Conseil artistique : passer de talent prometteur à humoriste de qualité

Juliette Follin 04/11/2020

En matière de conseil artistique, comment venir en aide aux talents de demain ? Pour répondre à cette problématique, complétons la phrase : « Il y a deux types d’humoriste : (…) ». D’une part, l’humoriste qui tente de créer de la singularité, mais pour lequel la magie n’opère pas (encore ?). D’autre part, l’humoriste qui virevolte de petits succès en petits succès, mais qui se la coule douce.

Commençons par le premier cas de figure. Dans sa tête, c’est le désordre. Un flou artistique, pour être plus précise.

Sortir du flou artistique

On développe évidemment une tendresse pour ceux qui tentent mais qui manquent leur cible. En effet, on peut deviner leur potentiel. On comprend qu’ils ont quelque chose à défendre.

Cependant, un obstacle vient empêcher la belle rencontre avec le public. Comment faire, surtout quand il vous regarde avec un désarroi qui vous fend le cœur ? Oui, j’ai mis la dose de pathos. Mais cette cause le mérite bien.

Mon conseil artistique : sortir de la panique par une approche méthodique

Sans vouloir vivre dans un monde à la Dany Boon (« Je vais bien, tout va bien »), il convient de dédramatiser. On ne cherche pas à se cacher derrière un « il faut 10 ans pour être bon en stand-up parce que les Américains l’ont dit ». En revanche, trouver son style suppose de s’accorder du temps et de faire preuve d’endurance.

Certains vont plus vite que d’autres, pour des raisons très variées, d’ailleurs. Il y a ceux qui font mine d’arriver, mais qui sortent de 3 ans de Cours Florent. D’autres, véritables artisans un peu moins armés, suivent une filiation artistique. Tous ces artistes ont des repères. C’est un peu comme dans un jeu de course : il y a l’entraînement, les aides au pilotage, les facteurs externes comme les intempéries ou le niveau de l’équipe…

Quel conseil artistique apporter, dans ce cas ? Venons-en aux méthodes. Elles sont injustes, parce qu’elles ne fonctionnent pas pour tout le monde. J’ai gribouillé moult fiches bristol pour le baccalauréat. La note n’était pourtant pas glorieuse. Je connaissais le mot « moult », mais apparemment le placer dans chaque phrase ne rapportait pas de points bonus.

À la comparaison, préférer l’endurance et les avis éclairés

Plus sérieusement, l’important n’est pas de suivre la même méthode qu’un humoriste inspirant, car ça vous rassure et ça marche à coup sûr. Non. Il faut tester, point par point et progresser à votre rythme. Parfois, vous aurez envie de tout jeter et recommencer.

Ça vous semblera logique, mais aux premières difficultés succèderont le doute. Là, attention au piège : difficulté ne signifie pas échec. Vous devez comprendre ce qui n’a pas marché. Plusieurs avis extérieurs peuvent servir (mais pas trop, parce que vous êtes déjà embrouillé dans votre tête…).

D’où l’importance d’assumer vos choix, de savoir ce qui les a motivés et d’arbitrer. Vous tromper une ou deux fois, ce n’est pas très grave. C’est être dans le déni ou ne jamais vous remettre en question qui amènera les pires conséquences. Car tôt ou tard, même les plus forts du circuit sortent de la piste.

Se nourrir des autres sans se goinfrer

Je parlais plus haut de la comparaison entre artistes. Comparer le rythme d’avancement n’est pas très pertinent, mais observer les choix artistiques des autres, ça nourrit. D’ailleurs, les moyens d’expression sont de plus en plus nombreux, ce qui élargit grandement le champ des possibles.

Les artistes ont peur de copier quelque chose qu’ils auraient entendu en regardant leurs collègues. Cette peur ne peut être une excuse : dans le pire des cas, surtout si l’artiste est de bonne foi, il perd une blague en crée d’autres. Je crois que Réda Seddiki (corrigez-moi si je me trompe de personne !) disait ne pas être embêté qu’on lui pique une blague. Il en inventera d’autres, car il sait comment faire. Celui qui l’a copié devra défendre la blague d’un autre et ne saura pas pérenniser son art… En matière de conseil artistique, celui-ci vaut de l’or.

Outre les spectacles, plongez-vous dans les interviews, les podcasts et tous les lieux d’expression des artistes. Voir ce que font les autres, ça débloque la créativité, ça aère le cerveau. Et Dieu sait que vous autres, les comiques, vous en avez besoin…

En résumé

Même si ce cas de figure est frustrant, le travail artistique permet bien souvent de renaître des cendres d’un set ou d’un spectacle qui n’a pas fonctionné. Réalisé avec méthode et sans trop de pression ou de questionnements incessants, il apportera sans doute de meilleurs résultats.

Vous ne vous sentez pas concerné ? Malgré tout, vous pouvez avoir un rôle à jouer. En effet, si vous rencontrez un artiste qui se cherche et que vous avez une idée de génie pour l’aider, ne l’imposez pas trop vite. Pas sûre qu’elle marche, déjà, et puis l’artiste en face de vous est un animal blessé. La discussion, l’écoute… Cette forme de conseil artistique marche beaucoup mieux pour guérir et se remettre sur pied. Soyez plus un ami-psy qu’un dictateur artistique, d’accord ?

Sortir de la flemme artistique

Venons-en maintenant à cet humoriste qui ne se débrouille pas trop mal. Comme il est sympathique, les gens du milieu l’ont à la bonne. Ils en oublieraient presque qu’à chaque fois qu’ils voient son spectacle, c’est de la bouillie artistique.

