Tremplins des Fous Rires de Bordeaux 2018

Juliette Follin 24/03/2018

Le festival des Fous Rires de Bordeaux arrive à son terme. La deuxième édition s’est terminée par les tremplins découvertes. Le spot du rire était sur place lors des deux demi-finales. On vous raconte le parcours qui a mené François Guédon à la victoire !

Tremplins découvertes : un niveau hétérogène

Jeudi soir, le Café Théâtre des Chartrons est rempli. Et pour cause : le festival a concocté une programmation de grande qualité. Sur les cinq potentiels finalistes, quatre étaient à mon sens dans un mouchoir de poche.

Encouragements pour Marion et Barbara Laurent

C’est un duo qui ouvre le bal : Marion et Barbara Laurent. Deux personnalités antagonistes qui vont créer un rapport d’opposition, deux visions de la féminité. Barbara opte pour la fougue et la candeur, Marion est plus pragmatique et charrie sa consœur. La dynamique entre les deux femmes est quelque peu téléphonée, la thématique des ex déjà bien utilisée. Un instrument vient essayer de noyer le poisson, mais ça ne prend pas. Les deux humoristes obtiennent toutefois de nombreux rires : l’humour est quelque peu potache, passe assez bien. Pour l’innovation, on repassera. Elles ont ainsi ouvert la soirée en proposant toutefois un passage travaillé et correct, juste assez déjà vu pour que le public averti reparte bredouille.

David Voinson enflamme Bordeaux

Autre style, autre énergie : David Voinson arrive sur scène survolté. Il évolue presque à domicile et parle du bassin d’Arcachon et des personnes âgées qui le peuplent… et lui donnent envie de jouer à saute-mouton. Impeccable sur le rythme, il a bien compris comment on fait de la scène. J’ai apprécié la technique, le débit de parole, les idées parfois épatantes et les interactions malignes. La soirée a véritablement commencé à ce moment-là, le niveau est monté d’un gros cran.

Jean-Philippe de Tinguy ne joue plus

Jeudi, c’était jour de grève SNCF… Or, à l’inverse des cheminots aux abonnés absents, Jean-Philippe de Tinguy a fait une apparition dans la ville où il a grandi. Il n’en a pas parlé du tout, et n’a pas tenté d’amadouer le public pour les inciter à voter pour lui. Si vous avez écouté l’épisode d’Un café au lot7 avec Louis Dubourg, vous n’êtes sûrement pas surpris de l’apprendre. Sinon, on vous encourage à mieux cerner le personnage.

En toute décontraction, il s’est donc amusé sur scène, sans fioriture et avec un medley des créations de ces dernières années. De la nouveauté en début de passage, et un mélange du reste, bien articulé. De quoi ravir ses parents, qui profitaient de son passage pour le voir jouer !

Entracte : un mot sur la présentation

Avant d’aborder les deux derniers humoristes, parlons de la présentation. Deux professionnels du spectacle vivant se sont prêté au jeu. L’an dernier, Aymeric Lompret et Jo Brami avaient réalisé le job. Et cela s’était mal passé. L’annonce d’un humoriste homme, annoncé comme « la troisième femme de la soirée », était plus que gênante.

C’est donc un choix éditorial différent qui a conduit deux présentateurs pas vraiment à l’aise dans l’exercice à se donner en spectacle. Ils ont joué le jeu, mais c’était difficile pour eux. Une connaissance des artistes insuffisante les a embourbés dans l’erreur lors de la première soirée. Ils ont vanté la présence d’humoristes belges l’an passé, alors que le lendemain, ils en avaient 3,5 sur 5 d’origine belge !

Le pire était le lancement des humoristes. Quelques spoils du passage ruinaient les effets. Celle qui en a le plus pâti, c’est Tania Dutel. Celui qui s’en est le mieux sorti, c’est Jean-Philippe de Tinguy : une promotion lue mot pour mot, dictée par l’humoriste et jamais déviée car minimaliste.

