Interview Au Balcon : « Les pièces qui font le plus parler ne sont pas toujours les meilleures ! »
J’ai découvert le site Au Balcon par hasard, en mars dernier. J’ai trouvé qu’ils abattaient un travail incroyable pour apporter une information de qualité et indépendante sur le théâtre, l’humour et même les expositions.
Le concept : proposer des critiques indépendantes, non biaisées ou basées sur le pathos artistique qu’on peut voir sur Billetréduc. Ils y parviennent car ils sont totalement séparés de toute vente de billetterie… Ils ont même été assez intelligents pour fédérer une communauté de critiques culturelles de qualité. Derrière ce concept éditorial, on retrouve deux passionnés de théâtre et de culture : Pierre (théâtre) et Floriane (expositions).
Ni une ni deux, j’ai voulu rencontrer la ou les personnes derrière ce site pour… tout savoir, en somme ! Voici l’interview qui en a résulté, avec le cofondateur et expert théâtre, Pierre.
L’interview
Un site culturel, c’est avant tout une passion
Comment est venue l’idée d’Au Balcon ? Peut-on rappeler le concept ?
Avec mon ami d’enfance Grégoire, on a créé Au Balcon à partir d’un constat : on ne trouvait aucun site de critiques de théâtre qui nous correspondait. On allait souvent au théâtre, et on estimait que le bouche à oreille était insuffisant. Une fois qu’on avait vu deux-trois pièces que tout le monde avait vu, on ne trouvait plus d’idée.
Il y a quatre ans, on trouvait que les sites de critiques de théâtre de l’époque ne mettaient pas assez en valeur cet art. On les trouvait par exemple assez vieillots… Aujourd’hui, ça s’est un peu amélioré même s’il reste des progrès à faire. On s’est donc décidé à lancer notre propre site, en se disant même que si on pouvait en vivre, tant mieux ! On n’avait pas vraiment de business plan, on voulait simplement essayer d’aller le plus loin possible.
Au final, on s’est rendu compte qu’il serait difficile d’en vivre. En revanche, ça nous passionnait de plus en plus. On allait voir de plus en plus de spectacles, on ajoutait de plus en plus de critiques… Autour du site, on a réussi à former une véritable communauté de spectateurs. On a ainsi essayé de développer la partie « réseau social ».
Y a-t-il de la place pour un média alternatif et vraiment informatif, éloigné des copinages, sur le théâtre, sans qu’on soit obligé de gagner sa vie à côté ?
Le seul moyen d’en vivre, c’est d’avoir une section « billetterie » à côté de la partie éditoriale. Or, cela paraît difficile d’avoir une telle section et de conserver sa neutralité ! En effet, si tu veux vendre tes spectacles, il faut en dire du bien. Ça irait à l’encontre de notre objectif : promouvoir les spectacles qu’on aime bien, ceux qui méritent plus de ressortir.
La neutralité des critiques : la recette du succès
Comment réussir à garder un œil objectif et neuf après avoir vu de nombreuses pièces, expos ?
Même si le site a quatre ans, on n’a pas vraiment de goûts pointus. On n’est pas des adeptes, par exemple, du théâtre public comme par exemple le Théâtre de l’Odéon, qui est super intello… On essaie en permanence de conserver nos goûts initiaux, de conseiller des pièces accessibles. Les personnes qui écrivent des critiques sur le site Au Balcon aiment se renseigner sur les pièces, mais ils ne sont pas des passionnés au point d’aller au théâtre plusieurs fois par semaine. Ils représentent entre 1 et 5% de l’ensemble des visiteurs du site. C’est très peu…
Je trouvais ce chiffre plutôt bon, de prime abord…
Tant mieux ! En tout cas, ils ne sont pas représentatifs de l’ensemble des lecteurs et l’objectif, c’est bien sûr de fédérer le plus possible pour motiver le reste des visiteurs à s’exprimer. En effet, les personnes qui écrivent des critiques partagent les mêmes goûts que nous. On se rend compte que la communauté de critiques a une vision et des goûts similaires.
Pour autant, les critiques sont très différentes de celles qu’on voit ailleurs : comment atteindre cette neutralité ?
On effectue un travail de modération des critiques pour détecter les fausses critiques et les supprimer. Cela filtre les critiques de l’entourage, des comédiens eux-mêmes, des metteurs en scène, etc. On les refuse comme on les trouve suspectes ! C’est souvent assez visible, mais je ne dis pas qu’on arrive à tout filtrer non plus… On fait notre maximum pour éviter ce phénomène. C’est notre véritable différence avec un site de billetterie qui inclut un module de critiques et qui laisse tout passer.
