Humour instantané – Lettre à un humoriste, pour son jour sans

Juliette Follin 11/05/2019

Face au jour sans, et plus généralement aux revers, je voulais écrire à quelqu’un. L’humoriste concerné aurait pu en être un autre, tant ils partagent ces moments-là. Même lors d’actes manqués et manques de réussite, il subsiste une expérience forte.


Je ne voulais plus venir ce soir-là. Tard. Malade. Rien dans le ventre. J’étais avec un autre, je n’imaginais pas te voir en spectacle dans une poignée de minutes, mon assise était trop confortable. Je sentais que pour moi, ça allait devenir un jour sans.

En plus, j’avais envie de suivre mon acolyte et ne pas me retrouver seule. L’autre bout de Paris ? J’ai une petite marge. Quand je m’aperçois que je ne suis pas si loin de ta salle de spectacle, je jubile. Je me mets en état de marche, il se met à pleuvoir fort. Le métro aérien rejoint, je regarde les quelques stations qui nous séparent. Sereine, heureuse de calibrer un emploi du temps de ministre. Pour la première fois, je m’accorde le temps de souffler.

Le sourire au lèvres, je m’approche de mon endroit préféré. Ton spectacle, je l’ai vu ailleurs. Dans de plus grandes salles, mais plus méconnues. Ici, l’ambiance promet d’être différente.

La pluie a cessé, elle reprendra quand Mélissa nous fera rentrer. 21h32. Tout s’enchaîne à une vitesse folle, j’ai à peine le temps de me dévêtir. La première bande son lancée, je ris déjà de connivence. Je connais cette voix — celle de ton acolyte de baladodiffusion, à de maintes reprises. Sera-t-il en première partie ?

Eh non, tu émerges de la minuscule scène, tirant le rideau par tes propres moyens. Bienvenue dans le début de ta carrière. Même si toi aussi, tu souris, tu caches un léger malaise.

Pilote automatique 

Le débit de parole est trop rapide et les enchaînements mécaniques. Je sens d’emblée que cela cloche, comme si nous avions répété les mouvements du comique pendant tant d’heures. Je ris beaucoup, même si je suis en décalage complet avec le public.

C’est qu’il ne te connaît pas. Il est timide face à l’enjeu. Une première fois, dans cette promiscuité : les interrogations se multiplient sans doute dans leurs esprits, alors qu’il faudrait lâcher prise.

Moi, je sais. Je sais ce que tu vaux, tu m’as fait l’humour exactement comme il le fallait, avec le bon rythme et les bonnes punches. Je me sens lésée, mais je ne me l’avoue pas tout de suite. Quand on adule, on commence par pardonner un peu, panser la plaie, faire le dos rond pour mieux traverser l’instant.

Mais le problème, justement, c’est que je sais. J’ai déjà connu tout ce cirque, et j’ai désiré autre chose dans ce nouveau cadre. Également, j’ai imaginé la scène, telle un fantasme. J’ai pris la température du lieu, et l’ambiance était simplement en décalage.

Bien sûr, une fois l’acte de cette pièce terminé, je t’ai remercié pour ce moment. Je n’ai pas su trouver les mots, car quand on éprouve un attachement scénique, on est perdu. La critique immédiate est proscrite, mais j’avais tant d’attentes non formulées. Le problème était là : si je t’avais dit que je voulais une autre méthode ce soir-là, tout aurait été plus fluide.

De l’expression d’attentes pour combattre un jour sans

Mais non, je me suis tue. J’ai nié, enfoui, mon désir de spectatrice, jusqu’à ce qu’il me revienne en pleine figure. Je voulais foutre en l’air ton autodérision, tes complexes de comique. Ce soir-là, je t’ai adoubé comme l’homme de la situation, je voulais simplement te voir passer un cap. Plus émotionnel, moins dans l’excuse de ta personne, un peu plus premier degré et dans une forme d’intensité dramatique.

Je voulais une autre mise en scène, mais j’ai aimé quand même. C’est sincère, même si c’est dit maladroitement. Maudit jour sans. Tu as été sans doute plus dur avec toi-même, car tu officiais sur l’échelle « ai-je été bon ou non ? ». Tu n’as juste pas fait le pas de côté que j’anticipais. J’étais venue pour oublier une douleur, une peine indicible. Parce qu’en spectacle vivant, on rit, mais on vit aussi et on prend parfois des coups au moral. Plus on ressent les choses intensément, plus on cherche à compenser un manque, comme un patchwork émotionnel.

Tu ne comprendras peut-être pas tout le sous-texte, ou tu as de quoi extrapoler vers une mauvaise interprétation. Tout ce que je voulais dire, c’est que je sais que tu vas revenir plus fort. À l’heure où j’écris ces lignes, tu es là où tu dois être, là où j’aurais dû te voir. Mais je suis ravie de t’avoir vu dans de mauvaises conditions, car je t’ai compris et regardé comme jamais. J’ai entr’aperçu ton prochain spectacle ou ton prochain style comique. Merci de m’avoir offert ça : c’est à ça que servent les soirées d’apparence en demi-teinte. Construis sur ça et rien ne pourra plus t’arrêter.

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