Inno JP vainqueur des Best de l’Humour 2020

Juliette Follin 15/01/2020

Inno JP a remportĂ© la troisiĂšme Ă©dition des Best de l’Humour 2020. Le candidat belge a devancĂ© les deux vainqueurs de la sĂ©lection parisienne, Cyril Hives et Yazid Assoumani. Ensuite, les choix du jury ont hissĂ© Yassir, Bedou et Julien Bing dans le top 6 des finalistes.

Inno JP : une victoire logique


Face Ă  un panel d’une vingtaine de professionnels, la prestation d’Inno JP a convaincu tout le monde. PrĂ©cise, rodĂ©e : elle laissait peu de place au hasard et offrait Ă  la profession de rester dans sa zone de confort.

Pourquoi je n’exulte pas, me direz-vous ? J’ai effectivement trouvĂ© Inno JP efficace et un poil original pour retenir mon attention, mais l’ensemble m’a laissĂ© de marbre. Au final, comment juger les deux candidats belges, qui ont tous les deux eu accĂšs Ă  des galas TV, face aux autres ? Je craignais que le dĂ©sĂ©quilibre rende l’équitĂ© discutable, et j’ai eu raison.

Je fĂ©licite nĂ©anmoins Inno JP, qui a livrĂ© une assez belle prestation. Si vous l’avez manquĂ©e, elle est Ă  peu prĂšs identique Ă  celle du gala DerriĂšre un micro Paris-Bruxelles.

Premier temps fort de la soirée : Basile démarre en trombe

À l’Alhambra, l’humoriste nantais Basile dĂ©butait la soirĂ©e. Une place ingrate, qui pousse souvent Ă  livrer une prestation moyenne. Or Basile a pris le micro pour offrir une prestation parfaite au public.

Une prestation qui, Ă  mon sens, le qualifiait d’office dans le groupe des six humoristes retenus pour la tournĂ©e. Il fallait ĂȘtre aveugle pour passer Ă  cĂŽtĂ©, mais le reste du jury a semble-t-il vĂ©cu un syndrome foudroyant d’Alzheimer


Ok, je suis en colĂšre et dure, j’en conviens. Je comprends que le choix d’un passage sur le mĂ©tro n’était pas le plus heureux, mais on peut Ă©voquer des lieux communs et rester drĂŽle et original ! Comme il y a deux ans avec Nicolas FabiĂ©, un nantais passe donc hors des Ă©crans radars des professionnels. À titre personnel, j’appelle cela un scandale, mais ce sont sans doute les circonstances qui ont eu raison de Basile.

Cyril Hives vainqueur moral ?

Je reviendrai sur les deux prestations suivantes dans mon classement final, mais passons Ă  Cyril Hives. Avec Inno JP, quelque chose de classique s’est passĂ© Ă  l’Alhambra
 Mais avec Cyril, c’était un moment magique.

Fort d’une prestation dĂ©jĂ  solide deux jours plus tĂŽt, Cyril apprenait de ses erreurs et modifiait son set pour offrir son meilleur. Je ne l’ai jamais vu aussi fort. Il aurait pu s’effondrer face Ă  600 personnes, devenir insignifiant comme d’autres. Mais non : il a su ĂȘtre touchant, diffĂ©rent, original — marcher sur l’eau, quoi.

Ce soir-lĂ , Cyril Hives symbolisait le renouveau. Et son passage me donnait l’espoir que les choses changent dans la tĂȘte des professionnels. Alors oui, ils ont compris qu’il s’était passĂ© quelque chose, mais ils n’ont pas Ă©tĂ© au bout du raisonnement. Moi, dans les applaudissements finaux, j’entendais une seule chose : le public le dĂ©signait vainqueur.

On comprenait qu’il avait tout donnĂ©, vaincu les dĂ©mons qui auraient pu le faire trĂ©bucher. À partir de lĂ , j’ai commencĂ© Ă  rĂȘver d’une rĂ©volution dans le microcosme des dĂ©tecteurs de talents. Et en Ă©crivant ces lignes, j’enrage de mon impuissance : je ne pouvais rien, je n’avais pas l’influence pour ouvrir les yeux des professionnels et leur intimer de changer de disque. Il reste du travail pour propulser les talents du rire plus vite
 Alors on va continuer, que voulez-vous que je vous dise !

