Les dessous des critiques de spectacles

Juliette Follin 13/03/2023

Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler des critiques de spectacles. DĂ©criĂ©es autant qu’elles sont nĂ©cessaires, elles coĂ»tent souvent beaucoup Ă  l’artiste, mais aussi Ă  l’auteur. Cela ne fait jamais plaisir de blesser l’ego d’un humoriste, d’autant plus qu’on risque parfois de se tromper.

Alors pour mieux comprendre, je voulais prendre le temps de vous en parler dans un long papier. Revenons Ă  cette journĂ©e de fin dĂ©cembre 2022, oĂč j’ai vu deux spectacles dans la mĂȘme journĂ©e. Alors que l’on voyait encore la lumiĂšre du jour, j’ai regardĂ© Presque de Panayotis Pascot sur Netflix. Et le soir venu, j’ai franchi les portes du Grand Point Virgule pour voir Focus de VĂ©rino.

Ces deux versions abouties d’excellents spectacles mĂ©ritent des critiques Ă©logieuses, mais comment parler des spectacles en crĂ©ation ? Les humoristes Ă©mergents ont-ils aussi droit Ă  leur quart d’heure de gloire ? Peuvent-ils recevoir une tape dans le dos mĂ©diatique pour les encourager ? Comment distinguer ces reprĂ©sentations sans les niveler ? Et pourquoi certains prĂ©fĂšrent communiquer que critiquer ?

Critiques de spectacles : les notations de la colĂšre

La fin d’annĂ©e 2022 Ă©tait aussi l’occasion de livrer des critiques plus mitigĂ©es sur des spectacles plĂ©biscitĂ©s. L’un d’entre eux Ă©tait abouti, l’autre encore en construction. Pour le premier, j’ai eu le plus grand mal Ă  nuancer ma critique car j’ai soutenu l’artiste dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre. Cela m’a coĂ»tĂ©, car j’ai eu peur de perdre le lien, certes tĂ©nu mais bien rĂ©el, avec l’artiste en question.

Mais je lui devais aussi un regard honnĂȘte, tout en respectant son travail. Je comptais sur cette personne pour faire la part des choses. En effet, bien sĂ»r, il m’arrive d’encenser des spectacles en crĂ©ation alors qu’ils ne sont pas prĂȘts. Mais je fais mon possible pour argumenter et faire confiance au lecteur dans sa comprĂ©hension. Et Ă  aucun moment, ces spectacles sont mis sur un pied d’égalitĂ©.

Malheureusement, les critiques de spectacle ajoutent parfois des notes Ă  des spectacles, sur des critĂšres parfois Ă©volutifs. Ainsi, quand on met ces notes bout Ă  bout sans contexte, cela uniformise les spectacles. Cette dĂ©contextualisation me pose problĂšme. Non pas car ces notes sont immĂ©ritĂ©es : elles sont subjectives, et les lecteurs doivent aussi faire la part des choses. Ce qui me gĂȘne, c’est que tous les artistes ne partent pas avec la mĂȘme chance de dĂ©part. Une prĂ©sĂ©lection arrive, sur des critĂšres parfois discutables et implicites. Il peut y avoir le message portĂ©, mais aussi le circuit dans lequel l’artiste Ă©volue et l’exposition de l’artiste auprĂšs des professionnels. Et c’est lĂ  que se cache mon biais principal de critique. En effet, je serai plus dure avec des personnes que j’estime encensĂ©es par erreur.

Des critiques de spectacles négatives sous la menace

Le mot exposition est assez cocasse. D’une part, c’est un synonyme de visibilitĂ©. Et d’autre part, il rime avec prise de risque. De la mĂȘme maniĂšre que les blagues jugĂ©es offensantes, la critique peut avoir des consĂ©quences nĂ©gatives. On a envie de faire taire le comique comme le critique, car la souffrance qui Ă©mane de telles crĂ©ations est difficilement tolĂ©rable.

