Spot on – Félix Radu ou la littérature pour tous

Juliette Follin 07/04/2018

Pour des humoristes comme Félix Radu, rire des mots, ça peut être pour tous. On peut avoir l’impression qu’il s’est retrouvé propulsé dans la mauvaise époque, qu’il est en décalage. Mais au final, jouer avec les mots et ajouter de la poésie à son personnage de scène, c’est une vraie tendance qui se confirme.

Le Rimbaud de l’humour

J’ai quitté Félix Radu lors du festival Les Fous Rires de Bordeaux, juste après sa qualification pour la finale. Opposé à François Guédon le lendemain, il n’a pas géré la finale comme il le voulait et il est reparti avec des regrets. Mais là-bas, la littérature avait, semble-t-il, gagné une bataille. Les deux humoristes qualifiés pour la finale l’intégraient à leur univers humoristique.

On compare souvent Félix Radu à Raymond Devos. Le jeune humoriste belge travaille d’arrache-pied avec son équipe de communication pour casser cette image. Personnellement, comme je n’ai pas cette expertise Devos en tête, j’échappe un peu à la comparaison. Pour moi, Félix me fait plus penser à Rimbaud. Vous me direz que je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai suivi des cours sur lui à la fac et j’ai lu deux-trois recueils.

J’ai dû lire ça aux alentours de 20-22 ans. C’est un âge très rigolo de la vie, où l’on croit tout savoir et où l’on se radicalise dans ses opinions. On est épris d’une force assez sidérale qui nous fait croire dur comme fer à nos convictions. On se politise, parfois. Et on prend beaucoup, beaucoup les choses à cœur. Parfois même, dans nos heures les plus sombres, on a l’impression de savoir tout sur tout. Et on en parle avec passion.

Convictions

Félix m’amuse souvent. Parfois, ses convictions me font sourire. Comme quand il dénigre le stand-up par ses stéréotypes. Il est vrai que le stand-up je ne sais pas si vous avez remarqué, mais… qui parle de cul et d’altercations en voiture en banlieue n’est pas très recherché. Mais Félix, désolée de te décevoir, tu fais du stand-up. Tu ne veux pas l’affirmer parce que tu veux créer une rupture et te différencier. Certes, tu as bien compris qu’il faut se distinguer pour percer, mais il n’empêche que cette forme de stand-up, tu l’incarnes plutôt bien. Même si tu ne colles pas à la définition stricto sensu du stand-up avec le micro et l’absence de décor (j’ajoute cette phrase parce que je sais que tu n’es pas d’accord et que ça t’agace, mais ça me fait encore plus rire. Encore une fois, ce n’est que mon opinion ;-)).

L’humour pour tous ?

Après, je te comprends. On m’a recommandé une émission sur France Inter cette semaine : Génération Jamel Debbouze, l’humour pour tous. Je vous laisse écouter ci-dessous si ça vous tente.

Génial : on a l’impression qu’on va parler de l’émergence du stand-up en France, cette forme de parole libre avec toutes ses subtilités et ses comedy clubs. La porte se referme, c’est un cauchemar. L’animateur, qui passe plus de temps à ajouter des effets insupportables dans sa voix pour exciter de la MILF, se gargarise sur le fait que Jamel est maghrébin. Ce fantasme de l’ériger en porte-parole d’une ethnie ou je ne sais quoi. Et ça radote, et ça radote… au final, cette analyse sociologique des médias m’a tellement ennuyée que je ne suis pas allée au bout.

Pourquoi un tel agacement ? Je ne suis pas friande de France Inter : je trouve cette radio clivante. Ils en font des caisses, et je trouve que ça exclut des gens. Dont je fais partie, j’assume. Le côté entre-soi culturel parisien, où l’on fait semblant de comprendre la populace… Et en fait, quand on se fait violence pour écouter, on se rend compte que le contenu informatif tombe à côté, est utile toujours aux mêmes. La connivence avec l’auditoire habituel est là, ça, c’est sûr… mais on passe à côté d’une élévation de tout le monde. Ce que le stand-up de Félix Radu et de beaucoup d’autres arrive à faire.

Le stand-up comme élévateur d’âmes

Dans la communication de Félix Radu, il y a justement un appel à ouvrir la culture, la littérature ou encore l’humour à tous. Voici un extrait de Vers l’Avenir, où la plume d’Elise Lenaerts a sublimé les propos de l’humoriste namurois.

Les grands classiques à la portée de tous

Les mots s’improsent ! n’est donc pas destiné aux personnes d’un certain âge qui lisent du Shakespeare, un verre de whisky à la main. À travers son spectacle, Félix Radu veut vulgariser la littérature, pour que tout le monde puisse se la réapproprier. « On peut penser que mon public est composé de personnes âgées. Alors qu’en fait pas du tout, c’est un a priori de directeur de salle qui pense que les jeux de mots et la littérature ne font rire que les gens cultivés, les Parisiens. Je crois qu’on a appris aux gens à se dévaloriser. Les intellectuels, les politiques font comme si le peuple n’était plus capable de diriger le pays, en disant :

« Ne vous inquiétez pas, on va gérer pour vous ».

Les gens se disent que la culture n’est pas pour eux, que le théâtre après une journée à travailler en tablier d’électricien ne leur est pas destiné, qu’ils n’ont pas le profil. » Pour lui, « le théâtre est devenu un truc un peu incestueux où on ne fait plus des pièces que pour des gens de théâtre, des personnes qui rêvent déjà. »

Je crois qu’après ça, on peut mourir tranquille, non ? Evidemment, le plus tard possible, ça va de soi. Et ça aussi, c’est une citation historique dont Louis Dubourg fait bon usage. Merci aux humoristes de bousculer un peu les gens qui traînent dans la culture par idéologie ou snobisme plutôt que par passion.

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© Henry Magerès

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