Blaise Bersinger au Fridge Impro Club : un Suisse face au public parisien

Juliette Follin 01/12/2021

Avant de vous parler de la venue de Blaise Bersinger, improvisateur suisse, à Paris, accordez-moi ce léger retour en arrière.

Il y a quelques mois, j’ai assisté à un spectacle de stand-up comme on en voit beaucoup à Paris. À son entame, l’humoriste a pris du temps pour interagir avec le public et revenir sur son récent passage en Suisse. On y retrouve cette petite musique sur le public suisse. Soi-disant froid, difficile. Si vous connaissez un minimum le stand-up français, vous connaissez déjà la musique.

Justement, le public suisse, je le connais très bien. Il a l’habitude de profiter d’une scène artistique certes peu fournie mais très, très qualitative. Alors peut-être qu’il reste davantage de marbre face à ceux qui n’adaptent pas un minimum leur passage au public local (l’effet Montreux, résumé brillamment dans cette chronique)… Peut-être aussi que nous connaissons mal la Suisse (c’est une certitude, maintenant que je suis fidèle à leurs médias !).

Quand l’improvisateur Blaise Bersinger arrive en ville…

En cette fin novembre, cependant, le Lausannois Blaise Bersinger a investi la Fridge Comedy Room lors d’un show d’improvisation. La dureté du public suisse était dans les conversations de ses amis artistes, venus de Suisse pour l’occasion. Pour eux, le diagnostic était clair : le public parisien était plus clément que le public suisse.

Comment expliquer cette différence ? Repartons des faits : les trois artistes sur scène n’ont pas connu la même soirée. Julie Gallibert était en peine pour entamer la soirée. Le public lui donnait des mots très éloignés les uns des autres pour improviser 15 minutes en solo. Un exercice très difficile et surtout très éloigné de ce qui fait le sel de l’improvisation (à mes yeux, en tout cas). Si vous avez Netflix, regardez Middleditch & Schwartz : les deux protagonistes s’appuient l’un sur l’autre pour construire une histoire puissante et hilarante.

Une plongée dans le monde de l’improvisation : une salle, trois ambiances

A priori, Julie Gallibert a bonne presse : c’est en tout cas ce que me soufflait Valérie Paccaud, venue soutenir Blaise avec Yann Marguet et Yacine Nemra. À mes yeux, Julie a livré bataille en proposant une histoire très audacieuse, un jeu précis… mais il manquait quelque chose pour que la sauce prenne.

Voyant cela, Blaise a senti qu’il devait redoubler d’énergie pour convaincre. Tout se joue souvent sur le premier contact. « Moi, je fonctionne avec les lettres » : son entrée en matière, il a dû la soigner en regardant le sigle lumineux du Fridge. Il a demandé la chose la plus simple possible : crier l’une des lettres. Aucune honte à avoir, aucune censure de l’imagination possible. C’est tombé sur la lettre « i ». Pas de bol, mais Blaise avait une parade : « je vous laisse un petit temps pour choisir un mot ».

C’est tombé sur « itinéraire » : l’improvisateur Blaise Bersinger était de nouveau sur le droit chemin. D’un début de sketch sur l’action de tourner à droite, il a construit une histoire familiale autour d’un match de curling Suisse-Norvège, d’un dialogue entre un personnage au bord du suicide et son GPS, dernier confident dans l’âme. Sa créativité et son imagination ont conquis très naturellement le public.

C’était une soirée à enjeu pour lui. Pour un petit Suisse (grand par la taille mais impressionné par celle de la Tour Eiffel, sans doute), « monter à Paris », ça voulait dire quelque chose. Ses amis, qui le connaissent par cœur, flairaient son stress, voire des tremblements… mais le public n’y voyait que du feu. Non, Blaise n’a pas tremblé quand il s’agissait de créer, d’improviser.

Quand l’improvisateur se mue en philosophe

Il restait un troisième larron lors de ce spectacle. Quand quelqu’un cartonne comme ça sur un exercice aussi casse-gueule que l’improvisation, passer derrière lui revient à limiter la casse. Fabien Strobel lui succédait, donc, et tentait d’interagir avec le public et de proposer des mini-improvisations. Il annonçait directement la couleur : je me laisse le droit de ne pas improviser et d’arrêter les improvisations à tout moment. Un spectateur, probablement galvanisé par les deux créations précédentes, s’agaçait au fond de la salle. Il n’était pas totalement hostile, mais il rentrait dans le lard de Fabien Strobel en l’intimant de passer la seconde et d’arrêter de philosopher. Dans le sketch de Blaise Bersinger, la voiture était une automatique… Ce spectateur voulait sûrement que ça continue de la sorte !

Pour autant, j’ai trouvé l’approche de Fabien Strobel assez fine. Il se posait mille questions, transformait presque la soirée en groupe de parole autour des ingrédients du bonheur. Même si l’exécution aurait pu être meilleure, l’atmosphère singulière qui régnait rendait ce moment intéressant.

Que faut-il retirer de ces anecdotes franco-suisses ?

Dans mon article sur le Couleur 3 Comedy Club, je m’interrogeais sur la différence de qualité que je percevais parfois entre les deux pays. Avantage à la Suisse, comme dans l’Euro de football (désolée). En réalité, il n’y a pas un humour suisse à la pointe et un humour français en dents de scie. C’est simplement que des gens comme Blaise Bersinger survolent leur monde et évoluent à haut niveau depuis longtemps. Vu d’ici, avec tout le tapage médiatique et les stars à la Fary qui roulent des mécaniques comme sur un défilé de mode, cela passe inaperçu.

Mais au Fridge, ce soir-là, le talent était bien visible. Dans le fond, les publics parisiens et suisses sont éduqués : leur œil a l’habitude de voir la pointe de l’humour local. C’est parce qu’on leur sert fréquemment le meilleur qu’ils rehaussent les standards de qualité. Nul besoin de comparer les deux, donc. En revanche, profiter de ce pan de l’humour francophone, ça n’a pas de prix. L’humour belge et l’humour québécois ont déjà bonne presse ici, pourquoi ne pas étendre l’expérience encore un peu ?

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