Raymond, HAHA, La Chauffe : les nouveaux médias du stand-up

Juliette Follin 18/06/2023

Ça y est, l’humour, c’est hype, et les nouveaux médias du stand-up le prouvent ! Le numéro 2 de la revue Raymond vient d’arriver par la Poste, la revue HAHA a lancé son club cette année… Et les médias sur les réseaux sociaux comme La Chauffe, qui mêlent reels d’ambiance et d’interview en plateau d’humour, se reproduisent à vitesse grand V.

Nouveaux médias du stand-up – Raymond : mon impression sur le numéro 2

Raymond a publié majoritairement des interviews, beaucoup moins d’éditorial. De fait, on a parfois du mal à comprendre pourquoi untel est marrant. Malgré tout, des papiers critiques font leur apparition comme celui sur Florian Nardone. Signé par une journaliste culture chez Nova, Angèle Chatelier, il est l’un des rares à vulgariser le rire.

Cette année, contrairement au premier numéro, je n’apparais pas dans les colonnes de Raymond. Je souhaitais parler de l’humour suisse, mais le créneau humour international était déjà pris avec le Japon. Considérant que malgré un crowdfunding, les papiers n’étaient pas rémunérés, j’ai abdiqué. Et c’est une bonne chose, car les identités de nos médias sont bien différentes.

De nombreuses et longues interviews pépites

Raymond parle d’humour émergent d’une manière assez singulière, et moi aussi. Nous sommes complémentaires et j’adore être en désaccord avec eux sur certains points, me réjouir de voir certains artistes à d’autres moments. Ce que je publie, ils ne pourraient pas le publier — et inversement !

Leur manière de faire parler Rosa Bursztein ou Shirley Souagnon est unique. Ils parlent la langue des journalistes culturels installés et se penchent sur les nouveaux talents. Alléluia !

Ce serait encore mieux avec plus de recul critique : l’exemple d’Adrien Dénouette

Évidemment, quand ils font parler Adrien Dénouette sans aucun regard critique, ça me fait chier. Comme à son habitude, l’essayiste assène des trucs complètement con (la dernière fois, j’ai pris des pincettes… mais parlons vrai pour une fois).

Trois passages m’hérissent le poil (surtout ce qui est en gras) :

  • « Même Gad Elmaleh qui revient aujourd’hui et qui est pour moi l’un des Français les plus talentueux du monde en termes d’humour (…) ».
  • « Si tu commences à me faire la leçon de morale, te faire passer pour un ange, en me donnant des leçons de féminisme, en me donnant des leçons d’écologie comme ce que fait 90% du stand-up français, ça ne m’intéresse pas ». (Le début est bien, le pourcentage abusé…)
  • « Qui m’aime me suive et si vous ne me suiviez pas, j’en ai rien à foutre, de toute façon, j’ai mon public. C’est parce qu’il s’approche le plus de ce noyau subversif, que pour moi il est le seul qui fait vraiment du stand-up ». (Et Kominek bordel ?!?)

On a déjà expliqué que sa connaissance du stand-up était limitée, car il en a vu si peu (voir son interview dans le club HAHA, que j’aborde ici). Donc connaître 3% des artistes en activité (fourchette haute) et parler sans contradictoire, ça m’énerve. S’il aime le stand-up provocateur ou communautaire, grand bien lui fasse. Croire que sa subjectivité vaut vérité, et surtout voir mes concurrents le laisser parler sans le titiller un peu… Après, vous me direz : tu n’as qu’à l’interviewer pour lui mettre le nez dans sa merde. Mais en réalité, je crois que nos mondes sont tellement aux antipodes que ça ne donnerait rien. Aucune envie de croiser un Julien Barret bis qui m’expliquerait c’est quoi la vie sans l’avoir expérimentée.

En résumé, Raymond a fait du bon boulot avec ce nouvel opus, mais ce serait encore mieux avec plus d’analyses et de variété des papiers… et un regard critique, ce serait la cerise sur le gâteau !

Revue HAHA et La Chauffe : deux nouveaux médias de stand-up aux formats distincts

La revue HAHA est un acteur déjà bien implanté (près de 100 numéros !). Louis Bolla, passé par chez nous il y a fort longtemps, continue de se frayer un chemin dans le monde de la critique. Je suis ravie qu’il évolue là-bas, surtout qu’il est rémunéré pour parler d’humour. Il fait le pont entre les sujets hype et la scène émergente, qu’il commence à bien connaître. Ainsi, il épaule bien les fondateurs Adrien Franque et Clément Mathis.