Le vrai classement et mon classement

Il est temps de vous livrer deux classements : l’officiel, la synthùse des professionnels, et le nître.

Classement juryClassement Le spot du rire
1Inno JPCyril Hives
2Cyril HivesBasile
3Yazid AssoumaniYazid Assoumani
4YassirInno JP
5BedouYanisse Kebbab
6Julien BingDoug

Puisque je viens de vous en parler, je ne vais pas revenir sur Cyril Hives, mĂȘme si je suis ravie de le voir deuxiĂšme au classement final. En-dessous, ç’aurait Ă©tĂ© abusĂ©. Ni sur Basile, passĂ© bien trop tĂŽt.

Yazid Assoumani a (un peu) manqué son rendez-vous

Yazid Assoumani a beaucoup de talent, et on a envie de le voir cartonner. Malheureusement, Yazid n’a pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur de l’enjeu. Le dĂ©but poussif de son passage m’a fait comprendre que ce n’était pas son jour.

MalgrĂ© tout, son talent reprenait le contrĂŽle au fil du passage. Sa sympathie naturelle et son texte louĂ© par de nombreux professionnels lui ont permis de convaincre. Il lui manquait juste l’étincelle de magie pour remporter une adhĂ©sion plus nette.

Ce qui est sĂ»r, c’est qu’il faudra compter sur lui pour la suite ! Manquer un rendez-vous, ça ne ralentit pas un vrai talent. Vous entendrez parler de Yazid.

Inno JP : trĂšs bien, mais pas exceptionnel

Ma premiĂšre impression lors du passage d’Inno JP, c’était de me dire que ça passait bien. Il trouvait un bon Ă©quilibre entre de l’humour dĂ©jĂ  vu et une pointe d’originalitĂ©. Son expĂ©rience transparaissait.

En revanche, j’ai trouvĂ© qu’Inno JP manquait d’innovation. Il ne renouvelait pas le genre. Alors que je formulais cette analyse, Inno JP a utilisĂ© le gimmick de Bref dans son texte. C’était Ă©liminatoire pour le faire gagner selon moi : on ne gagne pas un concours en recyclant la marque de fabrique de Kyan Khojandi. J’attends beaucoup mieux.

Yanisse Kebbab et Doug : une fin de top 6 peu inspirée

À part mes quatre premiers, le reste des candidats Ă©voluait dans deux catĂ©gories pour moi : « pourquoi pas », ou « c’est mort ».

J’ai dĂ©cidĂ© d’inclure Yanisse Kebbab et Doug parce qu’ils jouaient juste assez avec l’émotion. Ils ne m’ont pas vraiment fait rire, mais ils ont su me toucher derriĂšre un potentiel plutĂŽt cachĂ©. Yanisse Kebbab tombait dans les clichĂ©s et les sujets faciles, mais il le faisait avec un certain naturel. Je trouvais ça limitĂ© et jeune, mais suffisamment intĂ©ressant pour retenir mon attention.

Quant Ă  Doug, j’ai regrettĂ© que les blagues ne soient pas assez fortes. Effectivement, il a essayĂ© d’émouvoir le public, mais encore une fois, il l’a fait avec une certaine innocence. D’autres ont bien plus forcĂ© le trait et l’ont dĂ©passĂ©. Bref, pour Yanisse et Doug, je voulais donner une chance de progresser et de comprendre les deux-trois trucs qui leur manquent.

Carton rouge : Funky Fab et les accents

On croyait que l’humour Ă  la sauce Michel Leeb Ă©tait mort. Faux : il reste des humoristes qui imitent des accents chinois et se plantent dans leurs intentions. En premiĂšre lecture, on s’étonne que ces gars puissent jouer Ă  Montreux.

