Il n’y a plus de respect ? Comment mieux faire l’humour

Juliette Follin 14/07/2018

Paiements inexistants, montages vidéo arrangeants, rampes de lancement truquées ou encore entourages d’artistes peu bienveillants… L’humour est un milieu fascinant, mais qui va parfois dans le mur.

Non-rémunération des artistes : des blagues à deux vitesses

On sait que les humoristes qui débutent vont souvent jouer sans être rémunérés. Ce que l’on sait moins, c’est que cette situation perdure des années après avoir commencé. Quelques plateaux d’humour ne sont pas du tout rémunérés (Le Trempoint, antichambre du Point Virgule) ou à moitié (Le Jardin S’enjaille, qui rémunère uniquement ses têtes d’affiche).

Dans les deux cas, on fait une faveur à de jeunes artistes à l’essai en échange d’un lieu normalement inaccessible. Pour moi, cela ne pose pas de problème si la situation est connue d’avance et n’est pas récurrente. Or, Le Trempoint fait cela de manière récurrente. Ils devraient faire comme les plateaux qui ont lieu dans les théâtres : proposer un chapeau qui rémunère les artistes et expliquer que le billet d’entrée sert à la location du théâtre.

Mais il y a pire. Récemment, Seb Mellia a diffusé un message où on lui proposait de jouer sans un kopeck. Il indique d’ailleurs que la situation n’est pas rare.

La mairie de Paris est décidément une mauvaise élève : épinglée par la Cour des comptes pour trop dépenser en son sein, elle n’aurait aucun scrupule à utiliser des artistes pour faire rire la plèbe. Ce serait bête que l’ensemble finisse en grève, comme dans I’m dying up here

Marrakech du rire 2018 : vraiment drôle ?

Cette année, les audiences du Marrakech du rire sont en baisse. Des internautes s’interrogent : et si c’était la même chose dans le public ? En post-production, on fait des miracles, alors pourquoi pas remplir une salle en dédoublant les spectateurs ? La raison invoquée, c’est qu’il y avait beaucoup de mouvement dans le public (pauses pipi, on imagine). Pour éviter de distraire l’œil du spectateur, ils ont eu l’idée de ces petits arrangements.

Honnêtement, je n’ai même pas envie de commenter cela. Tout ce que je sais, c’est qu’en entendant le nom de quelques artistes, j’ai été déçue une fois de plus. Apparemment, Malik Bentalha a retourné la salle. J’ai écouté son extrait du frigo, et je n’ai pas compris où c’était drôle. De la harissa dans le frigo, vraiment, je me tords de rire. Sauf que la salle était vraiment hilare. Soit les ingénieurs du son étaient phénoménaux, soit on nous sert toujours le même ramassis de pseudo-artistes pour ne pas faire de l’ombre aux anciens, et le public ne sait pas déceler la qualité. S’ils plagient, c’est encore mieux. Je vous laisse méditer là-dessus et sur la présence de cet artiste (sic !) à l’Olympia.

Entourage d’artistes : de héros à zéro

Depuis que j’ai créé le spot du rire, j’ai entendu mille histoires sur les professionnels du spectacle vivant. Bien sûr, ils sont nombreux à faire leur travail correctement et à traiter les artistes avec respect et bienveillance. Mais il y a les autres, aussi. Il y a les gens qui se prennent pour des coachs de vie et qui censurent les jeunes artistes (coucou Kandidator). On trouve aussi des managers qui adulent leur poulain et, dès qu’un nuage vient assombrir le tableau, ne veulent plus leur parler.

Il est grand temps de parler d’appartenance. Quand quelqu’un détecte un jeune talent, je m’attends à ce qu’il l’aide à s’émanciper. Il peut exprimer un avis artistique, mais il faut vraiment être sacrément bon pour le censurer. Or, la relation entre un détecteur de talents et un artiste prend souvent un tournant émotionnel. Le détecteur ressent une sorte de coup de cœur ou de coup de foudre pour son poulain. La période lune de miel est formidable : il va l’encenser pendant quelques mois. Si vous avez fait latin, vous savez peut-être que dans l’étymologie du mot passion, on trouve l’idée de la souffrance. La souffrance vient donc après, avec l’embrouille et la rancœur. L’artiste s’éloigne, le détecteur de talents bougonne sans raison.

En résumé

Je ne peux pas m’exprimer pleinement sur le sujet car je ne suis pas manager d’artistes. Je connais juste la manière dont mon relationnel avec les différents artistes du spot du rire a fluctué. J’ai vu mon ego se formaliser sur des détails aberrants. Untel ne me parle pas assez, hop, je vais avoir envie de l’aimer moins, de ne plus le voir de la même façon. C’est complètement stupide, et le problème ne vient pas de l’artiste. J’ai même failli me brouiller avec Nadim pour plusieurs raisons. Toutes stupides, car elles attaquaient des choses que je ne voulais pas affronter. Comme c’était stupide, j’ai laissé couler et je suis sortie plus lucide.

Un artiste est un talent qui arrive à exprimer ce que nous autres ne savons pas faire. Il va savoir mettre en lumière des choses qui vont vous débloquer. Cela peut aller du simple rire à une véritable thérapie. Forcément, cela crée des liens forts et plus on baigne dans le spectacle vivant, plus il sera difficile de prendre du recul sur ce type de lien bizarre. Si des managers, producteurs ou gérants de théâtre me lisent, j’espère qu’ils pourront réfléchir à leur rapport aux artistes et qu’ils les laisseront s’exprimer. Ils doivent uniquement être des facilitateurs. A aucun moment ils ne doivent préférer un artiste parce qu’il a picolé après le spectacle avec lui. Parce que le public, lui, n’a pas picolé avec l’artiste et se base simplement sur son art, pas les amis qu’il a ou des aspects plus politiques ou commerciaux.

Entre idéalisme et espoir

Aucun milieu n’est parfait, mais j’ai parfois le sentiment qu’on passe à côté de certains artistes parce qu’ils ne jouent pas le jeu de suce-boules des bonnes personnes. On adore parler d’irrévérence, mais sait-on au moins apprivoiser l’indépendance des gens qui montent sur scène ? S’ils voient le monde différemment, autant leur offrir une ascension différenciante. Ceux qui voudront faire des Vendredi, tout est permis pourront continuer, d’autres useront de modes d’expression plus en accord avec leur sensibilité.

Monsieur Fraize est de ceux-là, et je suis contente d’avoir pu aider le journaliste qui a rédigé cet article. Je le remercie d’ailleurs d’avoir eu l’humilité de dire qu’il avait besoin de plus d’informations que ses premières recherches. On aurait pu avoir un papier insipide, issu de reformulations de l’AFP et d’autres sources. Par conséquent, il y a encore une conscience professionnelle dans les médias culturels au service des talents. C’est tout ce qu’on leur demande.

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© Betty Durieux

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