Soixante 2 : Kyan Khojandi défie les lois du temps comique
Dans Soixante 2, Kyan Khojandi propose de nouveau le concept dâun humoriste sur scĂšne pendant une minute Ă lâEuropĂ©en. Bis repetita pour ce concept empruntĂ© Ă la scĂšne quĂ©bĂ©coise ? Pas vraiment : malgrĂ© des contraintes de temps, la formule parvient Ă Ă©voluer et innover, voire surprendre !
Soixante 2 : Kyan Khojandi, le chef dâorchestre rassembleur de la comĂ©die
Comme lors de la premiĂšre Ă©dition, lâĂ©vĂ©nement rassemble une partie de la scĂšne humoristique et culturelle francophone. Jâai retrouvĂ© la mĂȘme frĂ©nĂ©sie qui vous transforme en supporter plutĂŽt que spectateur. Impossible de rester indiffĂ©rent face Ă un artiste invitĂ© par Kyan Kohojandi dans Soixante 2. Voici quelques cas de figure :
- Vous nâaimez pas ce quâil fait et devez composer avec lâattente, la patience voire la frustration.
- Ou alors vous avez un a priori. Le passage vous fait alors changer dâavis, ce qui crĂ©e un lien indestructible avec lâartiste.
- Dans le meilleur des mondes, vous adorez cette personne. Ainsi, câest comme retrouver un pote de longue date ou crier woo! (Je ne me lasse pas des rĂ©fĂ©rences de la sĂ©rie How I Met Your Mother.)
Le mot-clĂ© pour chaque cas de figure ? « Vous ». Soixante 2 et la bande de Kyan Khojandi vous montrent plus que nâimporte quel autre spectacle ce que vous aimez. Lâenjeu, câest de livrer lâinstantanĂ© le plus fidĂšle possible de la communautĂ© humoristique.
Câest presque cela, car on retrouve des artistes validĂ©s, capables de gĂ©rer un Ă©vĂ©nement de la sorte. Les tous dĂ©butants nâont pas leur place⊠De fait il y aura toujours un dĂ©calage entre la scĂšne des habituĂ©s et celle du grand public. Simplement, lâĂ©tau se resserre de plus en plus, et cela offre un peu plus de latitude aux talents. Certains resteront dans lâangle mort pour le moment, mais ils finiront par avoir leur heure de gloire ! Si vous cherchez des noms, jâen ai bien soixante Ă vous proposerâŠ
Le coup de cĆur artistique
Jâai eu une pensĂ©e en regardant Soixante 2 : « Ce nâest pas grave de ne pas aimer tout le monde. Câest juste une frustration dâattendre les bonnes personnes. ». Telle est la mĂ©taphore qui rĂ©sume ma quĂȘte de talents. Cette longue attente, parfois ennuyeuse Ă souhait⊠Mais qui dĂ©bouche sur une dĂ©livrance.
Le moment oĂč le temps sâarrĂȘte et oĂč on dĂ©couvre quelquâun de nouveau. Ce putain de coup de foudre artistique. Reste Ă savoir si, pour un spectateur peu initiĂ©, ce coup de cĆur peut intervenir en une minute⊠Je pense que oui, surtout que certains arrivent Ă changer lâatmosphĂšre. Guy Carlier est remarquable dans sa maniĂšre dâapporter de lâĂ©motion, par exemple. Autre belle rĂ©vĂ©lation : jâai aussi trouvĂ© GĂ©rĂ©my CrĂ©deville hypnotique, et je ne lâai jamais autant aimĂ© que cette minute-lĂ .
Ăgalement, jâai compris plus que jamais la magie des Fanny Ruwet et Paul Mirabel. Autrement dit, leur don naturel pour conquĂ©rir le public en un temps record. Jâai aimĂ© retrouver Jean-Luc Lemoine, que je considĂšre comme un « boss » de lâhumour. Je pense Ă la chance que jâai eu de le voir sur scĂšne. Surtout que je rĂȘve toujours dâun retour dâĂric et Ramzy sur les planches, ensemble. Mon approche de lâhumour dâavant et celle dâaujourdâhui se sont entrechoquĂ©es.
Soixante 2 : les montagnes russes du rire ?
