Bonhomme – Au Café de la gare, Laurent Sciamma peine à rassembler

Juliette Follin 23/09/2020

Bonhomme, c’est le spectacle de Laurent Sciamma qui fait exulter la presse et son public conquis. Juste après avoir affronté la salle exigeante qu’est la Comédie des 3 bornes, Laurent évolue désormais au Café de la gare. Un QG idéal pour son art. Le spot du rire a voulu juger la qualité comique de ce spectacle à la réputation si belle.

La reprise de Bonhomme : les 2 heures de monologue d’un « allié »

Je ne connaissais pas le Café de la gare. Dix minutes avant la représentation, je découvre un théâtre niché dans une cour intérieure au plein cœur du Marais. À l’entrée, je vois une affiche de Laurent Sciamma avec un descriptif autour de la théorie du genre. Je résiste à l’envie de m’enfuir au courant, parce que j’ai promis à des humoristes engagées de donner une chance au produit.

Car Laurent Sciamma est un pur produit du féminisme. Il s’efface en tant qu’individu pour partager son témoignage d’allié. Les alliés, ce sont ces hommes qui se veulent à l’écoute des femmes, ceux qui dénoncent le patriarcat. Une noble cause, certes, mais qui accepte mal la contradiction.

Des longueurs qui diluent la puissance du message

Le début du spectacle se perd dans quelques longueurs. On se dit que c’est la reprise, et que Laurent veut partager sa joie de retrouver son public. C’est évidemment légitime après six mois de pause. Alors on patiente, on écoute ces premières digressions.

Au bout d’un quart d’heure (estimation, je ne regardais pas l’heure), le bonhomme sur scène entre dans le vif du sujet. La structure est assez simple : il prend un élément cher à la cause féministe (le harcèlement de rue, les injonctions, #MeToo…) pour en faire des blagues.

C’est là où la presse exulte : Bonhomme n’est pas une conférence TED sur le féminisme. Ouf, c’est effectivement vrai. Laurent Sciamma enchaîne avec des mimes, tourne en dérision les situations du quotidien comme la peur de faire peur aux femmes le soir, quitte à changer de trottoir.

Le problème, c’est que quand on connaît le discours féministe, on n’est pas étonné des chutes. Tout est téléphoné, convenu et manque d’originalité. Et comme la structure se répète (malgré de nombreux running gags), l’ennui guette celui qui aime la surprise, celle qui déclenche un rire authentique.

Autre problème : Laurent Sciamma utilise du storytelling pour incarner chaque message. Mais il emploie beaucoup trop de mots. Par exemple, pour l’anecdote en voiture à la fin de spectacle, il répète six fois que l’action a lieu à 2 heures du matin. Au lieu d’utiliser chaque mot de manière chirurgicale pour renforcer la puissance de son message, il la dilue dans des histoires interminables qui ne tiennent plus en haleine lorsque, enfin, elles arrivent à leur terme.

Pour en arriver à deux heures de spectacle, Laurent Sciamma joue sur la multiplication des anecdotes. C’est un exposé des arguments les plus classiques du féminisme, agrémenté de ces histoires et ces blagues.

Bonhomme est en guerre, ou comment se prétendre inclusif en excluant celui qui pense différemment

La salle rit, mais moi non. Laurent Sciamma utilise tellement de termes techniques et de références qui parlent aux militants que j’ai du mal à me sentir concernée. Dans ces rires, on retrouve le soulagement de ceux qui se battent dans les associations comme sur les réseaux sociaux. Ceux qui ne sont pas écoutés, ou compris, dénigrés pour leur discours jugé parfois trop « extrémiste » (sic !).

Quelqu’un m’a dit récemment : « Il n’y a pas qu’une manière d’être féministe ». Je trouve cela très juste. Quand j’entends Laurent Sciamma dire « seuls les vrais savent », je vois le gouffre entre son monde et le mien. J’ai ainsi le sentiment de vivre dans un monde parallèle.

À certains moments, je ressens un vrai malaise. À l’heure où la “cancel culture” connaît un pic de popularité, Laurent Sciamma dépose des noms de « masculinistes toxiques » les uns à la suite des autres. Quand il parle d’Alain Soral, je me dis qu’Eric Zemmour ne va pas tarder. Gagné. À chaque fois, c’est un nom posé dans le texte. À aucun moment, on ne vient leur répondre sur le terrain des idées.

