Les dessous des critiques de spectacles
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Aujourdâhui, jâai envie de vous parler des critiques de spectacles. DĂ©criĂ©es autant quâelles sont nĂ©cessaires, elles coĂ»tent souvent beaucoup Ă lâartiste, mais aussi Ă lâauteur. Cela ne fait jamais plaisir de blesser lâego dâun humoriste, dâautant plus quâon risque parfois de se tromper.
Alors pour mieux comprendre, je voulais prendre le temps de vous en parler dans un long papier. Revenons Ă cette journĂ©e de fin dĂ©cembre 2022, oĂč jâai vu deux spectacles dans la mĂȘme journĂ©e. Alors que lâon voyait encore la lumiĂšre du jour, jâai regardĂ© Presque de Panayotis Pascot sur Netflix. Et le soir venu, jâai franchi les portes du Grand Point Virgule pour voir Focus de VĂ©rino.
Ces deux versions abouties dâexcellents spectacles mĂ©ritent des critiques Ă©logieuses, mais comment parler des spectacles en crĂ©ation ? Les humoristes Ă©mergents ont-ils aussi droit Ă leur quart dâheure de gloire ? Peuvent-ils recevoir une tape dans le dos mĂ©diatique pour les encourager ? Comment distinguer ces reprĂ©sentations sans les niveler ? Et pourquoi certains prĂ©fĂšrent communiquer que critiquer ?
Critiques de spectacles : les notations de la colĂšre
La fin dâannĂ©e 2022 Ă©tait aussi lâoccasion de livrer des critiques plus mitigĂ©es sur des spectacles plĂ©biscitĂ©s. Lâun dâentre eux Ă©tait abouti, lâautre encore en construction. Pour le premier, jâai eu le plus grand mal Ă nuancer ma critique car jâai soutenu lâartiste dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre. Cela mâa coĂ»tĂ©, car jâai eu peur de perdre le lien, certes tĂ©nu mais bien rĂ©el, avec lâartiste en question.
Mais je lui devais aussi un regard honnĂȘte, tout en respectant son travail. Je comptais sur cette personne pour faire la part des choses. En effet, bien sĂ»r, il mâarrive dâencenser des spectacles en crĂ©ation alors quâils ne sont pas prĂȘts. Mais je fais mon possible pour argumenter et faire confiance au lecteur dans sa comprĂ©hension. Et Ă aucun moment, ces spectacles sont mis sur un pied dâĂ©galitĂ©.
Malheureusement, les critiques de spectacle ajoutent parfois des notes Ă des spectacles, sur des critĂšres parfois Ă©volutifs. Ainsi, quand on met ces notes bout Ă bout sans contexte, cela uniformise les spectacles. Cette dĂ©contextualisation me pose problĂšme. Non pas car ces notes sont immĂ©ritĂ©es : elles sont subjectives, et les lecteurs doivent aussi faire la part des choses. Ce qui me gĂȘne, câest que tous les artistes ne partent pas avec la mĂȘme chance de dĂ©part. Une prĂ©sĂ©lection arrive, sur des critĂšres parfois discutables et implicites. Il peut y avoir le message portĂ©, mais aussi le circuit dans lequel lâartiste Ă©volue et lâexposition de lâartiste auprĂšs des professionnels. Et câest lĂ que se cache mon biais principal de critique. En effet, je serai plus dure avec des personnes que jâestime encensĂ©es par erreur.
Des critiques de spectacles négatives sous la menace
Le mot exposition est assez cocasse. Dâune part, câest un synonyme de visibilitĂ©. Et dâautre part, il rime avec prise de risque. De la mĂȘme maniĂšre que les blagues jugĂ©es offensantes, la critique peut avoir des consĂ©quences nĂ©gatives. On a envie de faire taire le comique comme le critique, car la souffrance qui Ă©mane de telles crĂ©ations est difficilement tolĂ©rable.
