Soixante 2 : Kyan Khojandi défie les lois du temps comique

Juliette Follin 18/11/2020

Dans Soixante 2, Kyan Khojandi propose de nouveau le concept d’un humoriste sur scène pendant une minute à l’Européen. Bis repetita pour ce concept emprunté à la scène québécoise ? Pas vraiment : malgré des contraintes de temps, la formule parvient à évoluer et innover, voire surprendre !

Soixante 2 : Kyan Khojandi, le chef d’orchestre rassembleur de la comédie

Comme lors de la première édition, l’événement rassemble une partie de la scène humoristique et culturelle francophone. J’ai retrouvé la même frénésie qui vous transforme en supporter plutôt que spectateur. Impossible de rester indifférent face à un artiste invité par Kyan Kohojandi dans Soixante 2. Voici quelques cas de figure :

  1. Vous n’aimez pas ce qu’il fait et devez composer avec l’attente, la patience voire la frustration.
  2. Ou alors vous avez un a priori. Le passage vous fait alors changer d’avis, ce qui crée un lien indestructible avec l’artiste.
  3. Dans le meilleur des mondes, vous adorez cette personne. Ainsi, c’est comme retrouver un pote de longue date ou crier woo! (Je ne me lasse pas des références de la série How I Met Your Mother.)

Le mot-clé pour chaque cas de figure ? « Vous ». Soixante 2 et la bande de Kyan Khojandi vous montrent plus que n’importe quel autre spectacle ce que vous aimez. L’enjeu, c’est de livrer l’instantané le plus fidèle possible de la communauté humoristique.

C’est presque cela, car on retrouve des artistes validés, capables de gérer un événement de la sorte. Les tous débutants n’ont pas leur place… De fait il y aura toujours un décalage entre la scène des habitués et celle du grand public. Simplement, l’étau se resserre de plus en plus, et cela offre un peu plus de latitude aux talents. Certains resteront dans l’angle mort pour le moment, mais ils finiront par avoir leur heure de gloire ! Si vous cherchez des noms, j’en ai bien soixante à vous proposer…

Le coup de cœur artistique

J’ai eu une pensée en regardant Soixante 2 : « Ce n’est pas grave de ne pas aimer tout le monde. C’est juste une frustration d’attendre les bonnes personnes. ». Telle est la métaphore qui résume ma quête de talents. Cette longue attente, parfois ennuyeuse à souhait… Mais qui débouche sur une délivrance.

Le moment où le temps s’arrête et où on découvre quelqu’un de nouveau. Ce putain de coup de foudre artistique. Reste à savoir si, pour un spectateur peu initié, ce coup de cœur peut intervenir en une minute… Je pense que oui, surtout que certains arrivent à changer l’atmosphère. Guy Carlier est remarquable dans sa manière d’apporter de l’émotion, par exemple. Autre belle révélation : j’ai aussi trouvé Gérémy Crédeville hypnotique, et je ne l’ai jamais autant aimé que cette minute-là.

Également, j’ai compris plus que jamais la magie des Fanny Ruwet et Paul Mirabel. Autrement dit, leur don naturel pour conquérir le public en un temps record. J’ai aimé retrouver Jean-Luc Lemoine, que je considère comme un « boss » de l’humour. Je pense à la chance que j’ai eu de le voir sur scène. Surtout que je rêve toujours d’un retour d’Éric et Ramzy sur les planches, ensemble. Mon approche de l’humour d’avant et celle d’aujourd’hui se sont entrechoquées.

Soixante 2 : les montagnes russes du rire ?

J’ai retrouvé Camille Lavabre, et je me suis dit qu’elle m’avait manqué sur scène. À l’époque, cela dit, je n’avais pas passé le meilleur des moments en la voyant à la Nouvelle Seine. Elle m’avait pris à partie, comme Nick Mukoko au Café Oscar. Pour autant, j’ai toujours aimé son originalité. Cela n’est clairement pas le cas avec Nick Mukoko que l’on commence à voir un peu partout. On en revient à ces clivages qui m’animent, entre efficacité et originalité, absurdité et banalités…

Oui, ces artistes ne laissent pas indifférent. Ils ont tous leur place, qu’on le veuille ou non. Même si un ou deux d’entre eux nous font douter : ils ne nous arrachent pas le moindre frémissement des joues. D’autres comme Donel Jack’sman se risquent à reprendre le mot « dinguerie », qu’on entend de plus en plus. Ce nouveau tic de langage, dans la bouche d’un Roman Frayssinet, est incarné. Mais dans celle de ses collègues admiratifs, sans doute, il risque de perdre tout son sens…

Mettre KO les clichés en soixante secondes : c’est possible !

Je terminerais tout de même sur une bonne note. Quand le rappeur Youssoupha a dégainé les mots « racisme anti-blanc », j’ai franchement craint le pire. Allait-on entendre le même discours de la même caste sur cette cause qui envahit les plateaux et Twitter ? Tout le contraire.

Youssoupha a apporté la preuve indéniable que l’on peut aborder des sujets qui sont rabâchés au lieu d’être étayés. Nécessaires mais vidés de leur sens par des militants désespérés de faire entendre leur cause. L’aborder avec intelligence, humour, finesse… Autrement dit, convaincre tout le monde, même ceux qui s’en foutent, a priori. Ceux qui, en somme, préfèrent l’humour pour le rire et non pas la politique. Ceux qui n’écoutent pas jusqu’au jour où on trouve le bon angle d’attaque.

Dans le reste du lot, j’ai adoré Charles Nouveau, brillant de la première à la dernière seconde. Il a fait, comme d’autres d’ailleurs, quelque chose qui a révélé son talent, son humour. Une prestation qui a provoqué une belle palette d’émotions positives. Cette minute est à l’image de ce format : peu importe comment vous l’abordez, l’essentiel est de vendre votre singularité. Et ils ont été nombreux à y parvenir !

Ceux qui ont échoué ont simplement montré ce qui leur manquait. Évidemment, il n’y avait aucune surprise à cela tant la caméra renvoie une image fidèle du chemin à parcourir… Mais peut-être ne le voient-ils pas, s’estimant déjà assez efficaces car validés, implantés dans l’écosystème ?

La 61e minute : que faire après avoir regardé Kyan et ses Soixante 2 minutes ?

Après le spectacle, le spectateur profite d’un vaste making of qui explique la démarche. Si vous êtes comme moi et que vous n’avez découvert que quelques musiciens, vous aimerez l’accès à ces coulisses. Roselyne Bachelot devrait elle aussi regarder Soixante 2. Histoire de comprendre comment un protocole sanitaire efficace peut faire vivre le spectacle vivant en temps de pandémie, si jamais…

Soixante 2 ne peut se terminer comme cela. C’est une vaste ouverture à la découverte des talents. J’espère qu’elle fera naître de nombreuses conversations. Que ces conversations, à court terme, aboutiront à la découverte d’artistes dans les salles et sur leurs réseaux sociaux. Ce spectacle fait rayonner le monde de l’humour et redonne la pêche, l’envie de faire vivre ce secteur. Non pas parce que c’est un truc de précaires, mais un truc de talents.

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