Seuls : on a vu le rodage du nouveau spectacle d’Haroun

Juliette Follin 23/10/2020

Haroun revient en spectacle avec Seuls. Le spot du rire a assisté au rodage de ce nouvel opus énigmatique au théâtre le Métropole. Comment l’un des patrons du rire francophone prépare-t-il son nouveau succès au théâtre Édouard VII en 2021 ? Retour sur une troisième représentation de qualité.

Seuls : Haroun envoie du lourd en vidéo… mais quel spectacle allez-vous voir ?

Paris, 3 octobre 2020. Je me retrouve devant le théâtre le Métropole par hasard. J’y découvre l’affiche du nouveau spectacle Seuls. Coup de chance : si la place est à 30 euros pour un rodage, il suffit d’une annonce pour que tout affiche complet en un temps record. J’ai réservé la veille in extremis, le jour J tout était quasiment complet en dépit du couvre-feu…

Plutôt que de vendre son spectacle via un pitch, Haroun préfère une bande-annonce qui envoie du lourd. En vidéo comme dans tout son art, Haroun est diablement efficace. Cela l’aide à amener les spectateurs derrière l’écran au théâtre.

Sans un mot, Haroun frappe fort. Quel spectacle un stand-upper silencieux va-t-il bien pouvoir offrir au public ? Le défi est de taille : la bande-annonce nous amène à nous projeter. J’aurais juré avoir lu un descriptif de spectacle, tant je l’avais imaginé. J’avais anticipé la thématique, je me projetais déjà. Trop ?

En effet, je voyais Haroun aborder l’effondrement du débat d’idées, celui qui nous isole dans des bulles sociales ou idéologiques au détriment du lien social. Je pensais qu’il mélangerait ses deux côtés « Dr Jekyll » et « Mr Hyde » pour démontrer que tout n’est jamais tout blanc ou tout noir.

Dr Jekyll et Mr Hyde : quand un personnage désabusé prend le contrôle

En réalité, le traitement m’a surpris. Au lieu de mélanger les genres et jouer sur des nuances, Haroun introduit un personnage radicalement différent. Dépressif, cynique et complètement désabusé… Il m’a un peu fait penser à Ghislain Blique, lors des premiers instants. Surtout quand il soupirait : c’était à s’y méprendre ! Cela dit, il ne ressemble pas tellement au (faux) « connard » que Ghislain aime incarner. On vous laisse la surprise… Même si vous pouvez vous attendre à un brin de cruauté !

Haroun : toujours efficace, malgré une prise de risque limitée

Pour le reste, on retrouve la « patte » Haroun : parler d’actualité avec beaucoup de réflexion, tout en apposant des moments d’humour pur, bien plus primaire. Le contraste fonctionne comme toujours, même si la forme est répétitive à la longue.

En cela, ce personnage vient rythmer le spectacle sans trop innover. Rien de surprenant : Haroun se repose sur une maîtrise supérieure à la moyenne. Il apporte de petites touches pour combler son public habituel. Pour le reste, son approche est un peu celle d’un Niki Lauda, celui qui s’accorde un pourcentage de risque limité. On aurait aimé un zeste de folie d’un James Hunt pour aller encore plus loin. Peut-être que cela viendra au fil de l’eau et des représentations. (Si vous n’avez pas la référence, regardez Rush. Retenez simplement que, guidé par cette philosophie, le gars a été un grand champion influent toute sa vie…)

Seuls, un spectacle évolutif, rodé en plateau : conseils pour garder l’effet de surprise devant Haroun

Haroun a d’ailleurs pour habitude d’adapter son spectacle au gré de l’actualité. Il écume les plateaux d’humour avec une discipline de fer que l’on retrouve chez un Roman Frayssinet. Mon conseil pour apprécier ces deux humoristes, et plus largement les ténors du rire : allez les voir en spectacle. Dans la mesure du possible, et surtout avant la représentation, évitez-les en plateau.

Vous conserverez ainsi l’effet de surprise de la première fois. Comme j’étais à la captation du plateau Pasquinade, j’ai vu certains passages que j’avais adorés. À la seconde écoute, je savais ce qui allait arriver et je riais plus mécaniquement, moins fortement. J’ai eu le même phénomène en découvrant Roman Frayssinet à l’Européen quelques années plus tôt…

La qualité toujours au rendez-vous

Ne vous méprenez pas : le spectacle Seuls de l’humoriste Haroun sera bon. Je l’ai découvert à la troisième date de son rodage. Précis, efficace, Haroun n’était en rien hésitant. On a affaire à un professionnel. Voir un rodage d’un comique déjà au point n’a rien à voir avec un rodage d’un nouveau venu à la Petite Loge, par exemple. Un premier spectacle, c’est un laboratoire. Tout est à construire ! L’univers, l’efficacité, l’originalité, le style…

En revanche, le nouveau spectacle d’un artiste validé et acclamé par la critique suppose des normes élevées de qualité. Une pression colossale qui impose de continuer d’évoluer au plus haut niveau. On ne le regarde pas avec le même prisme de lecture. Dans le viseur d’un critique, c’est moins jouissif, plus analytique. Pour l’artiste, le rapport au risque et à l’échec diffère…

Pour mieux vous projeter, voici divers cas de figure. Quand on adore Haroun et qu’on le suit depuis ses débuts, j’imagine que c’est un pur plaisir de retrouver les gimmicks, sa marque de fabrique, etc.

Quand on suit Haroun de temps en temps, on a déjà vu le tour de magie, ce qui n’empêche pas l’émerveillement. Tout dépend ensuite si vous aimez l’humour politique, efficace et taquin. Si oui, Haroun vous ravira amplement.

Si vous préférez l’humour absurde, par exemple, et que vous voulez découvrir une pointure du rire, c’est une autre histoire. Haroun saura vous plaire, bien sûr… Mais ce sera peut-être juste un bon spectacle pour vous. Toutefois, beaucoup en rêvent sans jamais y parvenir. En définitive, lui le réalise une nouvelle fois. Quand on voit un Ricky Gervais s’essouffler, là est peut-être la prouesse…

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