Soit lâon se dĂ©tourne dâune personne quâon juge en dĂ©saccord avec ses valeurs, soit lâon a recours au dĂ©nigrement mĂ©diatique ou Ă la menace. Ă chaque fois, le sentiment est dĂ©sagrĂ©able, surtout lorsquâon menace le critique de poursuites judiciaires. Pour sa tranquillitĂ© dâesprit, il vaut mieux promouvoir les spectacles que les critiquerâŠ
Or dĂ©ranger, câest parfois une trĂšs bonne chose. Il vaut parfois mieux agacer au plus haut point quâavancer dans lâindiffĂ©rence. Quand on dĂ©range, câest la preuve que ce que lâon crĂ©e a de la valeur. Et lorsque je formule une critique nĂ©gative, ce nâest pas dans le but de dĂ©courager la personne, mais de la rappeler Ă lâordre. Attention : si jâai pensĂ© cela sur ton spectacle, alors dâautres spectateurs pourraient en faire de mĂȘme. Reviens plus fort la prochaine fois, prouve-moi que jâai tort.
Les spectacles, Ă©mergents comme confirmĂ©s, sont en compĂ©tition. Si les prix des nouveaux spectacles sont moindres, cela reste des Ćuvres payantes. On peut faire preuve dâindulgence, mais pas fermer les yeux. Ă expĂ©rience scĂ©nique Ă©gale, toutes les Ćuvres ne se valent pas. Ainsi, mĂȘme pour des nouveaux venus, il faut guider le spectateur vers les Ćuvres quâon estime les meilleures pour lui. Tout cela en se rappelant quâun critique est aussi faillible, quâil a sa subjectivitĂ© et quâil peut se tromper. Une critique nĂ©gative ne disqualifie jamais un spectacle : elle livre simplement un point de vue. Souvenez-vous bien de cela : en journalisme, comme le dit Thierry Moreau, il est essentiel de savoir qui parle et dâoĂč il parle.
MĂȘme Florence Foresti divise la critique !
Prenons le spectacle de Florence Foresti. Jâai croisĂ© un critique qui nâa pas aimĂ© ce spectacle, or ce nâĂ©tait pas la personne chargĂ©e de le critiquer pour son magazine. En cause : Boys Boys Boys Ă©tait un retour en arriĂšre sur le plan du fĂ©minisme, selon cette critique. Mais quelques semaines plus tard, Le Parisien choisissait Florence Foresti comme lâĂ©toile humoristique de lâannĂ©e.
DĂ©clarer sa flamme aux hommes dans une sociĂ©tĂ© post-#MeToo un brin crispĂ©e sur les relations filles-garçons relevait du sacrĂ© dĂ©fi. Contrat rempli sur toute la ligne. (âŠ) Audacieuse, authentique, piquante, touchante, prĂ©cieuse, on peut aligner tous les adjectifs du monde, ils ne sont rien face Ă la tornade de rire que lâhumoriste gĂ©nĂšre.
Extrait du Parisien du 27 décembre 2022
Le spectacle est le mĂȘme. Or les deux points de vue, qui partent de la mĂȘme base, nâont rien Ă voir. Tous deux se valent : Ă vous de faire la part des choses. La vĂ©ritĂ© nâest pas dâun cĂŽtĂ© ou de dâautre, surtout sur un sujet qui fait couler beaucoup dâencre.
Pourquoi la critique Ă©logieuse prend parfois du temps
Les spectacles de VĂ©rino et de Panayotis ont un point commun, Ă mes yeux. Ces deux artistes mâintĂ©ressaient sans me passionner Ă leurs dĂ©buts. Jâai vu VĂ©rino jouer son prĂ©cĂ©dent spectacle dans la petite salle du Grand Point Virgule. CâĂ©tait, Ă mes yeux, bien mais sans plus.
Mais le revoir jouer Focus mâa fait mesurer la chance que nous avions de voir cet artiste. Câest lâun des tous meilleurs et, de lâavis de nombreux observateurs, il nâa pas autant de reconnaissance quâil le mĂ©riterait. QuâĂ cela ne tienne, trop gentil ou pas pour faire le buzz, il remplit ses salles sans aucun problĂšme et ravit le public soir aprĂšs soir.