Jâai retrouvĂ© Camille Lavabre, et je me suis dit quâelle mâavait manquĂ© sur scĂšne. Ă lâĂ©poque, cela dit, je nâavais pas passĂ© le meilleur des moments en la voyant Ă la Nouvelle Seine. Elle mâavait pris Ă partie, comme Nick Mukoko au CafĂ© Oscar. Pour autant, jâai toujours aimĂ© son originalitĂ©. Cela nâest clairement pas le cas avec Nick Mukoko que lâon commence Ă voir un peu partout. On en revient Ă ces clivages qui mâaniment, entre efficacitĂ© et originalitĂ©, absurditĂ© et banalitĂ©sâŠ
Oui, ces artistes ne laissent pas indiffĂ©rent. Ils ont tous leur place, quâon le veuille ou non. MĂȘme si un ou deux dâentre eux nous font douter : ils ne nous arrachent pas le moindre frĂ©missement des joues. Dâautres comme Donel Jackâsman se risquent Ă reprendre le mot « dinguerie », quâon entend de plus en plus. Ce nouveau tic de langage, dans la bouche dâun Roman Frayssinet, est incarnĂ©. Mais dans celle de ses collĂšgues admiratifs, sans doute, il risque de perdre tout son sensâŠ
Mettre KO les clichĂ©s en soixante secondes : câest possible !
Je terminerais tout de mĂȘme sur une bonne note. Quand le rappeur Youssoupha a dĂ©gainĂ© les mots « racisme anti-blanc », jâai franchement craint le pire. Allait-on entendre le mĂȘme discours de la mĂȘme caste sur cette cause qui envahit les plateaux et Twitter ? Tout le contraire.
Youssoupha a apportĂ© la preuve indĂ©niable que lâon peut aborder des sujets qui sont rabĂąchĂ©s au lieu dâĂȘtre Ă©tayĂ©s. NĂ©cessaires mais vidĂ©s de leur sens par des militants dĂ©sespĂ©rĂ©s de faire entendre leur cause. Lâaborder avec intelligence, humour, finesse⊠Autrement dit, convaincre tout le monde, mĂȘme ceux qui sâen foutent, a priori. Ceux qui, en somme, prĂ©fĂšrent lâhumour pour le rire et non pas la politique. Ceux qui nâĂ©coutent pas jusquâau jour oĂč on trouve le bon angle dâattaque.
Dans le reste du lot, jâai adorĂ© Charles Nouveau, brillant de la premiĂšre Ă la derniĂšre seconde. Il a fait, comme dâautres dâailleurs, quelque chose qui a rĂ©vĂ©lĂ© son talent, son humour. Une prestation qui a provoquĂ© une belle palette dâĂ©motions positives. Cette minute est Ă lâimage de ce format : peu importe comment vous lâabordez, lâessentiel est de vendre votre singularitĂ©. Et ils ont Ă©tĂ© nombreux Ă y parvenir !
Ceux qui ont Ă©chouĂ© ont simplement montrĂ© ce qui leur manquait. Ăvidemment, il nây avait aucune surprise Ă cela tant la camĂ©ra renvoie une image fidĂšle du chemin Ă parcourir⊠Mais peut-ĂȘtre ne le voient-ils pas, sâestimant dĂ©jĂ assez efficaces car validĂ©s, implantĂ©s dans lâĂ©cosystĂšme ?
La 61e minute : que faire aprÚs avoir regardé Kyan et ses Soixante 2 minutes ?
AprĂšs le spectacle, le spectateur profite dâun vaste making of qui explique la dĂ©marche. Si vous ĂȘtes comme moi et que vous nâavez dĂ©couvert que quelques musiciens, vous aimerez lâaccĂšs Ă ces coulisses. Roselyne Bachelot devrait elle aussi regarder Soixante 2. Histoire de comprendre comment un protocole sanitaire efficace peut faire vivre le spectacle vivant en temps de pandĂ©mie, si jamaisâŠ
Soixante 2 ne peut se terminer comme cela. Câest une vaste ouverture Ă la dĂ©couverte des talents. JâespĂšre quâelle fera naĂźtre de nombreuses conversations. Que ces conversations, Ă court terme, aboutiront Ă la dĂ©couverte dâartistes dans les salles et sur leurs rĂ©seaux sociaux. Ce spectacle fait rayonner le monde de lâhumour et redonne la pĂȘche, lâenvie de faire vivre ce secteur. Non pas parce que câest un truc de prĂ©caires, mais un truc de talents.