À voir – Marion Mezadorian de retour avec Craquage
Marion Mezadorian revient au Théâtre du Marais et en tournée avec un nouveau spectacle, Craquage. Dans ce nouvel opus, elle revisite ses personnages à leur point de non retour. Quand tout flanche, quand le silence pèse trop lourd et que tout explose, l’humoriste les incarne à la perfection.
Nous étions à la toute première représentation à Cresco (Saint-Mandé) il y a un an déjà. Un endroit où Marion achevait une résidence d’écriture intensive. Après la naissance et les multiples éclosions de Pépites, son précédent spectacle, livrerait-elle un premier jet abouti ? La question méritait d’être posée, tant Marion se cherchait à l’époque. Or l’expérience et les collaborations multiples d’antan lui permettent aujourd’hui d’aller droit au but… Même si elle confie travailler dur pour une version aboutie dès le printemps au Marais et au festival d’Avignon en 2024.
Revenons donc à la naissance de ce spectacle, devant un parterre trié sur le volet. Les personnages sont toujours là, avec le style Mezadorian chevillé au corps. C’est d’emblée hilarant et puissant. Cette entame rassure aussi car le pitch initial du spectacle pouvait faire peur. En effet, les personnages restent un élément que certains trouvent ringard. On peut vite tomber dans une interprétation digne des téléfilms de TF1, surtout quand on surfe sur le quotidien. Or comme on l’explique souvent, ce n’est pas l’outil qui est obsolète… mais bien la manière de l’utiliser. Il faut pouvoir dépasser les sketches qu’on a vus et revus pour apporter sa touche personnelle.
Dans Craquage, le secret de Marion Mezadorian n’est pas bien compliqué. Elle est juste, touche dans le mille, maniant l’émotion, l’hilarité, la légèreté… et aussi le drame, qui gagnera du terrain. Tout cela sans aucune lourdeur, avec une fluidité limpide malgré les nombreux accessoires.
Craquage de Marion Mezadorian : un spectacle simple et complexe (mais comment fait-elle ?)
La diversité des personnages et des genres rend Craquage plus profond que Pépites. On a toujours les rires et l’émotion, mais le drame s’ajoute dans un troisième acte qui boucle la boucle. Néanmoins, tous ces destins livrent un même message. Osez parler — c’est une question de survie. Un poncif qu’on a beaucoup entendu, effectivement, sauf qu’il y a la manière de le dire.
Illustrer cela avec des exemples légers comme d’une violence inouïe est un tour de force. Au lieu d’être moralisateur, ce spectacle vous aide à passer à l’action, ou du moins à y réfléchir. Cela démontre une finesse dans l’écriture, le jeu et la générosité. Marion se disait perroquet dans Pépites… Son sens de l’observation n’a pas pris une ride !
Craquage est donc un spectacle drôle, pertinent, puissant, dans l’air du temps… sans recycler ce qu’on entend ici et là. C’est une œuvre singulière qui vient pourtant tout juste de naître. On ignore encore comment elle va éclore, mais ça ne saurait tarder !
Un nouveau registre qui conquiert désormais les pros comme le public !
Quand vous êtes jeune comédienne et que vous voulez conquérir la ville lumière, on peut vous prendre de haut. Ce fut sans doute le cas pour Marion la décennie précédente, comme pour Laura Chaignat côté suisse. Les professionnels cherchent des seuls-en-scène aux tons multiples, qui vont époustoufler la presse spécialisée comme les théâtres de France et de Navarre. Ils cherchent idéalement ce qui n’a jamais été fait, fantasment le spectacle idéal… Tout cela sans forcément voir la valeur de ce qui tombe sous leurs yeux.
Pépites avait, surtout dans les premières années, certains de ces écueils qui lui collaient à la peau. C’était un spectacle choupi, peut-être un peu candide. Pour ma part, ça ne me posait aucun problème — le feel good, ça fait du bien. Puis tout le monde était content côté public. L’arrivée de Mikaël Chirinian a élevé le premier spectacle, le faisait rentrer dans une nouvelle dimension.
Plébiscitée en rodage comme en Avignon en vue de conquérir Paris dès la rentrée
La marche franchie entre Pépites et Craquage est encore plus haute, ce qui a impressionné tout le monde en cette soirée de septembre. Avant, il semblait difficile d’associer l’œuvre de Marion Mezadorian à celle d’Alexandra Pizzagali. Aujourd’hui, la virtuosité de ces comédiennes semble équivalente, prête à bouleverser tout le monde sur son passage. Et côté public, les applaudissements finaux parlaient déjà d’eux-mêmes.
Côté presse, même si Marion a voulu jouer la montre, la curiosité en Avignon en a décidé autrement. La presse régionale, nationale et spécialisée est unanime :
- premier spectacle de la sélection Avignon de Topito, avec très peu de propositions humoristiques (hormis la brillante Elena Nagapetyan) ;
- 3T dans Télérama, coup de cœur de la sélection off du Monde, sans faute pour La Provence…
Commencer un spectacle par des acclamations unanimes ne garantit pas un succès dans la durée. C’est le travail qui est en train de payer. Sur ce point, Marion Mezadorian a des facilités indéniables. Ressentir de la fierté quand on promeut un talent sur la durée, ce n’est pas systématique. Là, j’avais vraiment des frissons. Singularité, générosité, virtuosité. Ça envoie du lourd, et ça va vous faire craquer !