Stage de clown d’Hervé Langlois : en immersion

Juliette Follin 01/12/2019

Le Laugh Steady Crew propose certains week-ends un stage de clown animé par Hervé Langlois. Thierno Thioune, metteur en scène de la troupe, n’est apparemment jamais bien loin. Même par SMS, il parvient en effet à chapeauter ces instants où les futurs comiques parfont leur art. On a pu assister à l’une des séances, et c’était particulier.

Stage de clown d’Hervé Langlois : les artistes et le reste du monde

Autant, j’étais très curieuse de voir ce qui allait se passer. Mais j’étais assez mal à l’aise et j’espérais qu’on allait m’oublier. J’ai décidé de me caler tout au fond de la salle, mais le formateur avait les yeux partout. « Elle vient pas, celle-là ? »

Non, vraiment, oubliez-moi. Présentée comme une journaliste, je me sentais défaillir et je voyais son regard un peu perplexe. « Elle peut participer au début, c’est juste un truc de présentation, l’harmonisation… »

Ça sentait le piège. Heureusement, Florencia, la femme de l’ombre du Laugh Steady Crew, refusait aussi cette « harmonisation » et m’aidait à formuler ce « non » qui me sauvait vraiment la mise.

Parce que dans les formations classiques, il y a un temps de brise-glace. Où on va s’assurer que les gens sont bien engagés. Un peu comme un dentiste qui t’informe des soins qu’il va prodiguer avant de se mettre au travail. Là, non. Tous les artistes jouent le jeu et obéissent à la moindre requête. J’aurais fait 3 AVC à leur place. Le lâcher-prise, le fait d’oublier le regard des autres pour revenir à une forme d’animalité, occupera ainsi la première heure. J’ose à peine regarder ce qu’il se passe et je ne regarde plus personne dans les yeux. Alors qu’en réalité, tout le monde s’en fiche qu’on les regarde faire des bruits gênants ou « faire du poney ». Je ne vous le raconterai pas, cela se vit.

Les stand-uppers sont des comédiens

L’objectif de ce stage de clown, c’est de savoir utiliser son corps à bon escient sur scène. Il y a aussi le lâcher prise qui permet de stimuler sa créativité et de développer l’écriture automatique. Même moi, j’apprends des choses et je vois que les conseils d’Hervé Langlois sont véridiques. Le langage corporel en dit beaucoup.

Au fil de la journée, les exercices se rapprochent de l’expérience scénique. Un exercice en particulier les pousse à sortir de leur coquille. Hervé Langlois ne connaît pas forcément les élèves présents, mais il comprend ce qui les bloque ou ce qui pourrait les rendre meilleurs. Il va provoquer ou désinhiber les introvertis et globalement sortir tout le monde de sa zone de confort. Ou alors sublimer leur art…

J’ai pris cher…

Heureusement, j’étais toujours à l’écart de l’exercice. Jusqu’à ce que Mamari reçoive l’ordre de se mettre en colère. Louis Chappey a commencé à prendre cher, c’était puissant. Et elle partait en furie avant de se rapprocher dangereusement de la zone où j’observais ce manège.

Si Pierre DuDza a promis de m’offrir un roast après son interview, Mamari a pris les devants. J’étais déjà prostrée, et j’allais ressentir le besoin de me mettre en boule et de disparaître loin, très loin.

Si aujourd’hui, je vous écris en ayant survécu, c’est dû à une chose essentielle. Mamari a un sens de l’observation très fort. En prime (et merci), elle est une lectrice fidèle, donc elle savait exactement où taper. Sans préparation, elle tournait en dérision ma manière de faire des critiques stand-up. En 5 phrases, elle me renvoyait toute la crainte que certains humoristes ont à mon égard, celle de tomber sur une mauvaise critique rédigée par mes soins.

Momentum au stage de clown d’Hervé Langlois

Ça aurait pu tourner au vinaigre, mais non. Pourquoi ? Parce que soudainement, je recevais les coups, de plus en plus justes, et Mamari et moi partagions la vulnérabilité de l’instant. Ce flottement où on risque d’offenser, mais où ça n’arrive pas. La limite de ce que je peux encaisser n’est pas franchie, parce que Mamari utilise son intelligence pour comprendre ce qu’elle peut dire ou non. J’ai pris une claque artistique et mon ego est resté intact. Ça, les amis, c’est un bon roast. Bien joué, Mamari.

Bon, j’ai flippé comme jamais et je suis restée en boule de peur d’entendre un truc litigieux face à cette bande d’humoristes. Les 20 minutes suivantes, je n’arrivais pas à respirer normalement et j’en tremblais encore. J’ai même perçu que j’étais en infériorité numérique face à ces artistes, et qu’ils auraient bien pu me tuer. Me faire taire pour toujours, me couper les mains, que sais-je encore ? Paranoïa, quand tu nous tiens… Si tu ne comprends pas, reste assise sur un banc à regarder des artistes devenir des clowns. Tu ne seras pas déçu du voyage.

Verdict

On dit souvent que le stand-up, c’est simplement venir sur scène et parler dans un micro. Ce stage vient contredire ce mythe. Bien sûr, on peut s’en tenir là, mais on passe à côté de tellement de choses. Aude Alisque le décrivait finement dans son interview :

Ça m’a vraiment aidé à me libérer de la peur de proposer certaines choses sur scène. Par exemple, j’avais fait un stage d’une semaine avec Hervé Langlois. Tu commences à adopter un comportement et il te pousse à aller au bout. Au terme du stage, je n’avais plus peur de rien : me mettre à hurler, aller dans l’étrange, lécher un mur. Depuis, les limitations sont parfois revenues. Dans l’ensemble, j’ai réalisé que je n’allais pas mourir si je proposais quelque chose de vraiment bizarre sur scène. Tout passe si tu assumes jusqu’au bout. Ça a tout libéré, et le corps notamment.

Là, le stage était plus court et il y avait un peu trop de monde. Mais ils promettent que la prochaine fois, ça ira mieux. Espérons qu’ils puissent proposer des stages avec 12 participants maximum. Pour avoir formé des gens dans ma vie précédente, c’est la limite à ne pas dépasser pour une expérience personnalisée et percutante.

Et d’ailleurs, même si nous avons choisi d’illustrer l’article avec Monsieur Fraize, nul besoin de se réclamer dans sa mouvance pour faire du clown… Aude Alisque en est le meilleur exemple, et elle a vraiment progressé avec ce stage. Je l’ai remarqué au fil de ses scènes, alors que je la suivais à son premier Dimanche Marrant notamment. Ajoutez à ça le Laugh Steady Crew, et vous obtenez une présence scénique augmentée…

Crédits photo

Monsieur Fraize © Christine Coquilleau

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