Les mauvaises critiques : enquête sur un phénomène galopant

Juliette Follin 28/08/2017

Les mauvaises critiques font mal à lire pour les artistes et le public qui a aimé le spectacle. Enquête sur un phénomène encore trop répandu.

Il arrive que certaines personnes se rendent à un spectacle. Ils s’assoient plus ou moins confortablement, puis repartent chez eux. En fonction de leur humeur et de leur compagnie, ils peuvent enchaîner en grimpant sur leur partenaire, et un roupillon plus tard, ils s’agrippent à leur téléphone portable. Hop : une nouvelle notification apparaît. C’est l’heure de critiquer le spectacle.

Pendant ce laps de temps, tout peut se passer dans la tête de Mireille (le prénom, le sexe, le code génétique et l’espèce ont été changés). Mireille Grognon, comme Franklin la tortue, sait compter 2 par 2, lacer ses chaussures, et a vaguement appris à lire et écrire il y a un demi-siècle. Son usage approximatif des nouvelles technologies lui permet de l’ouvrir avec un pseudonyme bien camouflé, MireilleLaGrozeille.

Faisons le point sur le profilage de Mireille. Ses gros doigts tremblent sur un clavier déjà moite d’écrits inutiles sur le rôle des courgettes dans son dernier régime raté, mais Mireille se sent forte pour la première fois de sa vie. Elle va dégainer du verbe et descendre un parfait inconnu, sous prétexte qu’il ne lui a pas fait suffisamment oublier ses errances personnelles.

Là, le couperet tombe :

Je me suis endormie
C’était tellement long que j’ai vu ma vie défiler. Artiste surcoté, même Kev Adams ferait mieux. On se demande ce que les programmateurs ont fumé pour faire jouer ce péquenot-là.

Mireille pratique, comme nombre de ses semblables, le Kev Adams bashing. Ce sport est désormais plus populaire encore que la zumba. La distanciation nulle que Mireille est capable de prendre avec le monde qui l’entoure l’a naturellement conduite à le pratiquer.

La reine des mauvaises critiques : qui est Mireille ?

Il existe de nombreuses Mireille (ou Jean-Yves) dans le monde du spectacle vivant. Décortiquons ensemble les profils de mauvais critiqueurs. Élaborons des solutions pour passer à autre chose.

Celui qui veut imposer son sens de l’analyse

Après avoir écumé les fauteuils des scènes parisiennes, notre fan d’humour du dimanche commence à avoir une vision claire de qui fait quoi en matière d’humour. À un moment, Jean-Yves a perdu sa joie de vivre, sa candeur de rire. Il a commencé à côtoyer des humoristes moyennement connus, a peut-être sympathisé avec certains, aussi.

Aujourd’hui, Jean-Yves n’est plus un spectateur comme les autres. Il se fait mousser, on l’écoute vaguement car il est toujours dans le coin. Il doit donc affûter son sens de la critique ; une manière un peu balourde de faire est d’accentuer la déception et cracher son venin comme il convient. Le membre du jury de The Voice Stand-Up est chaud patate (pas comme le spectacle de Norbert de Top Chef, qu’il a naturellement adoré car Norbert passe à la télévision publique nationale). Il est en roue libre, en confiance totale devant son statut autoproclamé de leader d’opinion.

Que faire pour satisfaire Jean-Yves et réduire votre pourcentage de mauvaises critiques ? Dire que vous êtes d’accord avec son analyse après le spectacle et avant qu’il ne retrouve une connexion internet. Lui proposer de vous donner un conseil que vous oublierez aussitôt, sauf le jour où il décide de revenir vous voir.

