fanfaronne pour masquer son incompétence crasse.

Le melon est bien mûr, mais a-t-il le choix de faire autrement ? Il faut masquer la supercherie, et rien de tel que ce numéro d’arrogance pour y parvenir. Tout ceci est dans son intérêt, surtout pour un plan de carrière l’amenant au cinéma. Jouer dans des comédies subventionnées foireuses, c’est plus facile que d’être un artiste accompli sur scène. L’avenir nous dira si, dés pipés ou non, Sofiane se fera un nom dans le bon sens du terme…

Bonus track : une analyse de Comedy Class autour du genre dans le podcast Mansplaining de Slate

À propos de l’illustration

Pour faire écho aux fameux mots d’Éric et Ramzy nés dans les années 90, voici comment on aurait pu prononcer l’intitulé du « talent show » de Prime…

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