J’ai un cas en tête et je n’arrive pas à accepter que sa performance n’est pas satisfaisante. Impossible, car je vois quelque chose en lui. Je vois un univers singulier, un truc qui marche. Mais ça ne se renouvelle jamais. Ça maquille ça dans un packaging de nouveau spectacle, mais les blagues sont toujours les mêmes ou datées, déjà entendues mille fois.

Ça me fait penser à Chloe, la fille aux “crazy eyes” qui séduit Marshall après sa rupture avec Lily dans la saison 2 de How I Met Your Mother. À chaque fois qu’ils se voient, Marshall lui raconte la même blague et elle éclate de rire. Ted Mosby, fort de ses années de recherche de l’amour, explique à Marshall pourquoi Chloe rit à chaque fois. Soit c’est la première blague qu’elle n’ait jamais entendue, soit il lui plaît. Sans surprise, c’était la réponse B. En humour, c’est pareil. On ne va pas rire toujours aux mêmes blagues, sauf si…

Mon conseil artistique : trouvez quelqu’un qui vous secoue pour vous renouveler

Vous êtes un artiste englué dans une zone de confort. Ça marche, et comme vous êtes sympa, personne ne vous en veut de ne pas trop bosser. Jusqu’au jour où un critique un peu plus consciencieux que la moyenne vient déposer un sac de merde devant votre palier.

« Bonjour, voici ma critique. Un mouchoir pour oublier ? Désolé, il fallait qu’un lanceur d’alerte intervienne ! » Vous inondez le palier de vos larmes de seum, alors que vous savez que vous obtenez là ce que vous méritez.

La bonne nouvelle, c’est que plein de gens adorent donner leur avis. Des directeurs artistiques, gérants de théâtre, metteurs en scène, comiques, critiques… Ils ont envie de porter la star de demain. Et vous, en tant qu’artiste, avez justement un bagout qui fait plaisir à un petit public. Cela fait de vous un bon client.

Ne jetez pas tout, n’écoutez pas les gourous du minimalisme…

Maintenant, reste à savoir où vous vous situez. Travaillez-vous suffisamment ? Quel est votre rapport au doute ? Pensez-vous être brillant alors que vos idées ne valent pas mieux qu’un contenu tiède de magazine lifestyle ? Il est temps de sortir de l’imposture et de vous mettre en danger.

Ne vous braquez pas face à ces questions délicates. En réalité, votre problème est similaire à celui de votre collègue. Vous ne savez simplement pas par où commencer. Si ça marche sur un malentendu, alors ça va passer indéfiniment, pas vrai ? Jusqu’au jour où ça ne fonctionne plus et qu’il faut tout recommencer. Si c’est rageant, c’est loin d’être une fatalité.

En effet, inutile de retourner à la case départ ! Vous avez réussi à construire quelque chose, c’est déjà bien. Avoir un univers, c’est un luxe. Il faut juste travailler sur les éléments où votre originalité pêche. Là encore, point par point, en testant et vérifiant vos progrès.

En résumé

Être un tire-au-flanc, ça se comprend. On l’est tous un peu sur certains aspects, même si on veut croire qu’on est toujours à fond. La procrastination, le déni… Tout cela fait partie de la vie. Il y a toujours une bonne raison de ne pas agir et de continuer à s’embourber dans un marasme total. Mais vous êtes un artiste, vous devez aller de l’avant. Pour dédramatiser, souvenez-vous que même les plus talentueux procrastinent !

J’ai été un peu dure vis-à-vis de ceux qui « se la coulent douce ». Ce n’est pas pour dire que votre cas est pire de celui de l’humoriste perdu. En réalité, en général, on a moins de compassion pour les flemmards. Ceux qui se battent, même s’ils n’obtiennent pas mieux et sombrent parfois dans l’oubli, ont le panache de leur côté.

Vous, vous vous prélassez dans un filet de sauvetage assez confortable, il faut le dire. Ce qui vous facilite la vie au premier abord, mais qui vous piège bien plus que celui qui a compris qu’il faut se sortir d’affaire. Reste à savoir quand vous vous en extirperez, et comment…

Conseil artistique : cet article ne résoudra rien, mais…

Bien sûr, ce type de conseil artistique rédigé par un non-professionnel de la vanne sont comme tous les tutoriels d’internet. Une série de bonnes idées qui a (je l’espère) du sens, mais qui est bien plus complexe à appliquer. Je ne suis pas vous, donc cet article ne pourra être personnalisé à vos besoins. Vous pouvez aussi vous plonger dans les podcasts qui appuient le contenu de l’article. Pour poursuivre, il faudrait en discuter, poser les bonnes questions… Bref, on en revient encore à cette histoire d’ami-psy qui vous aiguillera au lieu de vous mâcher le travail.

Il faut comprendre que cet article n’a vocation qu’à inspirer et remettre en marche la machine pour un artiste. On ne résout pas les problèmes en un clic, une tentative ou quelques contenus trouvés via une recherche internet. Parfois, on constate le fruit de ses efforts bien après avoir enclenché le processus, alors… Les success stories sont trompeuses, et l’époque en assène des milliers. C’est pour ça qu’on a tous l’impression, collectivement, de stagner.

Je me rends compte que ces deux artistes, à deux doigts de basculer dans l’aigreur, ont tous les deux leur charme. Et qu’ils peuvent être « sauvés ». La bonne nouvelle, c’est qu’ils ont toutes les cartes en main. Si l’une d’entre elles n’est pas la bonne, il y a toujours la possibilité d’en tirer une autre… Ou de recommencer la partie.

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