Panayotis Ă©tait dĂ©jĂ bon en rodage en 2018, mais quelque part, jâavais dĂ©jĂ validĂ© sa prestation. Je nâai pas ressenti le besoin de le revoir. Or quand jâai vu la captation de Presque, jâai pris une claque. Le rodage du Point Virgule et cette immortalisation nâavaient plus grand-chose Ă voir. MĂȘme derriĂšre un Ă©cran, qui aseptise lâĂ©motion que lâon ressent dans une salle, il a rĂ©ussi Ă me toucher en plein cĆur. Je voyais dâun mauvais Ćil la collaboration avec Fary, car son apparente arrogance me freine Ă apprĂ©cier son art. Or force est de constater que lâĂ©quipe autour de Panayotis a dĂ©livrĂ© une masterclass de stand-up. Elle lâa fait avec lui, et ce en sublimant son premier jet. Parfois, il faut savoir laisser de cĂŽtĂ© lâimage que certains artistes se donnent pour exister.
LâinconvĂ©nient des critiques dâhumour Ă©mergent sur le web (et lâart dâĂȘtre flexible)
Une autre dĂ©convenue pour les artistes critiquĂ©s sur internet ? Ils voient leurs premiĂšres crĂ©ations en premiĂšre page de Google estampillĂ©es sous le sceau dâune critique soit mauvaise, soit ancienne. Et contrairement Ă la presse magazine, oĂč les Ă©crits finissent dans le bac jaune, lĂ , tout reste bien haut dans les rĂ©sultats de recherche.
Du moins, le temps que des attachĂ©s de presse viennent Ă la rescousse pour attirer la presse institutionnelle en salle. Alors comment faire ? Google et les autres nâont pas toujours le mĂ©mo. Sachez quâil existe des solutions : lâidĂ©e nâest pas de dĂ©naturer les propos tenus Ă lâinstant T.
Le problĂšme nâest pas la critique mais la maniĂšre dont les moteurs de recherche les mettent en avant. Leurs robots gavĂ©s dâintelligence artificielle sortent un extrait alĂ©atoire de son contexte. LĂ oĂč nous Ă©crivions les textes mis en avant il y a quelques annĂ©es, les IA les remanient automatiquement.
Donc si cela vous arrive, nâhĂ©sitez pas Ă me contacter et on analysera ensemble la nuisance engendrĂ©e. Car sous la petite phrase, lâenjeu est de convaincre le lecteur dâacheter un billet. Et tout Ă coup, une critique devient un argument de (non-)vente massueâŠ
Redonner sa chance Ă lâartiste et Ă ses Ćuvres
Pour en revenir au spectacle de Panayotis, le produit fini est du grand art. Et le fait dâavoir Fary, qui veut faire rimer stand-up et art, dans la boucle de cette rĂ©ussite, nâa rien du hasard. Qui sait, peut-ĂȘtre que voir cette prouesse mâa redonnĂ© envie dâapprĂ©cier Fary. Car mĂȘme quand on nâapprĂ©cie pas un artiste Ă lâinstant T en tant que critique, on lui laisse toujours une chance de nous reconquĂ©rir.
Les mauvaises critiques ne sont jamais gravĂ©es dans le marbre. Elles ne sont pas une fatalitĂ© : les accepter est sans doute difficile, voire impossible. Toujours est-il quâil nây a aucune once de malveillance, mĂȘme si parfois les traits dâesprit font mal. Cette souffrance, câest simplement une traduction couchĂ©e sur papier/Ă©cran, diffĂ©rĂ©e et passionnĂ©e, de ce que lâon ressent dans une salle.
Alors Ă tous ceux Ă qui jâadresserai encore des mauvaises critiques, je ne peux pas vous promettre dâĂȘtre dans le vrai⊠ou de vous Ă©pargner. Je vous dois la vĂ©ritĂ© de ce que jâai ressenti Ă lâinstant T, et tout comme vous, je suis une personne faillible qui peut se tromper. Charge Ă vous de me le prouver, et faire naĂźtre en moi un nouveau point de vue⊠pour une nouvelle critique ?