Je ne sais pas comment on en arrive encore lĂ  en 2020, alors je formule simplement le vƓu que tous ces gens regardent la sĂ©rie En rire de l’humoriste Haroun. Cette pastille explique pourquoi il ne faut plus faire d’accents. Surtout en quantitĂ© industrielle comme Funky Fab l’a fait Ă  l’Alhambra. Croyez-le ou non, j’ai entendu un membre du jury le mettre dans son top 6


Mise à jour du 15 mai 2020 : la réponse de Funky Fab

Suite à cette critique virulente de ma part, Funky Fab a réagi dans un podcast pour se justifier et livrer son point de vue.

TrĂšs sincĂšrement, ça m’a fait rĂ©flĂ©chir. DĂ©jĂ , ça ne m’a absolument pas blessĂ© : l’insulte ne m’atteint pas. J’y Ă©tais allĂ© vraiment fort. J’ai lĂ©gĂšrement modifiĂ© mes propos ci-dessus pour livrer une analyse un peu plus distanciĂ©e. En effet, j’avais qualifiĂ© sa prestation de « consternante » alors que je la rĂ©duisais aux accents.

En revanche, l’opinion de Funky Fab sur la censure en humour est intĂ©ressante. Et je suis d’accord avec lui sur le danger que reprĂ©sente la censure. Il y a un dĂ©calage entre ce que le microcosme progressiste ne veut plus tolĂ©rer et ce qui fait rire certaines personnes. Clairement, l’intention de Funky Fab n’était pas raciste, et on le comprend encore mieux avec son complĂ©ment d’information. Maintenant, l’exĂ©cution Ă©tait maladroite et mon choc concernait plus le fait de ne pas sanctionner une pratique dĂ©suĂšte dans le cadre d’un festival tournĂ© vers l’avenir et les dĂ©couvertes humour.

Pour autant, je fais partie de ceux qui prĂ©fĂšrent une libertĂ© d’expression totale, quitte Ă  offenser, se tromper et dĂ©passer des limites. Censurer, c’est nier l’existence de certains courants de pensĂ©e. C’est vouloir construire le monde autour d’un idĂ©al qui ne colle pas Ă  la rĂ©alitĂ© et Ă  l’opinion des uns et des autres. Tout le monde devrait s’interroger sur ces changements de mentalitĂ©, et faire preuve de clĂ©mence face Ă  ceux qui rient encore de certaines choses. PlutĂŽt que de condamner toute pensĂ©e qui dĂ©range aujourd’hui au nom de la pensĂ©e dite « acceptable », il faudrait comprendre ce qu’il se passe vraiment et ne pas fustiger l’autre.

Concernant Funky Fab, je n’aurais peut-ĂȘtre pas dĂ» ĂȘtre aussi virulente et je m’excuse de ne pas lui en avoir parlĂ© directement. C’est ni plus ni moins de la lĂąchetĂ©, et si l’évĂ©nement peut nous faire progresser lui comme moi, nous en sortirons meilleurs.

Best de l’Humour 2020 : une belle Ă©dition malgrĂ© les fantĂŽmes du passĂ©

Globalement, j’ai passĂ© une bonne soirĂ©e. Elle n’a pas durĂ© quatre heures et le niveau restait globalement bon.

Je continuerai d’avoir des dĂ©saccords avec les conclusions des festivals, l’injustice de comparer des talents et propositions artistiques trĂšs diffĂ©rentes.

Cela dit, tant qu’on comprendra le pourquoi du comment, on saura mieux se repĂ©rer dans les talents qu’on propose. On aurait tort de penser que ces choix sont anodins : ils conditionnent l’accĂšs aux mĂ©dias des talents. En tant que jury, on a une responsabilitĂ©, et la mienne est de juger des dĂ©couvertes. Une dĂ©couverte apprendra, progressera
 Si elle change la donne, elle aura mon soutien. Et ce sera ma ligne de conduite Ă  chaque concours.

C’est aussi pour ça qu’il me faut trĂšs peu de temps pour trancher : je connais ma ligne de conduite, et je vais vraiment dĂ©nicher les artistes. Si seulement tout le monde pouvait le faire plutĂŽt que de se reposer sur ce qu’ils connaissent
 Le combat continue.

A propos de l'auteur