Tania Dutel à la peine

Quand on a affaire à un talent du rire, on oublie parfois qu’il peut trébucher. Tania Dutel n’a donc pas été servie par sa promotion et semblait mal à l’aise. Elle m’a confié ne pas être une humoriste taillée pour les festivals, en dépit d’un véritable succès sur une heure. Je comprends tout à fait : c’est le genre d’humoriste qui se distingue sur une entrevue plus longue, on a besoin de la connaître vraiment pour l’apprécier pleinement.

Au demeurant, Tania est très efficace en scène ouverte. Le samedi précédent, elle était à la finale du Campus Comedy Tour. En la voyant, je me suis dit qu’elle était redoutable, de plus en plus forte. Son style et son angle scénique la hissent régulièrement en tête de l’applaudimètre. Le texte est intelligent, le passage sait s’apprécier. Mais peut-être est-ce un peu trop moderne pour les festivals ? À méditer.

François Guédon, l’efficacité scénique

Le passage de François Guédon était millimétré. Avec un angle intéressant : insuffler de la littérature dans la télé-réalité. La fin du sketch, une équation sur la consanguinité, m’a moins plu. En fin de soirée, une telle complexité peut mettre KO le public, surtout s’il est de passage à Bordeaux et exténué par sa journée de marche.

J’ai regardé avec curiosité le passage de François Guédon au Fieald. Le début, une séduction par une posture d’orateur, m’avait plu la première fois. Or, le revoir m’a semblé faux. Ce n’est pas un problème pour un concours axé sur les découvertes : l’effet de surprise marche à plein régime. Le problème, c’est connaître la chute, vulgaire et décalée par rapport à la beauté du moment précédent. Cela déclenche des rires, soit, mais on n’en garde pas un souvenir stupéfiant.

La partie sur la télé-réalité était la plus convaincante. La musique dynamise le tout, l’interprétation et le texte sont au rendez-vous. C’était suffisant pour battre les 4 autres humoristes. L’organisation m’a confié que pour cette soirée, la victoire s’est jouée dans un mouchoir de poche. On veut bien la croire : quel niveau !

Catherine Demaiffe : aïe

Le lendemain, retour aux Chartrons. La salle est toujours aussi bondée. Les présentateurs sont beaucoup plus à l’aise que la veille. Aucun faux pas de leur côté, beaucoup moins d’hésitations. Il faut souligner la réactivité du festival d’apprendre de ses menus défauts.

Il faut dire qu’ils ont été intelligents sur l’ordre de passage. J’ignore si c’était un hasard, mais chaque soirée s’est ouverte sur la prestation la moins aboutie. La veille, c’était difficile pour Marion et Barbara Laurent de tenir la comparaison, mais elles ont réussi à insuffler de vrais rires. Vendredi soir, Catherine Demaiffe n’y était pas.

Maman cynique, Catherine Demaiffe débutait un passage sans élégance, assez vulgaire. Le bruitage de pet, vraiment ? Je regrette de voir cette humoriste proposer un angle qui ne lui sied pas. On peut faire de l’humour noir sans forcer le trait, avec de l’esprit. Là, les blagues étaient collées les unes aux autres, les rires quasiment inaudibles. Je n’ai pas compris la finalité de cet humour, qui manquait de justesse. La sauce n’a pas pris, mais son actualité était surtout liée à des courts et longs métrages… Peut-être qu’elle n’a pas trouvé la bonne discipline où évoluer.

Félix Radu change de registre

Favori de cette soirée, Félix Radu réalisait une prouesse. La victoire de cette demi-finale n’était pas garantie pour le Namurois. François Guédon utilise lui aussi la littérature pour sa prestation scénique. Je n’y croyais plus autant.

Or, au fil de la soirée, j’ai constaté que le plateau était moins relevé que la veille, et assez homogène dans la vanne un peu grasse. Bref, Félix Radu avait carte blanche pour proposer une bouffée d’air frais. La prestation de haut vol lui a permis d’emporter le public avec lui. Tournant son jeune âge et sa vulnérabilité sur scène en avantage, il parvenait à conquérir la foule.