Parfois, les choix de sujets m’emballent moins… mais j’imagine que c’est pareil pour eux quand ils découvrent un énième article sur un suisse romand. Et si vous en avez marre des papiers, vous pouvez désormais profiter de médias vidéo comme La Chauffe !

En 2023, les médias qui cherchent à répertorier les plateaux d’humour et les valoriser se multiplient à vitesse grand V. La Chauffe mêle un peu tout ça. Ils ont commencé par parler des Ouais Ouais Ouais, plateau d’Avril et de Pierre Metzger qui tourne plutôt bien depuis quelques mois. Et ce en dépit d’Hervé, spectateur inconditionnel qui vient chaque dimanche sans porter de chaussures. Le courage (ou la folie marginale ?) de venir à Château d’Eau pieds nus… Son choix de vie est respectable, mais gardons une distance de sécurité la prochaine fois. Étrangement, à force de traverser la France sans chaussures, on dirait que ses fondations n’émettent plus d’odeur. Voilà le genre de bails qu’Adrien Dénouette ou Télérama devrait connaître (imaginez 2 secondes ce que ça engendrerait).

D‘ailleurs, ces deux-là ne bricolent plus un podcast confidentiel, ils sont en train de percer sur TikTok avec leur format « De droite ou de gauche ». C’est marrant : en discutant avec les amateurs de leur humour de la première heure, c’est le segment qu’on n’écoute pas… Celui pour les gens qui aiment les débats sur les réseaux sociaux, qui ne cherchent pas à connaître les coulisses de l’humour.

Les coulisses de l’humour, justement, sont au cœur de La Chauffe. Les vidéos d’ambiance dans les comedy clubs (avec un public de foliiiie ce soir) ne servent pas à grand-chose… Mais les interviews sont assez cool. Et ce n’est que le début ! Au début, on n’était pas bien bon, alors imaginez eux en 2023, avec le stand-up bien plus développé… Ça va cartonner.

Et le spot du rire, dans tout ça ?

Le spot du rire a récemment fêté ses 6 ans. Il y a peu, j’ai cru devoir fermer boutique. En effet, avec une situation professionnelle changeante, j’ai toqué à la porte d’une boîte de prod (heureusement refermée depuis). Leur première réaction : c’est quoi c’machin, ça ne va pas entraver le travail chez nous, hein ? Poker face activée, j’ai dit que ça ne poserait pas problème. Sauf que si, comment pourrais-je abandonner cette partie de moi concoctée avec passion (et beaucoup d’affect, on va pas se mentir) pour gagner ma vie ? Et dans le même temps, comment gagner ma vie avec ce projet qui ne rapporte rien en matière de moula, mais un peu en manière d’épanouissement ? Et qui inspire un peu la presse traditionnelle (ça fait plaisir) ?

Les modèles économiques de mes concurrents sont très fragiles. Clairement, personne ne fait ça pour l’argent. J’ai une nouvelle chance de concevoir ma vie autour d’un projet semi-blague, semi-pro. Je vais devoir prendre du temps pour trouver une formule qui fonctionne (car la bonne formule n’existe pas). Mais je ne m’inquiète pas : le monde du travail part en couilles entre la start-up nation et ses abus et l’entre-soi du monde culturel. Nous avons des médias qui parlent de la même chose et nous n’arrivons pas à nous donner de la force les uns les autres. On dirait la NUPES.

Dans cet océan d’instabilité, la seule fondation aussi solide que les pieds d’Hervé, c’est mon rapport aux artistes. C’est depuis cet endroit singulier que je puise mes papiers et mon énergie (pas les pieds d’Hervé, mon Dieu). J’aime bien bosser dans un autre secteur à côté, mais cela a l’inconvénient de m’user. Je ne suis pas un cas unique, mais j’ai confiance. En effet, pour continuer à donner envie aux gens de bosser dans des projets, avec ou sans comédie, il faudra de toute manière revenir à la raison. Et ça commence par prendre un peu de temps cet été pour se poser sur cette trajectoire future.

A propos de l'auteur