C’est ce qui évite le « syndrome de la tête d’affiche ». De nombreux spectacles jeunes sont le fruit d’un travail beaucoup plus créatif et parfois même plus abouti qu’un confirmé…
Effectivement, les pièces qui font le plus parler d’elles ne sont pas toujours les meilleures ! Celles qui bénéficient d’une promotion à la télévision ou dans les journaux incluent souvent des personnalités appréciées et connues par le grand public…
Stéphane Plaza ?
Par exemple… En tout cas, ces pièces ne sont pas forcément les mieux écrites ! Bien sûr, il arrive que certaines soient bonnes. Par exemple, je pense à Baby d’Isabelle Carré. On n’hésite pas à faire la promotion de pièces avec des acteurs connus si elles sont bien, même si c’est malheureusement souvent l’exception… On n’hésite pas à en dire du mal quand la qualité n’est pas au rendez-vous, puisque les gens ont tendance à s’orienter vers elles par facilité de voir un acteur qu’on aime bien. Or, souvent, il est bénéfique de creuser davantage pour trouver des pépites théâtrales !
Conquérir de nouveaux publics
Comment faire pour faire venir les jeunes au théâtre ? Les initiatives comme Otheatro sont-elles bénéfiques ?
Otheatro a des partenariats avec des salles qui ont parfois du mal à remplir. C’est une bonne chose ; en revanche, ce déficit de remplissage n’a rien à voir avec la qualité. Quand une pièce de bonne qualité a du mal à remplir, c’est triste, mais d’autres ne sont simplement pas à la hauteur. Je ne sais pas si c’est la meilleure solution.
Pour revenir aux jeunes, je pense que ce qui leur donnerait envie, c’est d’aimer les premières pièces qu’ils vont voir. Il faut qu’ils se fassent bien conseiller. C’est comme quand on commence à lire : si l’on commence par du Nietzsche, je ne suis pas sûr qu’on adore la lecture ! Alors que si l’on s’y prend petit à petit, en commençant par les Martine à la plage, enfant… puis enchaîner sur des ouvrages plus intelligents ! C’est pareil pour le théâtre : partir des pièces accessibles pour aller voir du plus recherché.
Promouvoir la qualité
En parlant de conseil, on entend souvent des managers d’artiste s’extasier sur des humoristes en les qualifiant de « formidables », sans prendre le temps d’expliquer pourquoi. Ils ne s’attardent pas sur les détails, considérant qu’après pas mal de temps, tout le monde est au courant ! Alors qu’en réalité, ce n’est pas toujours le cas.
Je vois ce que tu veux dire… Je vais prendre l’exemple de Max Bird. Cet humoriste ne surfe pas sur les clichés : il explore des thèmes qui changent de ce qu’on entend habituellement. Il va parler des dinosaures, de science, etc.
C’est le Jamy de l’humour !
Oui, vraiment ! Je trouve qu’on manque d’humoristes qui osent s’aventurer sur des thèmes originaux. Après, si l’on prend l’exemple de Gaspard Proust, ses thèmes ne sont pas originaux. Son originalité passe par sa façon d’être, sa manière d’amener les blagues…
Nonchalant…
C’est pour ce genre de choses qu’il fonctionne bien, cette façon de jouer avec les mots.
Sa force s’entend dans les réactions du public ! Quand on est dans la salle, on entend de nombreux « oh !!! » et autres mines choquées. Quand, de ton côté, tu n’es pas choqué et que tu ris sans complexe, ça crée un rire en deux temps assez intéressants à la fois pour les gens un peu effarouchés et les autres…
La presse et la promotion : comment faire pour que ça s’améliore ?
On enchaîne : que penses-tu de la manière unanime dont la presse adopte ce qu’elle appelle ses « découvertes » (alors qu’ils relaient les nouveaux poulains des productions) ?
Les premiers lecteurs de la presse, c’est la presse elle-même. Pour un artiste, c’est donc difficile de bénéficier des premiers articles écrits. Une fois cette étape passée, ça va intéresser d’autres journalistes qui en entendent donc parler via les premiers articles. C’est ce phénomène qui crée l’emballement médiatique.
