Critique de Senk : Laura Calu, gladiatrice du rire
Dans son nouveau spectacle Senk, Laura Calu revient en force sur la scène humoristique. L’artiste varoise reprend certains thèmes qui lui sont chers. Au Théâtre du Marais et en tournée, elle les revisite via une galerie de personnages impeccable.
Laura Calu dans Senk : une performance humoristique atypique
Senk, c’est d’abord une promesse. Promesse de voir l’artiste très populaire sur les réseaux sociaux fendre l’armure. Or ce n’est pas si simple. J’ai eu l’occasion de partager un contenu en collaboration avec elle sur les réseaux, et j’ai vu la puissance et l’uniformité de sa communauté. De nombreuses jeunes mamans, des femmes qui se battent contre des complexes… Et aussi des naturopathes en herbe qui partagent leurs recettes détox (ou, en minorité, des photos de placenta). Très, très peu de passionnés d’humour… mais des passionnés de Laura, assurément !
Contrairement aux stand-uppers qui jouissent d’une certaine liberté, Laura semble ainsi cantonnée à ces communautés. Sur les thématiques, d’abord : les complexes, la société qui va à vau-l’eau, les injonctions à la bienveillance… Ensuite, l’intensité du lien avec sa communauté est si forte qu’il y a un risque de la dérouter, voire de la perdre. C’est cette dépendance aux réseaux et à ce lien qui pourrait être une menace. Heureusement, Laura Calu a du métier : elle le prouve dans Senk, un spectacle assez différent de la concurrence.
Une galerie de personnages interprétés à la perfection
Dans son précédent spectacle, Laura Calu parlait surtout des diktats de la beauté. Il lui arrivait de tomber dans des clichés d’empowerment qu’on peut lire dans les magazines féminins. Dans Senk, la variété des sujets de société qui polarisent et attisent les tensions est rafraîchissante.
Mais c’est surtout la manière de délivrer ses messages qui change. Les personnages ne sont plus là pour illustrer, ils apportent du fond. Ce qui manquait parfois dans En grand se retrouve sublimé dans Senk. J’ai pu mesurer la précision de l’interprétation avec l’agriculteur. Il ressemble comme deux gouttes d’eau à une large partie de mes oncles.
Senk : une mise à nu détournée, une introspection pour grand public
Je ne sais pas si vous avez lu le livre de Panayotis Pascot. Tout comme dans Senk de Laura Calu, la création de cette star du rire se veut intimiste… Mais en se livrant avec mystère, distance, pour éviter de casser l’aura artistique sans doute ?
L’utilisation de personnages et de sujets de société permet de détourner l’attention. On n’est pas dans une opération à cœur ouvert comme ça pourrait se voir chez Blanche Gardin. L’important n’est pas de décrire les souffrances de Laura l’adolescence, mais de les transformer en performance scénique. Seule la fin l’évoque dans une scène qu’on ne vous dévoilera pas. À elle seule, elle vaut le détour.
Le seul écueil, par rapport à du stand-up qui va droit au but, c’est que c’est long. Bon, on n’est pas sur les 1h40 de Fary — je vous parle des shows d’une heure sans détour. Une heure et demie, au théâtre du Marais, ça fait mal aux fesses. Quelques redites et détours semblent superflus, malgré la qualité des running gags et des interactions. Hormis ces détails de forme, le show est si puissant qu’on laisse couler.
Doit-on aller voir Laura Calu en spectacle si on n’est pas dans le public-cible ?
C’est la question que je me pose à chaque nouveau spectacle de l’artiste. Le même obstacle qui me fait préférer des spectacles plus sur-mesure pour moi. Absurdes, intimistes, poétiques, distillés avec calme, etc.
Je ne sais pas ce qui me plaît chez Laura, malgré nos personnalités bien distinctes. La spectatrice que je suis a passé un bon moment au spectacle. Quant à la critique, elle a trouvé Senk très intéressant. Je ne suis clairement pas le premier public, mais j’ai beaucoup ri à certaines blagues. Les personnages étaient bluffants, même malgré la non-identification qui pouvait régner parfois pour moi. Le reste du public, lui, était constamment émerveillé. Ce spectacle est à voir pour tous les passionnés d’humour… Ne serait-ce que pour découvrir une proposition artistique différente, puissante et polyvalente.
Et je formule le vœu que Laura se libère de la peur de la mauvaise blague qui la détournerait de son public, si la presse la sortait du contexte d’un show. Les critiques à l’égard des médias sont légion, comme elle en a l’habitude. Il faut dire que l’angle people génère plus de clics sur des artistes avec cette audience. Pourtant, Laura Calu est une artiste authentique qui a haussé son niveau de jeu. C’est cette histoire-là qu’il faut raconter !