Un énorme dindon pour sauver la comédie

Juliette Follin 28/05/2020

« Un énorme dindon » : cette expression vous fait-elle rire ? Elle sort de nulle part, et pourtant, certaines personnes (comme moi) peuvent y être sensibles. Elle me donne l’occasion de décrypter quelques ficelles de la comédie… À ma façon !

Que se passe-t-il quand on provoque le rire ?

Ces dernières semaines, vous avez sans doute vu passer la vidéo de Scinéma sur la logique de l’humour. Évidemment, Télérama a pondu un papier sur le sujet. Pour ceux qui s’intéressent à la théorie de l’humour et qui veulent des vraies réponses, je vous invite à vous arrêter là.

Pour les autres, bienvenue dans la logique de mon humour ! On est déjà sur un problème : il n’y a pas trop de logique. Plus précisément, on entre dans ma logique. Mon vécu, mes références, tout le bordel qui fait que je ne suis pas comme le monsieur de Scinéma.

Un énorme dindon : quand le rire se matérialise en gallinacé

Parfois, de simples mots me font rire. J’avais déjà identifié trois éléments : les fourchettes, les saucisses et tout ce qui se rapportait à l’automobile. Un humoriste sur scène peut parler de pneus ou d’Austin Mini, et je vais sombrer dans l’hilarité. Jean-Luc Lemoine m’en a voulu, une fois, parce que j’ai ri trop fort à son jeu de mots, qu’il savait un peu faible.

Seulement voilà, le rire est un miracle. Sur Instagram, Anissa Omri a proposé à sa communauté un texte à trous à plusieurs entrées. Ses abonnés envoyaient ensuite leurs propositions, et elle compilait ses débuts de phrases aux chutes qu’elle recevait de manière aléatoire. Sans citer les auteurs, évidemment. On est dans un jeu à la Quiplash (que vous pouvez aussi retrouver les dimanches en VO avec Sebastian Marx), et ça ajoute un mystère digne d’auditions à l’aveugle. En haut de l’article, ce que vous lisez, c’est ce qui m’a fait le plus rire, avec au sommet de la chaîne zygomatique un énorme dindon.

Une histoire de connexions neuronales, d’association d’idées et de retour à un état primitif

D’habitude, quand je vois un humoriste sur scène, je sais de qui il s’agit. Je formule des attentes, qui sont plus ou moins couronnées de succès selon les scènes. Généralement, mon a priori positif ou négatif se confirme, comme si j’avais déjà jugé la prestation par anticipation.

Or avec ce jeu Instagram, je n’avais aucune idée de la provenance de la blague. L’humour, sans fioriture ou idée préconçue, m’a saisie et même embarquée dans une expérience unique. Je vous parie que vous n’avez pas pensé la même chose que moi. Heureusement, j’ai écrit cette pensée et je peux donc la retranscrire en un message :

Ça crée une ambiance sonore… « Dindon » : ce mot est horrible et il donne faim en même temps !

Suis-je atteinte de synesthésie ?

Là, mon interlocuteur perplexe m’a demandé si j’étais synesthète. Ciné-quoi ? Je n’ai pas tout compris, même en lisant Wikipédia. En somme, c’est un mélange entre deux sens ou éléments, généralement des lettres et des couleurs. De fait, je lierais le mot qui désigne un animal à l’envie de manger. En plus, comme il est énorme, ce dindon, je m’attends à me régaler !

Comme la synesthésie n’est pas pathologique (ouf !), je vais mettre de côté ce diagnostic. Je me concentrerai plutôt sur les associations d’idées propres à mon vécu. Ça, je pense que ça peut parler à tout le monde.

Toujours est-il que pour ce dindon, ça va encore plus loin. J’associe le dindon au mot « dindonneau », que j’entendais beaucoup pendant l’enfance. Et il se trouve que les adultes qui m’en parlaient confondaient l’animal « dindonneau » au cordon bleu (de ce bon vieux père Dodu). La lettre D est très importante dans cette histoire, quand on y pense…

Ai-je ri de manière si primitive car un comique m’a fait rire avec la sonorité de la lettre D (que j’ai entendue dans ma tête), et plus largement mes moments de plaisir d’enfance ? Certainement. Pour autant, il n’aurait jamais pu le prévoir.

Moralité : que faire d’un énorme dindon ?

La théorie des blagues, la grammaire comique, le rythme et ces ressorts qui favorisent le rire sont utiles. Mais personne ne peut mobiliser la magie du rire avec précision. Elle intervient tel un délicieux miracle, parfois sous la forme d’un énorme dindon.

Alors que la comédie s’inquiète pour son futur, je voulais rappeler avec cette histoire que le rire, c’est un réflexe qui continuera d’accompagner l’espèce humaine contre vents et marées. Indépendamment de qui occupe la scène ou le public, ou de ce que vous mettez dans votre assiette.

Crédits photo

Adaptation de la story d’Anissa Omri. Merci à tous les comiques qui contribuent à continuer de nous faire rire hors des scènes 🧡

Nb. : on a ajouté le terme « de » à la citation car cela sonnait trop bizarre, mais il n’apparaît pas dans l’original.

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