Décembre en Suisse : Footaises, Chinet, Crausaz, Revue…

Juliette Follin 08/12/2022

Parfois, je me demande pourquoi je reviens encore et toujours en Suisse. Il faut dire que ce séjour n’était pas comme les autres : un retour en arrière personnel m’a fait de nouveau passer par la case location de vacances. Je me demandais sincèrement ce que je foutais là. La ville, je la connais suffisamment pour ne plus regarder mon téléphone en allant d’un point A à un point B. Dans ce cas, comment poursuivre les découvertes ?

Couleur 3 comme refuge hivernal suisse

Pour me réconforter, j’ai entamé ce périple en fonçant directement à Couleur 3. Les Bras Cassés le mercredi, puis le jeudi et surtout Footaises le vendredi. À chaque fois, plusieurs heures passées dans ces studios sombres… mais tellement lumineux par leurs programmes et les gens qui les font. Mention spéciale à l’accueil de Charles-Adamir Bernhard. Mec, faut que tu fasses quelque chose avec ta voiture, mais merci pour l’immersion. Autre mention spéciale au chat qui traîne dans les studios de la RTS à Lausanne. Il est venu voir Footaises sans billet, ce fou.

Comédie Club 13 vs. Montreux : le derby comique suisse

Le jeudi soir, retour dans un autre lieu emblématique de l’humour à Lausanne : le Comédie Club 13. Quand certains s’émerveillent face à la grande roue lumineuse installée juste au bout de la rue Cité Devant, d’autres s’engouffrent dans la cave du Treizième siècle pour rire. J’avais surtout vu des scènes ouvertes là-bas, mais désormais, les spectacles donnent un autre cachet à cette cave intimiste.

Jérémy Crausaz, que j’avais soigneusement évité au Théâtre le Lieu à Paris, m’a convaincue cette fois-ci. Les mauvaises langues pourraient dire que je le favorise depuis qu’il est aux Bras Cassés. Oui, mon regard a changé en l’entendant livrer ses chroniques. Mais être bon en chronique et en spectacle, ce sont deux choses bien différentes. Ses forces sont les punchlines très millimétrées (on dirait du Pierre Thevenoux… mais aussi le sens de l’humour. Certains passages sont hilarants. Il reste à parfaire la structure, mais la base est bien plus que saine. Il faut dire que Jérémy n’en est plus à ses débuts avec ce spectacle, et ça se sent. En bref, une belle surprise et un talent à surveiller.

Les programmes du vendredi et du samedi n’avaient rien à voir. D’une part, le match Suisse-Serbie commenté sur Couleur 3 par Fantin Moreno et Charles Nouveau, ponctué d’absurdités signées Blaise Bersinger. D’autre part, dans un café-théâtre attenant à une villa de Lutry, le chroniqueur Albert Chinet exerçait son premier métier : la musique. Un concert intimiste dans un lieu au charme incroyable. L’accueil du personnel était probablement l’un des meilleurs, il y avait une ambiance jazzy/lumières tamisées à la Duke Silver dans Parks and Rec… et surtout Albert Chinet, dont je vous ai déjà (beaucoup) parlé.

Un retour de Passions très musical

Si les passages à Couleur 3 étaient agréables comme souvent, les retrouvailles avec Albert me rappelaient instantanément ce que je faisais là. Avec une simplicité désarmante, cette soirée m’a fait me sentir au bon endroit, au bon moment. Le concert était très différent de ce que j’ai l’habitude de voir. En revanche, retrouver les commentaires humoristiques d’Albert Chinet entre ses chansons était revigorant.

C’est le dimanche, en relançant le podcast Passions avec Albert (qui sortira le 16/12), que j’ai compris l’essence de cet artiste. Le type fait de l’art pour que ça connecte, un peu comme les bons stand-uppers. Il me confiait avoir du mal à décrypter les comportements de ses semblables, mais je n’ai absolument pas ce ressenti. J’espère vivement que son intelligence émotionnelle est communicative, parce que c’est de la très bonne came. Un exemple pour étayer mes propos ? Au terme du podcast, le voilà qui dégaine Gran Turismo 7 devant mes yeux. Je ne voulais plus partir de son studio… J’étais même à ça d’annuler la Revue de Lausanne. Je l’aurais regretté si j’avais suivi mes instincts mécaniques !

La Revue de Lausanne : grandiose sinon rien

La Revue de Lausanne, c’est un spectacle annuel qui revient sur l’actualité locale. Il y en a un peu partout en Suisse. Mais pour bien les apprécier, il faut suivre les infos tant les références sont précises. La scénographie, la pluralité des tableaux et des écritures servent très bien cette nouvelle version. Officiellement, la revue annonce que Sébastien Corthésy, Benjamin Décosterd et Blaise Bersinger ont œuvré à l’écriture, mais la liste est plus longue encore. Ce n’était pas la première que je voyais, mais la première en vrai. Et ça change la donne : j’ai pris une claque, alors que le spectacle dure près de deux heures. Normalement, ce genre de détail me fait perdre mon sang-froid. Mais l’enchaînement des scènes, la qualité de l’écriture et du jeu des comédiens sur scène et surtout la patte humoristique lausannoise offrent un spectacle assez grandiose, peut-être l’un des meilleurs que j’aie vus.

L’émotion atteignait son paroxysme lors de l’hommage à Pierre Naftule. Disparu cette année, cet homme a beaucoup œuvré pour le rayonnement de l’humour romand. Tout à coup, j’ai saisi que sans lui, ce moment-là n’aurait pas eu lieu. Et toutes ces rencontres, cette envie de découvrir ce monde-là, ça n’existerait pas dans mon parcours de vie. L’impact des gens dans cette industrie est ce qui fait son sel. On ne retient pas une punchline, une performance d’un soir… alors que l’humanité des gens sur scène ou derrière un micro, c’est avec ça qu’on vibre vraiment.

Alors oui, tout cela valait le coup. Même si bien sûr, si vous n’êtes pas de Lausanne ou des environs, toutes ces références peuvent vous sembler lointaines, peu intéressantes. Foutue loi de proximité. Quoi que… Quand on voit l’engouement pour Montreux, on se dit qu’il faut regarder juste à côté. Derrière les stories dans des palaces, on se pose comme d’habitude des questions sur la programmation. Certaines recrues rendent fiers, tandis que d’autres donnent envie de ne jamais y foutre les pieds. Il faut de tout pour constituer des galas, et pour contenter les subjectivités de chacun. Mais comme en 2021, j’entends une chronique sur les ondes suisses pour fustiger la qualité des passages. Et les blagues nulles sur les Suisses que certains s’obstinent à ne pas apprendre à connaître. Faites un effort, les Français.

Pour revenir à la loi de proximité, il y a certainement des choses aussi qualitatives à Paris, où l’offre est d’une densité folle. Mais certains ingrédients font que cela n’a pas la même saveur à Lausanne. En 2023, j’espère emmener dans mes valises d’autres férus d’humour suisse basés en France. Car oui, nous sommes en train de monter une communauté. Nous avons des références communes et nous aimons les partager entre nous. Comme dirait Arezki Chougar, join us… Parce qu’on se marre bien.

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© Louise Rossier

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