À propos du courage : ode à la liberté des humoristes

Juliette Follin 18/06/2021

« Tu es courageuse. » Je l’entends de plus en plus, cette phrase. Parce qu’on part, parce qu’on dit stop, parce qu’un puissant nous empêche d’évoluer comme bon nous semble, en toute liberté. Est-ce ça, le courage ?

La censure intellectuelle s’installe à vitesse grand V. Quand Ambroise Carminati et l’équipe du podcast Une bonne fois pour toutes échange sur « Peut-on rire de tout ? » en toute indépendance, tout va bien. En revanche, dès que des intermédiaires s’en mêlent et ont peur du préjudice envers leur institution ou leur entreprise, la machine s’enraye.

Il est acceptable de réfléchir à la portée de son discours et d’assumer ses responsabilités dans toute prise de parole. Chacun doit pouvoir rendre des comptes sur ses propos, évidemment. En contrepartie, ces contraintes autorisent d’aborder tous les sujets, d’apostropher toutes les personnalités. Vous pouvez et vous devez vous permettre d’aller où bon vous semble. Tant pis si cela ne suit pas la tendance du moment, si cela offense certains…

Le « courage » de Christine Berrou, son refus de la censure et une radio sous surveillance

La chroniqueuse et humoriste Christine Berrou a dû, sous la contrainte, renoncer à sa liberté d’expression. Sa réaction du tac au tac inspire le courage. « Là où la liberté d’expression n’a pas sa place, je n’ai pas ma place non plus. » C’est un coup de tonnerre, les mots grondent, la décision est implacable.

On entrevoit aussi l’humanité d’un interlocuteur bien embêté qui cherche à calmer le jeu. Mais comment une antenne surveillée d’aussi près et une humoriste empêchée peuvent-ils exercer correctement ? Pourquoi, finalement, les puissants sont aussi désarmés face au poids des mots ?

Dans ce cas, effectivement, partir rime avec courage. Un sentiment vous envahit alors : la conviction profonde d’être du bon côté. Et pourtant, c’est vous qui devez partir ou vous taire. Cette injustice insoutenable, fatigante, nous la vivons tous dès que nous commençons à prendre du galon. Il y aura toujours une personne plus puissante pour regarder d’un mauvais œil votre ascension.

🗞️ Lu ailleurs : la réaction de Christine Berrou, recueillie par Télérama

Face à l’influence des puissants, sommes-nous à la croisée des chemins ?

Dans le même temps, notre époque hurle son besoin d’authenticité, de destitution des puissants. Élise Lucet est aussi rock qu’un Philippe Manœuvre sous coke. Pasquinade vient dire « Je me casse » à Netflix, aux GAFAM et consorts. Le public recherche la pépite artistique qui viendra les secouer, les malmener et les plonger dans une hilarité vivifiante.

C’est comme si notre époque était à la croisée des chemins. D’un côté, un sentier parfaitement aménagé mène vers une société aseptisée, sans vague (Eagleton)*. Chacun de nos faits et gestes y est évalué, consigné et surveillé. De l’autre, près d’un chemin encerclé de ratons-laveurs, des personnes suivent l’exemple de hackers berlinois qui redonnent leurs lettres de noblesse à la contreculture (Pawnee)*.

Mon humoriste de demain, je veux qu’il ait un peu de cette subversion berlinoise en lui. Qu’on ne lui parle pas de courage car on le pousse vers la sortie, mais pour ses choix artistiques audacieux validés par la profession. Au théâtre. Sur le web. À la télévision. À la radio. Partout où l’exercice de son métier est possible, en somme. Objectif : tuer l’intimidation, d’où qu’elle vienne.

Je sais que Christine Berrou continuera d’exercer son métier en toute liberté. Elle a bien trop de talent, elle va rebondir. Cela m’évoque une conversation que j’avais eue avec Roman Frayssinet et qui me porte aujourd’hui. Il venait de quitter Juste pour rire suite à cette affaire. À nouveau indépendant, il apparaissait serein, en phase avec sa décision malgré les conséquences à court terme sur sa carrière. On connaît la suite…

En contexte : un nouveau départ au cœur de la tourmente chez Europe 1

Cette nouvelle intervient alors que la station a débuté une grève vendredi 18 juin à 16 heures. Ça n’allait pas très fort chez cet acteur historique des ondes françaises. Audiences en chute libre, gouffre économique à prévoir, fin de l’émission d’Anne Roumanoff… Sans oublier bien sûr le redouté rapprochement avec CNews.

Europe 1 est donc dans l’œil du cyclone. Cela nous permet de regarder le départ de Christine Berrou sous une autre perspective. Après tout, cette station n’a pas (plus ?) le même capital sympathie qu’un France Inter. Au-delà des considérations public/privé et liberté de parole, le traitement de l’humour n’est pas le même.

La bande originale de Nagui fait un carton et renouvelle son audience avec des humoristes sélectionnés avec soin. Les humoristes sur Europe 1 n’ont pas la même exposition, on ne sait pas dans quelle émission ils évoluent, si c’est pour une pige ou bien pour plus longtemps. Qui savait que Christine Berrou officiait sur Europe 1 depuis 7 ans ? Son travail était pourtant solide, mais peu visible. Sa présence dans Piquantes ! sur Téva (oui…) était plus remarquée, c’est dire !

En résumé, si quelqu’un doit souffrir de ce départ, c’est finalement plus Europe 1 que l’humour…

Bonus track historique : l’époque des radios pirates

J’avais envie de terminer par un rappel d’une époque où les radios se battaient (vraiment) pour émettre en toute liberté. Alors qu’on célèbre les 100 ans de la radio, ce n’est pas du luxe.

Ce que j’aime aussi dans cette vidéo, c’est qu’elle a permis un changement majeur. Un YouTubeur utilisait les vidéos de l’INA. Mécontent que l’on génère des revenus publicitaires avec leurs vidéos, l’institution a empêché Ludovic B d’utiliser lesdits contenus. Heureusement, les deux parties ont trouvé un terrain d’entente et il est aujourd’hui plus simple d’utiliser des contenus qui rémunèrent chaque partie équitablement.

Que doit-on retenir de cette anecdote ? Face à un obstacle comme celui-ci (ou comme la censure en radio), des solutions existent et conviennent même à toutes les parties prenantes. Ne baissons pas les bras, l’exercice du métier d’humoriste doit se faire librement pour évoluer dans une société vivable…

*Vous avez sans doute reconnu la référence à Parks and Recreation… Si ce n’est pas le cas, allez découvrir cette série !

Crédits photo

© Christine Coquilleau

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