Pour cette raison, on n’entendra jamais parler de nombreux artistes car les journalistes sont rarement des dénicheurs de talents passionnés par le théâtre. Ils sont plus suiveurs : soit le théâtre n’était pas leur vocation d’origine… au gré des réorganisations et comme les rédactions se réduisent, des changements s’opèrent. Au Monde, la personne qui s’occupe de l’humour évoluait dans un domaine tout autre auparavant. Même son de cloche aux Echos, au Parisien (pour l’ancien journaliste, je ne sais pas pour l’actuel car il a été remis sur un autre secteur !). J’ignore si c’est un placard ou une belle promotion pour eux, je ne sais pas comment ils le perçoivent.
C’est un peu un milieu d’entre-soi ?
En somme, ils vont préférer aller voir les auteurs et humoristes qui leur sont familiers. Après, l’offre est si pléthorique qu’il est difficile de décider qui aller voir. Parfois, on prend des risques et on n’est pas récompensé.
C’est compliqué d’être exhaustif…
On en souffre aussi Au Balcon ! Parfois, on prend des risques dans des petites salles : il n’y a pas que les journalistes qui ont tort, nous aussi parfois… On commence à avoir nos goûts, nos salles préférées.
Se repérer dans les milliers de spectacles disponibles
Et puis quand on rentre dans certains théâtres, on sent que le niveau est inférieur à d’autres salles !
Certains théâtres opèrent une réelle sélection des pièces qu’ils proposent. Pour d’autres, on a l’impression que tout le monde peut jouer s’il est prêt à payer pour le faire. Les modèles économiques diffèrent en fonction des salles. Les salles où les artistes payent pour jouer peuvent contenir quelques pépites mais aussi des artistes qui passent à travers les mailles de la sélection !
Comment Au Balcon référence-t-il les pièces ? J’ai vu des spectacles peu connus et même des scènes ouvertes…
Nous référençons nous-mêmes les pièces que l’on a envie d’aller voir. Les spectateurs peuvent aussi soumettre les pièces à notre répertoire. Chaque jour, je dois ajouter 5 ou 6 pièces soumises par des spectateurs et d’autres que j’ajoute de mon côté. Souvent, on n’a pas souvent l’occasion de voir les pièces ajoutées par les spectateurs. Je pense notamment aux pièces qui se jouent en banlieue ou dans des petits théâtres où l’on n’a pas l’habitude de se déplacer. En cela, les spectateurs enrichissent vraiment le site et cela diversifie notre catalogue !
S’il est difficile de référencer l’ensemble des pièces (la programmation des théâtres change régulièrement), on précise par exemple lorsqu’une pièce part en tournée. On redirige les spectateurs vers la Fnac pour la billetterie car ils sont beaucoup plus à jour.
Chasseurs de bonnes affaires : Au Balcon scrute les bons plans !
Comparatif des sites de réservation, partage des bons plans : comment identifier les frustrations usuelles (temps d’attente long, placements hasardeux, réductions appliquées quelques semaines après le début des ventes) ?
Le temps d’attente est un vrai défaut, tu as dû le subir comme tu vois de nombreux humoristes dans des petites salles… Pour le théâtre contemporain, cela arrive beaucoup moins d’attendre dehors – parfois dans le froid… ça commence souvent en retard, en plus !
Effectivement, parfois une heure d’attente pour le début d’un plateau, franchement les gars… 😊 Heureusement dans des salles comme le Paname où c’est à la chaîne, ils ne peuvent pas se le permettre. Le hic, c’est que si ça commence un peu en retard, les artistes vont jouer un peu moins longtemps. Mais ça s’améliore !
Pour revenir au comparatif, on partait avec des a priori : Billetréduc nous semblait toujours le moins cher. Or, en effectuant un comparatif chaque année ou tous les deux ans, on a vu que les différences entre les sites de réservation se réduisent. Il faut être aux aguets des promotions ponctuelles, parfois proposées sur le site du théâtre et qui vont être bien plus avantageuses que sur Billetréduc, TickeTac et consorts. On conseille aux spectateurs de passer directement par le site du théâtre dans ces cas-là, pour que l’argent leur parvienne directement.
Il ne faut pas oublier les commissions sur les sites de billetterie !
Exact ! Autant encourager le théâtre directement quand on en a l’occasion. Les sites de réservation sont davantage des plateformes, avec peu de valeur ajoutée au-delà de leur aspect « gros catalogue ». Il leur manque l’aspect recommandation ou éditorial. Les avis sont à prendre avec des pincettes.