Celui qui veut faire oublier sa comparaison avec Raymond Devos impose de plus en plus son clown. Il dit vouloir jouer avec les silences et emmener le public dans son monde poétique… Ça m’a alors frappé : il n’était plus aussi proche de la philosophie de François Guédon, mais de celle de Jean-Philippe de Tinguy ! Une bonne chose que la grève SNCF (probablement ?) l’ait dévié sur la deuxième journée…

Thomas Angelvy : du rythme et des clichés

Troisième humoriste à passer, Thomas Angelvy commence par des interactions avec le public. Un peu vaches, elles embarquent la salle dans de nombreux rires. Un humour efficace, mais que j’ai toujours trouvé frustrant. Opposer les hommes et les femmes sur des clichés (le nombre de gels douches multiplié par 30 quand une fille entre dans ta vie, les pieds froids)… C’est du réchauffé, mais ça a le mérite de fonctionner encore. Je le respecte en dépit de cette opinion assez personnelle et biaisée par tout le stand-up malin que j’ingurgite à longueur d’année.

Thomas Angelvy a travaillé à la radio, chez Voltage. Ce bagage lui permet de connaître les travers des hommes et des femmes et de les vanner avec quelques clichés, certes, mais un vrai bagout. S’il s’essaye à un autre registre à l’avenir, je parie qu’il saura se réinventer pour le meilleur. Mais c’est lui le maître à bord, je lui donne carte blanche pour séduire le public !

Pierre-Emmanuel alias PE : une once de déception

J’ai découvert PE au Cactus Comedy, arène autoproclamée de l’humour piquant. Emballée par sa prestation, je regardais avec attention le passage. J’ai trouvé qu’il y avait quelques répétitions, sur son rappel de l’âge et l’anecdote de la poule. D’autres facilités liées à l’usage d’une trompette.

En revanche, j’ai retrouvé les décalages audacieux qui font sa force. L’humour est un peu lourd, mais il arrive à ne pas tomber dans la vulgarité par un charisme et une bonne humeur indéniables. Ce n’était pas son meilleur passage, mais il y avait tout de même des moments bien pensés.

Biscotte et sa guitare

Présenté comme gagnant de plusieurs festivals par le présentateur, Biscotte se tirait une balle dans le pied. Avant de continuer, avertissement au lecteur : j’ai une opinion tranchée sur l’usage d’un instrument. Je trouve que c’est se cacher derrière un contenu pauvre et en tirer un avantage. La musique, c’est agréable. Sans elle, les mots pèsent plus lourd.

Biscotte chante extrêmement bien, sa voix est faite pour la prise de parole. Bon orateur, il maîtrise la technique. La guitare est parfaite, mais le texte ne suit pas. J’ai apprécié la dernière partie avec les mots en allemand, j’ai ri malgré moi. Mais j’ai trouvé ça facile. Je reconnais que Biscotte a une décontraction et un charme sur scène qui l’aident à plaire à l’auditoire. Dommage d’être trop juste sur les paroles à mon goût.

Une affaire de goût : aparté sur les festivals

Les festivals d’humour sont un exercice difficile. Souvent injuste, mais agréable pour le gagnant. Peu représentatif, mais valorisant aussi. Le problème insoluble, c’est que l’humour est subjectif. Peu importe le gagnant, que l’on connaîtra dans quelques heures : rien ne remplace une découverte d’artistes personnelle. (MàJ : François Guédon a remporté les tremplins, bravo à lui !)

Dans l’humour, il y a des injustices. Comment décerner des prix financiers ou symboliques ? Alors qu’on finit par trancher parmi des personnalités, sur des critères opaques car l’humour, c’est un rapport d’émotion. J’ai découvert plus récemment cette essence de l’humour qui rend ce milieu aussi attachant. Rire, ce n’est pas simplement faire travailler quelques organes et émettre des sons amusants. C’est l’acte de bouleverser l’autre avec ses tripes, sa vision du monde et ce petit truc qui rend chacun de nous unique. Ce n’est pas donné à tout le monde. Et il y a deux entités qui doivent s’engager dans ce dialogue : l’artiste et le spectateur.

Alors, si vous n’avez pas vu l’artiste qui vous plaisait triompher, vous pouvez le soutenir en le suivant sur scène et les réseaux ! Comme ça, le public reprend le pouvoir et ce ne sont pas uniquement les producteurs qui décident de qui vous fera rire.

Crédits photo

© Aurélien Cadret & Loïc Cousin

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