Couleur 3 Comedy Club : retour sur la 1re scène des Bras Cassés

Juliette Follin 04/10/2021

Les festivals d’humour se suivent et ne se ressemblent pas. Une semaine après le festival Paris Paradis, qui regroupait des têtes d’affiche du stand-up francophone, Lausanne rivalisait avec la ville lumière. Au D! Club, le Couleur 3 Comedy Club a pris ses quartiers le temps d’un week-end de 3 jours. Outre les plateaux d’humour regroupant des têtes locales et des têtes d’affiche, deux scènes attiraient particulièrement mon attention.

Samedi et dimanche, une grande partie de la bande des Bras Cassés a réalisé sa première scène. Oubliez tout ce que vous savez sur les premières scènes : celle-ci ne ressemblait à aucune autre. D’une part, leur première scène faisait l’objet d’une captation. Cela veut dire qu’en cas de bide, des caméras immortaliseraient cette douloureuse expérience.

Couleur 3 Comedy Club : une première scène des Bras Cassés sous la houlette d’un metteur en scène émérite, Étienne de Balasy

Mais pour ne pas bider face à un parterre d’auditeurs fidèles, la bande radiophonique a pris ses dispositions. Chaque artiste pouvait faire appel à l’expertise d’Étienne de Balasy. Si vous ne le connaissez pas, c’est un metteur en scène très en vue… Et également l’auteur d’un guide pour les nouveaux humoristes. Pour rappel, ça s’appelle Le guide (presque) complet du (presque) parfait stand-up et one man show !!! et vous pouvez en lire notre critique sur le blog. Cette figure locale bien implantée a également mis en scène le prestigieux Montreux Comedy Club.

Vous vous dites sûrement : mais comment puis-je profiter de l’expertise d’un homme qui transforme les premières scènes en moments d’anthologie ? Vous avez de la chance : il a adapté la partie historique son livre en spectacle à la Nouvelle Seine (Paris). Notez donc l’une de ces deux dates : les dimanches 7 novembre et 5 décembre à 17 heures.

Quasiment tous les Bras Cassés conviés à la fête ont profité de son expertise. Victoria Turrian, adepte de la chronique et usant habilement de sa voix suave, a préféré miser sur son verbe chaleureux. Stéphane Laurenceau a préféré miser sur Yann Marguet, un autre humoriste de la scène locale.

Couleur 3 Comedy Club : un show survolté dans un cadre idyllique

Le Couleur 3 Comedy Club, c’est un peu cet événement où les planètes s’alignent. Habituellement, les plateaux d’humour regroupent une brochette d’artistes. Il en faut pour tous les goûts ; par conséquent vous allez picorer certains artistes et en délaisser d’autres.

Là, quand vous avez accès à une bande dirigée par la talentueuse Valérie Paccaud, tout diffère. Le tout est plus homogène, tous vivent une expérience unique avec beaucoup de stress. Un stress galvanisant, visiblement, puisqu’il les a portés vers des très belles prestations. Certains se distinguaient tout particulièrement, comme le réalisateur et chroniqueur Paul Walther.

Une plume hyper créative et une bonne dose d’absurde amenaient à Paul Walther à survoler son sujet. Yacine Nemra, vainqueur net à l’applaudimètre, profitait d’un public qui lui lançait des rires qui sonnaient comme des « je t’aime ».

Valérie Paccaud, maîtresse de cérémonie d’exception

J’ignore si le dépaysement me faisait planer, mais je passais l’une des meilleures après-midis de ma vie. Car oui : le festival avait lieu dès 16h30. À l’heure du goûter, c’est l’irrésistible et charismatique Valérie Paccaud qui ouvrait la soirée.

Habituée à pondre plusieurs chroniques par semaine et des émissions de deux heures hilarantes, l’animatrice au rire célèbre était touchante et en pleine maîtrise dans cet exercice inédit. Évidemment, elle a évoqué son rire légendaire et a matérialisé son univers comme à son habitude.

Un ADN comique, un style palpable et des prestations de haut vol

Car le succès de chaque prestation tenait à cela : des univers et des personnalités marquants. Laura Chaignat et ses origines jurassiennes, Yannick Neveu et son ode à la curiosité… Mais aussi Philippe Battaglia et Victoria Turrian, dont l’élégance et le charisme étaient intacts.

