Quelques mots sur le livre Nik ta race

Juliette Follin 20/04/2023

J’ai lu Nik ta race – Une histoire du rire en France d’Adrien DĂ©nouette. Pour le pitch, vous pouvez lire l’interview de Louis Bolla dans le club HAHA (accĂšs payant) ou Ă©couter les interventions de l’auteur sur France Culture.

Nik ta race est le deuxiĂšme ouvrage de la maison d’édition Façonnage Éditions que je lis, aprĂšs Rire au temps de la honte – Une histoire de Louis C. K. Le premier Ă©tait Ă  la fois obscur et illisible, un mauvais souvenir de lecture et un ton polĂ©miste oĂč l’on sentait que l’auteur se parlait Ă  lui-mĂȘme.

Nik ta race : ode à l’humour populaire, à la marge comme les banlieues

Nik ta race a le mĂ©rite d’ĂȘtre bien mieux Ă©crit que l’essai sur Louis C. K., et se dĂ©douane d’ĂȘtre exhaustif ou objectif. La promesse : redonner ses lettres de noblesse au rire dit « populaire Â», associĂ© Ă  la banlieue et plus largement Ă  la marge. Écrit par un expert Ăšs cinĂ©ma, il cite de nombreuses rĂ©fĂ©rences qui raviront les connaisseurs de comĂ©die française et rendront la comprĂ©hension plus ardue pour les autres. NĂ©anmoins, cela donnera envie au lecteur, s’il le souhaite, d’en apprendre plus sur le sujet.

En stand-up, l’auteur est formel : le meilleur, c’est Mustapha El Atrassi. Pour le reste, circulez, y a rien Ă  voir. Une opinion partagĂ©e par certains humoristes en activitĂ©, qui fantasmaient son indĂ©pendance et son absence de concession. En d’autres termes, un puriste boudĂ© par les mĂ©dias. J’ai peu connu son Ɠuvre, hormis un spectacle vu sur internet et une sĂ©quence Ă  la tĂ©lĂ©vision oĂč on lui faisait comprendre que c’était Ă  lui d’avaler la pilule et d’accepter qu’un autre lui ait volĂ© son rĂ©pertoire de blagues. Une scĂšne lunaire, Ă  contre-courant de ce qui aurait dĂ» ĂȘtre fait : dĂ©savouer Malik Bentalha et tous ceux qui nuisent aux auteurs.

Une analyse du stand-up déconnectée du terrain ?

Le problĂšme, dans ce « circulez, y a rien Ă  voir Â», c’est que l’auteur confie ne pas vraiment connaĂźtre le stand-up français. Voici ce qu’il confiait au club HAHA :

En fait, je vais rarement voir du stand-up, parce que ça ne me plaĂźt pas. Je ne trouve pas ça drĂŽle, je trouve mĂȘme Ă§a narcissique. Sauf que je reconnais qu’il y des gĂ©nies lĂ -dedans : Louis C.K., Chris Rock, Dave Chappelle, Ricky Gervais et Bill Burr. En France, je n’ai vu que la moitiĂ© du spectacle de Blanche Gardin, qui fait aussi partie des gĂ©nies, et Mustapha El Atrassi.

Comment un universitaire peut-il se satisfaire de parler du monde du stand-up français en se basant sur un corpus aussi restreint ? Affirmer que rien ne vaut la peine quand on ne sait pas ce qui se joue dans les salles confidentielles, loin des mĂ©dias qui ont pignon sur rue, c’est l’hĂŽpital qui se fout de la charitĂ©. Notons quand mĂȘme que Blanche Gardin, classĂ©e par les gĂ©nies selon DĂ©nouette, n’a pas rĂ©ussi Ă  le maintenir devant l’écran tout au long de son Ɠuvre.

La lutte des classes en toile de fond de Nik ta race
 mais oĂč sont les autres rĂ©voltes du LOL ?

L’auteur parle souvent de lutte des classes, qu’il estime centrale pour comprendre un phĂ©nomĂšne bien particulier. Pourquoi existe-t-il une culture acceptable promue par la bourgeoisie vs. une culture banlieusarde, irrĂ©sistiblement subversive et fatalement invisible ? DĂ©nouette parle ainsi, trop briĂšvement peut-ĂȘtre, de Mourad Winter. Ses livres brillants, ses provocations Ă  la prĂ©cision chirurgicale, son cĂŽtĂ© hors du circuit stand-up, son aura dans le milieu, entre clivage et appel au gĂ©nie
 Tout y est : DĂ©nouette vise juste. En revanche, ce dernier rejette certaines formes de militantisme (on comprend entre les lignes qu’il vise le fĂ©minisme et les identitĂ©s de genre) qui font aussi l’humour de 2023.

