Laurent Sciamma : itinéraire d’une couverture médiatique

Juliette Follin 05/03/2020

Laurent Sciamma fait partie de la nouvelle génération d’humoristes. Il bénéficie d’une généreuse couverture médiatique. Un humoriste féministe à l’ère #MeToo : la presse progressiste exulte face à cette masculinité 2.0 et publie inlassablement. Or, sommes-nous en train de manquer le coche ?

Laurent Sciamma : la peur d’être opportuniste

À chaque fois que je lis un article sur le spectacle Bonhomme, une pointe d’exaspération émerge chez moi. Cela faisait longtemps que je voulais en parler, mais je peinais à trouver les mots justes.

Ai-je raison de m’insurger ? Mon instinct me répond par l’affirmative, mais n’a pas beaucoup d’arguments à avancer. Au fil de mes lectures, je tombe sur un article de Libération qui m’apaise un peu : Laurent Sciamma a peur de passer pour un opportuniste.

Donc Laurent Sciamma, premier concerné, se pose aussi des questions. Et ça confirme une autre de mes impressions : Laurent Sciamma fait passer un bon moment lors de son passage. Ces articles ne sortent donc pas de nulle part.

Je ne l’ai pas vu depuis longtemps, donc il a sans doute progressé depuis sa résidence au Beach Comedy Club. À l’époque, en tout cas, il faisait rire. Pas aux éclats, mais ça fonctionnait. Et comme il jouait à la Comédie des 3 Bornes, il avait largement le niveau pour cette salle.

Ancienne masculinité toxique vs. nouvelle masculinité unique ?

À l’heure où j’écris ces lignes, je découvre un nouvel article au titre quelque peu remuant. Publié sur le site de Marie Claire, voici ce qu’il nous balance à la figure :

Laurent Sciamma : « Ma honte d’être un homme a toujours été là »

Par Morgane Giuliani sur marieclaire.fr, le 4 mars 2020

Face aux valeurs de sensibilité prônées dans l’article, l’entrée en matière est plutôt violente. Putaclic, diraient certains. Mais je ne vais pas tomber dans les pièges habituels des Internets et je vais poursuivre la lecture.

Il s’agit donc d’une phrase issue du spectacle, que la journaliste a sélectionné pour interviewer le jeune humoriste. La formulation l’a tellement marquée qu’elle va jusqu’à qualifier Laurent Sciamma de « bonhomme bien sous tous rapports » car il n’a pas peur de « dire face à son public : “J’ai honte d’être un homme.” »

Je vais m’autoriser un syllogisme avant que Clément Viktorovitch, expert en rhétorique médiatique, ne vienne contrer mon article et détruire mon argumentation. Imaginons qu’avouer sa honte d’être un homme signifie qu’on est un homme bien. Je vous le dis tout net : je ne veux pas d’un monde basé sur ces postures manichéennes.

Le spectacle de Laurent Sciamma est nécessaire, mais ce n’est pas une fin en soi

Le problème n’est pas le spectacle de Laurent Sciamma, ou ses opinions, d’ailleurs. Au contraire : il répond à un besoin du public et il fait vivre des idées qui résonnent avec son époque. C’est très cool.

Non, le problème, c’est d’ériger le spectacle avec autant de vigueur parce que c’est de bon ton dans les rédactions. La majorité des articles traite de la qualité des messages plus que des blagues. Bien sûr, ce refrain revient souvent : « c’est drôle aussi ». Mais le rire vient en second plan, et je n’ai pas souvenir d’avoir trouvé d’argument me donnant envie de voir le spectacle pour des motifs comiques. Finalement, la ligne éditoriale discrédite artistiquement, sous couvert de célébration du féminisme.

J’ai donc une suggestion pour les rédactions culturelles. Maintenant que vous avez trouvé et sublimé Laurent Sciamma, essayez d’éditorialiser aussi bien d’autres paroles d’humoristes. Si ces paroles sont intéressantes, mais ne vont pas exactement dans le sens du discours ambiant, faites cet effort intellectuel supplémentaire. Analysez avec autant de passion les opinions qui ne sont pas les vôtres. Faites des double-pages sur Rosa Bursztein, par exemple. Ça ferait un super éclairage, non ?

En échange, j’irai voir le spectacle de Laurent Sciamma et juger de son potentiel comique comme pour les autres artistes. Je vaincrai ma peur de tomber dans un spectacle bien-pensant, alors même que je connais les qualités artistiques de Laurent Sciamma.

Parce qu’une pensée qui va dans le sens de l’histoire doit être étayée, voire mise à l’épreuve. Le progrès ne passe pas par un courant uniforme, n’en déplaise à des programmes comme celui ci-dessous. Je suis contente que ce podcast existe, mais je n’adhérerai jamais à l’ensemble des prises de positions énoncées

Alors, la presse progressiste, avons-nous un accord ?

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