Celui qui a vu sa copine draguée par l’humoriste

Attention : guerre territoriale en cours. Le mâle alpha de la salle, faisant fi du quatrième mur, s’est amusé avec un couple. Madame a un peu trop ri et monsieur a eu la haine. Le soir-même, après le spectacle, il a joué à guichet fermé son seul-en-scène maison, C’est qui le patron. Toujours un peu remonté, il a ensuite voulu se venger par clavier interposé avec un pseudo toujours aussi prévisible : Rocco le chien fou. Peu de choses à dire sur Rocco, à part une pensée pour les humoristes qui sont les sous-traitants des préliminaires du XXIe siècle. La prochaine fois, Rocco, n’oublie pas cela avant d’opérer une bifle sur ton clavier. Tu économiseras ton engin pour ton passage en scène ouverte sur l’hélicoptère.

Pour éviter les mauvaises critiques, faites en sorte que Rocco soit trouvé sublime par sa partenaire, ou qu’elle soit très douée au lit. Vous pourrez ainsi éviter de passer un sale quart d’heure sur les sites de critiques.

Celui qui n’assume pas d’avoir oublié de se renseigner

L’humour, c’est subjectif. Avec tous les styles existants, il devient important de lire les descriptions de spectacle avant de faire un choix, surtout si l’on est radin. Le spectateur déçu n’aime pas les mauvaises surprises, l’imprévu, la prise de risque. Il a confondu Kevin Razy avec Ramzy, alors forcément, il n’a pas retrouvé les grands bras maigres de Gennevilliers. Se tromper, ça arrive à tout le monde. Il est temps d’assumer et non plus de balancer sa frustration sur un site de critiques.

Une nouvelle fois, pas grand-chose à faire pour vous en sortir. L’ego de cette personne a été profondément touché. La blessure n’étant pas superficielle, laissez passer la tornade des mauvaises critiques.

Celui qui rate un match de foot

Voilà, la coupe est pleine : Jean-Yves n’a pas entendu The Final Countdown, signe des derniers moments d’attente avant le derby Nancy-Metz. Sa femme Brigitte voulait absolument voir Gaspard Proust, et il la soupçonne de fantasmer un peu. Jean-Yves est encore plus au bout de sa vie que Rocco le chien fou.

Donc, n’espérez pas une critique indulgente. En plus, si vous arrivez à vous le mettre dans la poche, Brigitte pourrait le prendre mal. Vous êtes foutu.

La morale de l’histoire : comment faire fi des mauvaises critiques ?

Mireille et Jean-Yves ont raté leur vie, tandis qu’ils aperçoivent un humoriste faire le mariole sur scène. Piqués au vif par cette liberté d’entreprendre un spectacle comique, ils en perdent leur sang-froid. La mauvaise critique, c’est au fond le ricochet de leur frustration d’êtres humains moyennement satisfaits de leur condition. On a tendance à davantage considérer les critiques négatives que les positives.

Rien de plus normal : les gens viennent en général pour rire, se détendre, passer un bon moment. Ils n’ont a priori pas envie d’incarner un chien fou frustré une fois rentrés dans le cagibi qui leur sert de lieu de vie. La quantité de critiques positives est telle qu’on ne les dissocie plus vraiment, sauf s’il y a un trait d’humour dedans. Cela ressemble vaguement à une déferlante de Beliebers, ces fans de Justin Bieber qui semblent avoir perdu la raison face à leur idole (C’est juste une phase, ok ?!). Attention, si vous cliquez sur le lien, préparez-vous à avoir mal aux yeux.

Parmi les critiques positives, on trouve même des ultras qui ont critiqué plusieurs fois le spectacle malgré l’interdiction formelle de le faire (astuce : c’est techniquement possible dès qu’il y a un changement de salle, je pose ça là). Or, quand une critique positive est émise, il faut y inclure 10 fois plus de force et de puissance émotionnelle pour compenser une mauvaise critique. Le fanatique finit en PLS/burn-out assez rapidement face à la connerie humaine.

Si cela peut aider à relativiser, le spot du rire aura essayé. Oui, vous avez le droit de vous plaindre si vous voyez une critique négative sur le site, car ce n’est pas dans l’ADN du spot !

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