Soit l’on se dĂ©tourne d’une personne qu’on juge en dĂ©saccord avec ses valeurs, soit l’on a recours au dĂ©nigrement mĂ©diatique ou Ă  la menace. À chaque fois, le sentiment est dĂ©sagrĂ©able, surtout lorsqu’on menace le critique de poursuites judiciaires. Pour sa tranquillitĂ© d’esprit, il vaut mieux promouvoir les spectacles que les critiquer


Or dĂ©ranger, c’est parfois une trĂšs bonne chose. Il vaut parfois mieux agacer au plus haut point qu’avancer dans l’indiffĂ©rence. Quand on dĂ©range, c’est la preuve que ce que l’on crĂ©e a de la valeur. Et lorsque je formule une critique nĂ©gative, ce n’est pas dans le but de dĂ©courager la personne, mais de la rappeler Ă  l’ordre. Attention : si j’ai pensĂ© cela sur ton spectacle, alors d’autres spectateurs pourraient en faire de mĂȘme. Reviens plus fort la prochaine fois, prouve-moi que j’ai tort.

Les spectacles, Ă©mergents comme confirmĂ©s, sont en compĂ©tition. Si les prix des nouveaux spectacles sont moindres, cela reste des Ɠuvres payantes. On peut faire preuve d’indulgence, mais pas fermer les yeux. À expĂ©rience scĂ©nique Ă©gale, toutes les Ɠuvres ne se valent pas. Ainsi, mĂȘme pour des nouveaux venus, il faut guider le spectateur vers les Ɠuvres qu’on estime les meilleures pour lui. Tout cela en se rappelant qu’un critique est aussi faillible, qu’il a sa subjectivitĂ© et qu’il peut se tromper. Une critique nĂ©gative ne disqualifie jamais un spectacle : elle livre simplement un point de vue. Souvenez-vous bien de cela : en journalisme, comme le dit Thierry Moreau, il est essentiel de savoir qui parle et d’oĂč il parle.

MĂȘme Florence Foresti divise la critique !

Prenons le spectacle de Florence Foresti. J’ai croisĂ© un critique qui n’a pas aimĂ© ce spectacle, or ce n’était pas la personne chargĂ©e de le critiquer pour son magazine. En cause : Boys Boys Boys Ă©tait un retour en arriĂšre sur le plan du fĂ©minisme, selon cette critique. Mais quelques semaines plus tard, Le Parisien choisissait Florence Foresti comme l’étoile humoristique de l’annĂ©e.

DĂ©clarer sa flamme aux hommes dans une sociĂ©tĂ© post-#MeToo un brin crispĂ©e sur les relations filles-garçons relevait du sacrĂ© dĂ©fi. Contrat rempli sur toute la ligne. (
) Audacieuse, authentique, piquante, touchante, prĂ©cieuse, on peut aligner tous les adjectifs du monde, ils ne sont rien face Ă  la tornade de rire que l’humoriste gĂ©nĂšre.

Extrait du Parisien du 27 décembre 2022

Le spectacle est le mĂȘme. Or les deux points de vue, qui partent de la mĂȘme base, n’ont rien Ă  voir. Tous deux se valent : Ă  vous de faire la part des choses. La vĂ©ritĂ© n’est pas d’un cĂŽtĂ© ou de d’autre, surtout sur un sujet qui fait couler beaucoup d’encre.

Pourquoi la critique Ă©logieuse prend parfois du temps

Les spectacles de VĂ©rino et de Panayotis ont un point commun, Ă  mes yeux. Ces deux artistes m’intĂ©ressaient sans me passionner Ă  leurs dĂ©buts. J’ai vu VĂ©rino jouer son prĂ©cĂ©dent spectacle dans la petite salle du Grand Point Virgule. C’était, Ă  mes yeux, bien mais sans plus.

Mais le revoir jouer Focus m’a fait mesurer la chance que nous avions de voir cet artiste. C’est l’un des tous meilleurs et, de l’avis de nombreux observateurs, il n’a pas autant de reconnaissance qu’il le mĂ©riterait. Qu’à cela ne tienne, trop gentil ou pas pour faire le buzz, il remplit ses salles sans aucun problĂšme et ravit le public soir aprĂšs soir.