Sur Au Balcon, j’ai lu une phrase qui m’a interpellée. « Nous avons aujourd’hui l’impression que pour convaincre nos amis de nous accompagner au théâtre, il faut leur offrir leur place, accompagnée d’un bouquet de fleurs et d’une boite de chocolat. » J’ai souvent l’occasion d’inviter gratuitement les gens, et ils ne sont pas motivés. Comment interprétez-vous ce phénomène des gens qui achètent des rillettes 15€ dans un bar lounge et fuient le théâtre ?
Les gens ont simplement peur de s’ennuyer au théâtre. Ils hésitent 2 fois avant d’y aller ! Ils attendent d’avoir entendu parler d’une pièce par plusieurs personnes et/ou médias avant de sauter le pas. Il faut vraiment les convaincre. Une exception à laquelle je pense : quand il s’agit d’une institution, comme la Comédie Française par exemple. Alors qu’un petit théâtre qu’ils ne connaissent pas…
Dernière question liée à l’actualité : le mois dernier, France 2 a consacré son émission Envoyé Spécial au plagiat dans l’humour. En as-tu entendu parler ?
Ah, CopyComic !
D’ailleurs, je jure que ce n’est pas moi…
Je n’ai pas vu le reportage, mais la question du plagiat ne m’a pas spécialement étonnée. Personnellement, je ne suis pas spécialement fan des humoristes américains. Je trouve leur humour parfois un peu pipi-caca, pas toujours très fin. Pour cette raison, ils feraient mieux de ne pas les plagier ! Ceux qui ont plagié ont peut-être profité que ce n’était pas vraiment surveillé, je ne suis pas sûr qu’il y aura des conséquences.
Le reportage expliquait que c’était peu probable, car les attaquer en justice leur coûterait cher en frais d’avocats avec peu de garanties de retoucher leur mise…
Je reviens à ce que je disais tout à l’heure : il y a un gros manque d’originalité dans l’humour, autour des thèmes et des blagues…
Pour avoir une vision précise de ce qui se fait… il m’arrive dans de très rares cas de voir des gens piquer les vannes des autres humoristes qui traînent sur les mêmes plateaux d’humour. Le phénomène est marginal, mais il existe.
Il y a plusieurs « écoles » de l’humour : le Jamel Comedy Club, On n’demande qu’à en rire il y a quelques années, France Inter, Canal+…
Elles formatent, c’est ça ?
Complètement ! Au Jamel Comedy Club, il y a de nombreux humoristes qui construisent leur spectacle en parlant du thème du racisme ou des différences entre les communautés. France Inter, c’est très politisé. On n’demande qu’à en rire, c’est très familial.
Même les humoristes se plaignaient qu’ils avaient trop de contraintes sur ce format télévisuel. Shirley Souagnon nous l’a confié en interview, et je pense aussi à Monsieur Fraize qui s’est fait virer au bout de 10 passages… alors que son talent n’est plus à prouver ! Ils lui ont dit : « Tu te fous de notre gueule ! » ou quelque chose du genre…
Ce n’est pas étonnant… (rires) Il sort tellement du lot. Ça a fait sortir Garnier et Sentou, Arnaud Tsamère…
Ah oui, c’est vrai ! Et on observe que ces écoles d’humoristes perdent en influence : ONDAR n’existe plus, le Jamel Comedy Club, on n’en entend plus parler…
Et France Inter conserve son noyau dur d’auditeurs sans parler forcément au grand public. Il n’y a plus de pépinières aussi fortes qu’auparavant. C’est plus difficile pour les humoristes qui arrivent aujourd’hui de percer. Ces tremplins dotés d’une énorme portée médiatique n’existent plus vraiment.
Ils le font par eux-mêmes…
C’est encore plus dur ! Il n’y a pas que le talent qui joue…
Adrien Arnoux me disait qu’il faut avoir l’envie, tenir sur la durée… Certains humoristes comme Seb Mellia disent que leur objectif est surtout de gagner leur vie comme tout un chacun et défendre le spectacle qu’ils aiment, sans avoir comme objectif ultime de percer. Ils sont heureux dans cette configuration.
Débriefing
On remercie beaucoup Au Balcon d’avoir partagé sa vision de la culture et du théâtre avec nous. Même si je pense que l’humour actuel est plus original que décrit dans l’interview, je comprends l’opinion de Pierre. On parle beaucoup d’humour communautaire pour décrire le Jamel Comedy Club, mais en y regardant de plus près, on trouve quelques nuances.
C’est aux plateaux et aux salles de trouver de nouvelles formes d’humour, car on n’en a pas fini d’innover en spectacle vivant ! Au Balcon et Le spot du rire voient les talents émerger, ce n’est plus qu’une question de temps pour que le public puisse en faire autant.