Quelques mots sur le livre Nik ta race
J’ai lu Nik ta race – Une histoire du rire en France d’Adrien Dénouette. Pour le pitch, vous pouvez lire l’interview de Louis Bolla dans le club HAHA (accès payant) ou écouter les interventions de l’auteur sur France Culture.
Nik ta race est le deuxième ouvrage de la maison d’édition Façonnage Éditions que je lis, après Rire au temps de la honte – Une histoire de Louis C. K. Le premier était à la fois obscur et illisible, un mauvais souvenir de lecture et un ton polémiste où l’on sentait que l’auteur se parlait à lui-même.
Nik ta race : ode à l’humour populaire, à la marge comme les banlieues
Nik ta race a le mérite d’être bien mieux écrit que l’essai sur Louis C. K., et se dédouane d’être exhaustif ou objectif. La promesse : redonner ses lettres de noblesse au rire dit « populaire », associé à la banlieue et plus largement à la marge. Écrit par un expert ès cinéma, il cite de nombreuses références qui raviront les connaisseurs de comédie française et rendront la compréhension plus ardue pour les autres. Néanmoins, cela donnera envie au lecteur, s’il le souhaite, d’en apprendre plus sur le sujet.
En stand-up, l’auteur est formel : le meilleur, c’est Mustapha El Atrassi. Pour le reste, circulez, y a rien à voir. Une opinion partagée par certains humoristes en activité, qui fantasmaient son indépendance et son absence de concession. En d’autres termes, un puriste boudé par les médias. J’ai peu connu son œuvre, hormis un spectacle vu sur internet et une séquence à la télévision où on lui faisait comprendre que c’était à lui d’avaler la pilule et d’accepter qu’un autre lui ait volé son répertoire de blagues. Une scène lunaire, à contre-courant de ce qui aurait dû être fait : désavouer Malik Bentalha et tous ceux qui nuisent aux auteurs.
Une analyse du stand-up déconnectée du terrain ?
Le problème, dans ce « circulez, y a rien à voir », c’est que l’auteur confie ne pas vraiment connaître le stand-up français. Voici ce qu’il confiait au club HAHA :
En fait, je vais rarement voir du stand-up, parce que ça ne me plaît pas. Je ne trouve pas ça drôle, je trouve même ça narcissique. Sauf que je reconnais qu’il y des génies là-dedans : Louis C.K., Chris Rock, Dave Chappelle, Ricky Gervais et Bill Burr. En France, je n’ai vu que la moitié du spectacle de Blanche Gardin, qui fait aussi partie des génies, et Mustapha El Atrassi.
Comment un universitaire peut-il se satisfaire de parler du monde du stand-up français en se basant sur un corpus aussi restreint ? Affirmer que rien ne vaut la peine quand on ne sait pas ce qui se joue dans les salles confidentielles, loin des médias qui ont pignon sur rue, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Notons quand même que Blanche Gardin, classée par les génies selon Dénouette, n’a pas réussi à le maintenir devant l’écran tout au long de son œuvre.
La lutte des classes en toile de fond de Nik ta race… mais où sont les autres révoltes du LOL ?
L’auteur parle souvent de lutte des classes, qu’il estime centrale pour comprendre un phénomène bien particulier. Pourquoi existe-t-il une culture acceptable promue par la bourgeoisie vs. une culture banlieusarde, irrésistiblement subversive et fatalement invisible ? Dénouette parle ainsi, trop brièvement peut-être, de Mourad Winter. Ses livres brillants, ses provocations à la précision chirurgicale, son côté hors du circuit stand-up, son aura dans le milieu, entre clivage et appel au génie… Tout y est : Dénouette vise juste. En revanche, ce dernier rejette certaines formes de militantisme (on comprend entre les lignes qu’il vise le féminisme et les identités de genre) qui font aussi l’humour de 2023.
En substance, c’est OK si El Atrassi fait dans la misogynie (l’auteur mentionne que ses détracteurs le lui reprochent)… mais à part Blanche Gardin, on ne parle guère d’autre chose que d’hommes humoristes dans ce livre. Et que dire de ce chapitre sur Gérard Depardieu, quasiment encensé pour son côté brut de décoffrage ? L’auteur ne pouvait pas savoir que Mediapart allait parler du même « Gégé » dans un dossier bien gratiné en matière de #MeToo. Il n’empêche : être dithyrambique sur ceux qui ne savent pas se tenir et semblent se moquer du respect d’autrui crée un malaise. La satire ou la subversion peuvent-elles aussi rimer avec élégance ? Peut-être, mais toute la thèse du bouquin prendrait l’eau.
L’humour des Nuls à l’anglo-saxonne comme bouc émissaire
Autre étrangeté : tantôt, l’humour venu d’ailleurs est vanté. Tantôt, il est fustigé car pas suffisamment français, ou populaire. Étrange parallèle quand on lit également que l’apport d’autres cultures enrichit ce qu’une petite caste bourgeoise appauvrit de par sa consanguinité. L’humour anglo-saxon en prend énormément pour son grade, comme Quentin Dupieux. Dans le même temps, Franck Gastambide se fait encenser de tous les côtés.
Et l’auteur, comme bon nombre de ses semblables qui s’expriment sur le rire via des canaux institutionnels, mentionne également sa préférence pour le stand-up américain :
Si les États-Unis sont devenus le pays le plus drôle du monde, c’est que la culture n’y est pas sous emprise bourgeoise. On peut bien plus facilement consacrer un comique. L’idiotie absolue peut donner des films classiques.
Un argument qu’on lit beaucoup dans la presse culturelle, mais qu’on ne questionne pas. Le point de vue semble d’ailleurs aux antipodes de l’impulsion d’un Haroun, qui traduit stand-up en pasquinade. Il est dommage de ne pas voir cet élément apparaître pour mettre à l’épreuve cette croyance. Car non, le stand-up américain n’est pas le meilleur en la matière. Il a certains atouts, comme la concision de la langue anglaise, mais il pose d’autres questions propres à l’histoire du pays. Peut-être que la bourgeoisie n’a pas le même impact, mais oublier la tradition puritaine du pays, ou ne pas la mentionner, empêche de clore ce débat finalement insoluble.
En résumé, Nik ta race est-il une réussite ou voué à gésir dans la poussière d’une bibliothèque ?
Difficile de répondre à cette question de manière définitive. D’une part, sa force est qu’il amène le lecteur à réfléchir à son rapport à l’humour. Puisqu’il souligne les œillères des programmateurs et faiseurs d’humoristes, il a de la valeur. Cela vaut à la fois pour ceux qui ont trop de pouvoir comme pour ceux qui, comme nous, leur emboîtent le pas tapis dans l’ombre. Mention spéciale à la fin, lyrique et passionnée, qui crée enfin un pont avec le lecteur. D’autre part, puisqu’il assène ses propres vérités et parle à une audience très restreinte, il est perfectible.
Le principal écueil de ce livre ? Incontestablement, la méconnaissance de la scène humoristique actuelle !
Classer McFly et Carlito parmi les humoristes et ne pas avoir idée de ce qui se joue dans les petites salles… Ou encore estimer que le roast à la francophone n’existe pas sans avoir vu un Mokiri ou un roast à la Suisse… Vous savez, les gens neutres qui, selon la légende, ne font pas de vagues ? Tout ceci fleure bon l’approximation et la déconnexion du terrain. Chercher dans les livres et les œuvres culturelles est une chose, ne pas plonger dans le spectacle vivant en salles en est une autre. Dommage, car les prises de position assumées de ce livre auraient eu plus de saveur avec cet ingrédient supplémentaire !