Confirmations du rire : Clément Kersual

Juliette Follin 16/10/2023

Lorsque Clément Kersual se produit en spectacle, il se présente comme un « humoriste engagé ». Or dès ces mots prononcés, il tient à s’en excuser. Comme pour se distinguer de ceux qui le clamaient déjà avant lui… Vous allez voir que ce pas de côté n’a rien n’anodin. Mieux : il nourrit la singularité de cette plume détonnante.

La rubrique des confirmations vient suivre l’avancement des artistes nommés découvertes humour. Nous la poursuivons avec l’auteur, chroniqueur et humoriste Clément Kersual.

Clément Kersual : qui s’y frotte s’y pique ?

Les plus anciens soutiens de Clément Kersual l’ont connu à la radio, sur les ondes du sud… Ou alors au Cactus Comedy, la troupe d’humour au rire irrévérencieux. Parmi les déjà installés, Ben H fanfaronnait souvent (vous l’avez peut-être oublié, pas nous !). L’observateur patient pouvait voir de nouvelles espèces de comiques surgir. Alexandra Pizzagali et Clément Kersual sortaient clairement du lot : on devinait qu’ils tiendraient la distance.

Contrairement à d’autres artistes cantonnés à Paris, Clément exerçait son art en festivals. Dans cette ambiance de beuverie permanente, il se faisait un nom jusqu’à pas d’heure. C’était davantage un auteur qui maniait l’humour noir, comme Farah, également dans les parages à ce moment-là.

Passage éclair à la Petite Loge, puis envol dans des salles parisiennes de 100 places

Rapidement, un spectacle se met en place à la Petite Loge. On ne se refait pas : quand c’est qualitatif, ça se passe chez Perrine et Mélissa. Un peu plus de six mois plus tard, c’est le grand saut au Théâtre du Marais. Trop vite, trop tôt : la sauce ne prend pas niveau remplissage.

Après des débuts en fanfare, Clément Kersual atteint ce ventre mou bien connu des artistes méconnus. Il faut à la fois se faire connaître et affirmer son style. Les doux rêveurs comme le spot du rire savent que le talent est là… Mais pour les professionnels, il faut du sang et des larmes avant de daigner regarder. L’histoire prend des airs de Don’t look up version stand-up, et ce n’est plus très drôle.

Exemple typique de la carrière de Clément Kersual : très bon sketch, titre de vidéo ultra-réducteur…

2023, l’année de la confirmation ?

Qu’à cela ne tienne, Clément a pris le train du LOL, et il a bien trop à dire pour lâcher le micro. Il s’accroche, reprend des forces en jouant notamment dans le sud. À Paris, il enchaîne les théâtres d’une centaine de places. L’un d’eux exerce un magnétisme plus prononcé. Le Point Virgule l’accueille pour plusieurs exceptionnelles, puis de l’hebdomadaire les dimanches après-midi.

Dans l’intervalle, le Kersual a pourtant investi le web sous toutes ses formes. Vidéos qualitatives (Interview anonyme…), podcasts, présence sur Twitch… Et aussi collaborations avec Montreux à Cannes puis dans le nouveau format de chroniques plus récemment… Petit à petit, la toile se tisse. Sans coup férir, Clément va se retrouver partout. Encore faut-il comprendre ce qu’il a de si spécial. Voici donc ce que nous avons déduit au fil des spectacles, qu’on a vu dans quatre salles.

Confirmations du rire : et si Clément Kersual avait sa carte à jouer à l’ère de la polarisation ?

Nous sommes dans une ère de polarisation. Les groupements idéologiques prennent de la force. En France, c’est bien pratique tant les lignes éditoriales sont fortes. Pour le comprendre, il suffit d’aller voir les réseaux sociaux d’Alex Vizorek. Son passage de France Inter à RTL a suscité l’effroi de tous les amoureux de la station. D’autres ont découvert l’existence de l’humoriste belge à cette occasion.

Ça, c’est ce qui se passe quand vous êtes trop dans un moule. Même pour des Vizorek qui ont pignon sur rue. En parlant de machine médiatique, il y en a un qui a beaucoup fait parler de lui à la rentrée : Panayotis Pascot. Chacun de ses passages donnait envie de l’éteindre. Pourquoi ? Parce qu’il récitait les mêmes réponses et anecdotes. Tout à coup, on avait même plus envie de lire son bouquin, par peur de tomber sur une œuvre de parisianisme primaire. Et on se prenait à rêver qu’à la place de cette répétition permanente, on ferait place à la nouvelle génération, la vraie.

Dans les mêmes lieux, les nouveaux venus profitaient de nouvelles opportunités. Margot Demeurisse inaugurait ainsi la scène tremplin jeunes de France Inter. Un passage de stand-up avec Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice qui écoutent filmés en gros plan ? La station dit oui, le public hors-champ est peu audible, les blagues tombent à plat. Peut-être faudrait-il trouver un juste milieu et choisir des artistes émergents avec un peu plus de bouteille. Ceux qui ont manqué d’exposition mais point de talent, par exemple ?

Comment Clément Kersual se distingue des artistes-auteurs prometteurs

La transition avec Clément Kersual est là toute trouvée… L’une de ses forces réside peut-être dans son socle familial. Fils d’un militaire et d’une institutrice, il a été le témoin privilégié de deux idéologies qui s’affrontent. D’ailleurs, il en rit de manière délicieuse sur scène. Au gré des affectations, son périple de jeunesse l’amène « en Charente, à Djibouti, en Guyane et dans le Var » (source : Paname Art Café).

L’un des meilleurs épisodes jamais enregistrés par Arezki… Que des talents qui méritent France Inter !

J’y vois là un parallèle avec Gaspard Proust, entre Suisse, Slovénie, Algérie et Paris sous RMI. Clément Kersual est moins clivant que Proust, mais il a la même énergie comique. Des postes d’observation multiples, un socle de valeurs pluriel… Résultat : il fait autant marrer les LGBTQIA+ que les gangs de chasseurs (communauté choisie au hasard). Pour cela, il use de sa finesse d’écriture et de sa capacité à tourner les choses en dérision… C’est un puriste de la blague à la curiosité exacerbée — il n’a pas été journaliste pour rien ! Tous les voyants sont au vert, et le monde commence à s’en apercevoir.

Le spot du rire a généralement quelques années d’avance sur les tendances lorsqu’elles se concrétisent. Le moment est bien choisi : le public va saturer des humoristes pseudo-engagés qui récitent des pamphlets militants sans réflexion véritable. Un scénario désirable sera alors de voir Clément surgir tel Pierre Thevenoux à son époque. À force d’abnégation, en trouvant le bon format et en continuant sa route… Clément Kersual sera clairement l’une des confirmations du rire. Charge aux programmateurs de bien bosser en 2023-2024, alors que Clément se révèle plus visible et affûté que jamais.

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