Pourquoi le faire, quand votre salle est acquise à votre cause ? Après tout, vous avez soigné le marketing de votre spectacle pour faire fuir les gens qui écoutent ces Soral, Zemmour, Finkielkraut et consorts…

En soi, rien d’étonnant. Mais quand vint le tour pour Nicolas Bedos de prendre sa douille, mon impatience se transforme en nausée. Le public applaudit, et cette manifestation exprime une haine envers cet homme. Comme s’il était réduit à des petites phrases sur des plateaux télé, à une vision tronquée de son histoire. Un procès d’intention sans contextualisation.

C’est drôle, car la dernière fois que j’ai entendu parler de Nicolas Bedos, c’était en réponse à un billet de blog du Crif autour de la question « Peut-on rire de tout ? » par le prisme de l’antisémitisme. Et sa réponse, publiée le lendemain, était remplie d’empathie, de réflexion et d’écoute pour cette personne qui s’est sentie offensée. Un dialogue étayé, posé, bien loin de ce moment caricatural vécu au Café de la gare.

Uniformiser les hommes et leur rapport à la sensibilité

Nicolas Bedos capable d’empathie, voilà qui invaliderait presque le discours de Laurent Sciamma sur la sensibilité des hommes. Il part du constat qu’on apprend aux hommes à enfouir leurs émotions… Tandis que les femmes sont (toutes ?) encouragées à les exprimer dans des journaux intimes « avec des cœurs à la place du point sur les i ».

Je m’attendais à autre chose sur la question du genre. Au final, c’est une succession de lieux communs qui ne résout rien. Certes, on trouve une ou deux tentatives intéressantes pour évoquer le manque de confiance en soi des femmes (là encore, on les met toutes dans le même panier). Mais le reste est bien faible et attendu. Je ne nie pas les problèmes, mais je fustige leur simplification à outrance. Surtout devant une salle déjà convaincue !

De cette introduction à cette branche du féminisme, je suis restée sur ma faim. J’étais attristée de voir une absence de nuance et de recul pour au final ne faire émerger aucune véritable solution. Proposer d’écouter une musique de 1996 pour relier enfin les hommes à leurs émotions, c’est un peu faiblard.

Bonhomme : le spectacle de Laurent Sciamma vaut-il le déplacement ?

Le problème de Bonhomme, c’est que ce spectacle n’est pas abouti. Par ses longueurs et son storytelling imprécis, ce spectacle manque de force.

Par son idéologie et sa tendance à recourir aux généralités, Laurent Sciamma est finalement plus un porte-parole qu’un humoriste[1]. Certaines blagues m’ont fait sourire, mais l’ensemble m’a plutôt laissé de marbre.

Au Café de la gare, Laurent Sciamma a le luxe d’avoir le temps de parfaire Bonhomme face à un public acquis à sa cause. C’est un cadeau empoisonné : sorti de la Comédie des 3 bornes, l’artiste a encore besoin de consolider le tout. La presse, quant à elle, a passé sous silence les imperfections techniques du spectacle.

Et quand elle se réjouit qu’enfin, un homme se positionne sur le féminisme, elle occulte tant d’œuvres qui l’abordent autrement. Réduire les stand-uppers à des gens qui parlent de leur pénis, c’est la preuve que bien trop peu de journalistes se déplacent dans les salles de spectacle.

Laurent Sciamma n’a pas le monopole du féminisme, heureusement ! On ne l’a pas attendu pour questionner le monde, avec beaucoup de subtilité parfois. Marina Rollman aimerait bien attirer des gens qui ne pensent pas comme elle dans ses salles pour élever le débat. Laurent Sciamma ne semble pas courir après ce même objectif. Au fond, Bonhomme ne parle qu’à la France des tote-bags et échoue à marquer l’histoire.

[1] Pour que ce soit bien clair, Laurent Sciamma reste un humoriste. Simplement, son absence de recul l’empêche d’endosser pleinement cette casquette.

Crédits photo/affiche

© LouizArt Lou

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