Panayotis Ă©tait dĂ©jĂ  bon en rodage en 2018, mais quelque part, j’avais dĂ©jĂ  validĂ© sa prestation. Je n’ai pas ressenti le besoin de le revoir. Or quand j’ai vu la captation de Presque, j‘ai pris une claque. Le rodage du Point Virgule et cette immortalisation n’avaient plus grand-chose Ă  voir. MĂȘme derriĂšre un Ă©cran, qui aseptise l’émotion que l’on ressent dans une salle, il a rĂ©ussi Ă  me toucher en plein cƓur. Je voyais d’un mauvais Ɠil la collaboration avec Fary, car son apparente arrogance me freine Ă  apprĂ©cier son art. Or force est de constater que l’équipe autour de Panayotis a dĂ©livrĂ© une masterclass de stand-up. Elle l’a fait avec lui, et ce en sublimant son premier jet. Parfois, il faut savoir laisser de cĂŽtĂ© l’image que certains artistes se donnent pour exister.

L’inconvĂ©nient des critiques d’humour Ă©mergent sur le web (et l’art d’ĂȘtre flexible)

Une autre dĂ©convenue pour les artistes critiquĂ©s sur internet ? Ils voient leurs premiĂšres crĂ©ations en premiĂšre page de Google estampillĂ©es sous le sceau d’une critique soit mauvaise, soit ancienne. Et contrairement Ă  la presse magazine, oĂč les Ă©crits finissent dans le bac jaune, lĂ , tout reste bien haut dans les rĂ©sultats de recherche.

Du moins, le temps que des attachĂ©s de presse viennent Ă  la rescousse pour attirer la presse institutionnelle en salle. Alors comment faire ? Google et les autres n’ont pas toujours le mĂ©mo. Sachez qu’il existe des solutions : l’idĂ©e n’est pas de dĂ©naturer les propos tenus Ă  l’instant T.

Le problĂšme n’est pas la critique mais la maniĂšre dont les moteurs de recherche les mettent en avant. Leurs robots gavĂ©s d’intelligence artificielle sortent un extrait alĂ©atoire de son contexte. LĂ  oĂč nous Ă©crivions les textes mis en avant il y a quelques annĂ©es, les IA les remanient automatiquement.

Donc si cela vous arrive, n’hĂ©sitez pas Ă  me contacter et on analysera ensemble la nuisance engendrĂ©e. Car sous la petite phrase, l’enjeu est de convaincre le lecteur d’acheter un billet. Et tout Ă  coup, une critique devient un argument de (non-)vente massue


Redonner sa chance à l’artiste et à ses Ɠuvres

Pour en revenir au spectacle de Panayotis, le produit fini est du grand art. Et le fait d’avoir Fary, qui veut faire rimer stand-up et art, dans la boucle de cette rĂ©ussite, n’a rien du hasard. Qui sait, peut-ĂȘtre que voir cette prouesse m’a redonnĂ© envie d’apprĂ©cier Fary. Car mĂȘme quand on n’apprĂ©cie pas un artiste Ă  l’instant T en tant que critique, on lui laisse toujours une chance de nous reconquĂ©rir.

Les mauvaises critiques ne sont jamais gravĂ©es dans le marbre. Elles ne sont pas une fatalitĂ© : les accepter est sans doute difficile, voire impossible. Toujours est-il qu’il n’y a aucune once de malveillance, mĂȘme si parfois les traits d’esprit font mal. Cette souffrance, c’est simplement une traduction couchĂ©e sur papier/Ă©cran, diffĂ©rĂ©e et passionnĂ©e, de ce que l’on ressent dans une salle.

Alors Ă  tous ceux Ă  qui j’adresserai encore des mauvaises critiques, je ne peux pas vous promettre d’ĂȘtre dans le vrai
 ou de vous Ă©pargner. Je vous dois la vĂ©ritĂ© de ce que j’ai ressenti Ă  l’instant T, et tout comme vous, je suis une personne faillible qui peut se tromper. Charge Ă  vous de me le prouver, et faire naĂźtre en moi un nouveau point de vue
 pour une nouvelle critique ?

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