En substance, c’est OK si El Atrassi fait dans la misogynie (l’auteur mentionne que ses dĂ©tracteurs le lui reprochent)
 mais Ă  part Blanche Gardin, on ne parle guĂšre d’autre chose que d’hommes humoristes dans ce livre. Et que dire de ce chapitre sur GĂ©rard Depardieu, quasiment encensĂ© pour son cĂŽtĂ© brut de dĂ©coffrage ? L’auteur ne pouvait pas savoir que Mediapart allait parler du mĂȘme « GĂ©gĂ© Â» dans un dossier bien gratinĂ© en matiĂšre de #MeToo. Il n’empĂȘche : ĂȘtre dithyrambique sur ceux qui ne savent pas se tenir et semblent se moquer du respect d’autrui crĂ©e un malaise. La satire ou la subversion peuvent-elles aussi rimer avec Ă©lĂ©gance ? Peut-ĂȘtre, mais toute la thĂšse du bouquin prendrait l’eau.

L’humour des Nuls Ă  l’anglo-saxonne comme bouc Ă©missaire

Autre Ă©trangetĂ© : tantĂŽt, l’humour venu d’ailleurs est vantĂ©. TantĂŽt, il est fustigĂ© car pas suffisamment français, ou populaire. Étrange parallĂšle quand on lit Ă©galement que l’apport d’autres cultures enrichit ce qu’une petite caste bourgeoise appauvrit de par sa consanguinitĂ©. L’humour anglo-saxon en prend Ă©normĂ©ment pour son grade, comme Quentin Dupieux. Dans le mĂȘme temps, Franck Gastambide se fait encenser de tous les cĂŽtĂ©s.

Et l’auteur, comme bon nombre de ses semblables qui s’expriment sur le rire via des canaux institutionnels, mentionne Ă©galement sa prĂ©fĂ©rence pour le stand-up amĂ©ricain :

Si les États-Unis sont devenus le pays le plus drĂŽle du monde, c’est que la culture n’y est pas sous emprise bourgeoise. On peut bien plus facilement consacrer un comique. L’idiotie absolue peut donner des films classiques.

Un argument qu’on lit beaucoup dans la presse culturelle, mais qu’on ne questionne pas. Le point de vue semble d’ailleurs aux antipodes de l’impulsion d’un Haroun, qui traduit stand-up en pasquinade. Il est dommage de ne pas voir cet Ă©lĂ©ment apparaĂźtre pour mettre Ă  l’épreuve cette croyance. Car non, le stand-up amĂ©ricain n’est pas le meilleur en la matiĂšre. Il a certains atouts, comme la concision de la langue anglaise, mais il pose d’autres questions propres Ă  l’histoire du pays. Peut-ĂȘtre que la bourgeoisie n’a pas le mĂȘme impact, mais oublier la tradition puritaine du pays, ou ne pas la mentionner, empĂȘche de clore ce dĂ©bat finalement insoluble.

En rĂ©sumĂ©, Nik ta race est-il une rĂ©ussite ou vouĂ© Ă  gĂ©sir dans la poussiĂšre d’une bibliothĂšque ?

Difficile de rĂ©pondre Ă  cette question de maniĂšre dĂ©finitive. D’une part, sa force est qu’il amĂšne le lecteur Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  son rapport Ă  l’humour. Puisqu’il souligne les ƓillĂšres des programmateurs et faiseurs d’humoristes, il a de la valeur. Cela vaut Ă  la fois pour ceux qui ont trop de pouvoir comme pour ceux qui, comme nous, leur emboĂźtent le pas tapis dans l’ombre. Mention spĂ©ciale Ă  la fin, lyrique et passionnĂ©e, qui crĂ©e enfin un pont avec le lecteur. D’autre part, puisqu’il assĂšne ses propres vĂ©ritĂ©s et parle Ă  une audience trĂšs restreinte, il est perfectible.

Le principal écueil de ce livre ? Incontestablement, la méconnaissance de la scÚne humoristique actuelle !

Classer McFly et Carlito parmi les humoristes et ne pas avoir idĂ©e de ce qui se joue dans les petites salles
 Ou encore estimer que le roast Ă  la francophone n’existe pas sans avoir vu un Mokiri ou un roast Ă  la Suisse
 Vous savez, les gens neutres qui, selon la lĂ©gende, ne font pas de vagues ? Tout ceci fleure bon l’approximation et la dĂ©connexion du terrain. Chercher dans les livres et les Ɠuvres culturelles est une chose, ne pas plonger dans le spectacle vivant en salles en est une autre. Dommage, car les prises de position assumĂ©es de ce livre auraient eu plus de saveur avec cet ingrĂ©dient supplĂ©mentaire !

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