Même sur des sujets tellement poncés qu’ils sont défigurés, les Bras Cassés parvenaient à faire preuve d’originalité. Yacine Nemra parvenait ainsi à surprendre en parlant de Tinder. On retrouvait l’absurde de ses chroniques « Le saviez-vous ? ». Pour ceux qui ne les connaissent pas, c’est une série d’anecdotes absolument fausses (et de surcroît hilarantes). Comme à son habitude à l’antenne, Yacine Nemra peinait à réfréner des rires pendant son passage. Le genre de détails qu’on pardonnera toujours aux grands enfants turbulents mais attachants comme lui.

Avec un public enthousiaste face à la prise de risque de la bande, le spectacle était tout simplement génial. Ce type d’ambiance, vous pourriez le retrouver chez Yacine Belhousse, dans les soirées « Premières fois ». Le principe, pour rappel : des artistes de renom viennent jouer pour la première fois quelque chose de 100 % nouveau. Là encore, la prise de risque force le respect et tout se passe mieux qu’à l’accoutumée…

Un passage express à Lausanne qui valait le coup

Quelques heures après ce baptême du feu, Blaise Bersinger animait un plateau d’humour avec Cinzia Cattaneo, Alexandre Kominek, Charles Nouveau et Nathanaël Rochat. Cinzia est l’un des nouveaux visages de l’humour suisse romand et elle continue de progresser à l’antenne comme sur scène. Revoir Alexandre Kominek et Charles Nouveau, inséparable duo des soirées Fifty Fifty, était forcément agréable. Malgré un écueil dont je ne peux plus me passer : je connais la majorité de leurs passages…

Ce n’était pas le cas pour Nathanaël Rochat. Le taulier et précurseur du stand-up suisse est un mélange de Droopy, le pilote de F1 Kimi Räikkönen et Ghislain Blique. On ne sait pas s’il en a encore quelque chose à foutre, mais il retourne sans aucune difficulté le public qui lui fait face ! Tristan Lucas, également dans la salle, n’était pas d’accord avec moi quand je lui disais qu’il était un Ghislain puissance mille.

Mais moi, je n’en démords pas. Moralité : Ghislain Blique a le pouvoir de devenir une icône comique si le public le rencontre en nombre. Avis aux producteurs : pariez sur lui. En plus, comme il le confiait récemment dans son podcast « Comique ! », il se donne pour avoir une place sur l’échiquier humoristique…

Un dernier mot

J’ignore ce qui rend cette scène suisse aussi attractive à mes yeux. J’ai bien sûr une piste : la neutralité et l’envie de creuser les sujets avant de s’exprimer. Une autre caractéristique locale, c’est le faible nombre d’artistes. Leur exposition permanente les pousse à toujours donner le meilleur d’eux-mêmes. Ils sont régulièrement sans filet, exposés au public. L’ambiance familiale éclipse sans doute la concurrence qui, entre les lignes, existe peut-être… Mais on ne la sent pas aussi palpable, comme Renaud de Vargas l’expliquait dans son interview.

Une autre motivation qui me pousse à parler d‘eux, c’est leur faible exposition. Même s’ils font partie des meubles de l’audiovisuel public, on ne se bouscule pas au portillon pour leur donner une tribune. C’est peut-être ce temps davantage passé à créer plutôt qu’à faire tourner la machine médiatique qui les rend spéciaux… Ou le dépaysement dû à la beauté des paysages. Ou encore leur rareté ? Quelle que soit la recette, le repas est délicieux. Que cela continue ainsi, et je reviendrai encore et encore…

Je n’ai pas cité tout le monde, mais sachez que de Valérie Paccaud à l’improvisatrice Donatienne Amann, tous valaient le détour. Citons également Julien Doquin de Saint Preux, Stéphane Laurenceau et Robin Chessex, tous trois très précis dans leur écriture et leur interprétation. En somme, le pari de Couleur 3 et du théâtre Boulimie, qu’on a visité en août, est donc réussi ! Le festival était mémorable, j’espère ne jamais oublier ces moments.

Crédits photo

© Kenza Wadimoff

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